PORTRAIT DU JOUR #3 : Nabil Ayouch et Maryam Touzani, le couple passionné

Nabil Ayouch et Maryam Touzani c’est Razzia, un couple, une passion et tellement plus encore. Haut Courant a souhaité en savoir plus à travers un portrait croisé. Rencontre.

Ils ont ouvert la 39e édition du Cinemed avec Razzia et ont ému l’assemblée. Leur générosité et leur fougue font écho lorsqu’ils partagent leur histoire et leur passion. Ils font du cinéma pour être utile. Mais aussi pour voir l’espoir d’un changement de société.

Nabil et Maryam : la mixité culturelle comme richesse

Tout commence par une identité et la leur est plurielle. Nabil est né à Paris en 1969, fils d’une mère juive française d’origine tunisienne et d’un père marocain. Il a grandi à Sarcelles, marqué par l’ambivalence entre une mixité culturelle et un communautarisme. Il raconte que dans ce climat « on se construit dans l’adversité, dans la solitude ». Mais sa rencontre avec les arts et la culture se fera au Forum des Cholettes où il y perçoit « des voies d’expression » lui permettant de cultiver sa différence, notamment au cinéma, et de pousser sa quête identitaire.

Pour perpétuer la transmission, il montera un centre culturel « Les Étoiles » à Sidi Moumen, à Casablanca, avec son ami Mahi Binebine. À cet endroit-même où des jeunes vivaient dans l’invisibilité d’un bidonville, il leur donne un lieu d’expression et d’existence. Pour Nabil, il est primordial qu’ils arrivent à se projeter et à extérioriser leurs émotions : « Là où les politiques ont parfois échoué à créer du lien identitaire, les arts et la culture peuvent être des vecteurs ».

Maryam : « un besoin d’être utile, de faire entendre sa voix et d’inspirer »

Maryam possède aussi des racines multiples : « un père rifain (berbère, ndlr), une mère tangéroise et une grand-mère andalouse espagnole ». Elle est née à Tanger en 1980 et a fait des études pour devenir journaliste à Londres. Cela lui a donné un regard plus critique sur la société marocaine et « l’envie de participer à la construction de quelque chose ».

Elle rencontrera Nabil à Casablanca, lors d’une interview. Elle l’admirait déjà beaucoup. Si Maryam est plus discrète, elle est aussi engagée dans la dénonciation des entraves aux droits fondamentaux. Ce combat est véritablement le fil rouge de Razzia. Ce film est le fruit « d’épreuves, comme la censure marocaine de Much Loved, qu’on avait envie de mettre en scène ».

On ne peut qu’identifier Maryam au personnage de Salima, qu’elle incarne dans Razzia, car elle porte en elle ces révoltes. Elle déclame « un besoin d’être utile, de faire entendre sa voix et d’inspirer ». Nabil aussi a ressenti « une urgence de faire ce film, un besoin viscéral de s’exprimer ». En échos à l’affaire Weinstein, tous deux affirment l’importance « d’ouvrir des brèches » pour que tous ces individus isolés se retrouvent parmi « une majorité silencieuse » et partagent leurs témoignages.

Pour finir sur une confession, Maryam tournera son premier long métrage dès l’automne 2018. Adam traitera de la difficulté d’être une mère célibataire au Maroc et de l’intensité des jugements dans une société très traditionnelle. Un couple à suivre donc.

VIDÉO – Haut Courant filme le Cinemed #2

Durant le festival du cinéma méditerranéen, l’équipe de Hautcourant vous propose une série de vidéos sur les rapports hommes/femmes dans le septième art. De courtes interviews en lien avec l’actualité de l’affaire Weinstein.

Entretien avec : Nabil Ayouch, réalisateur du film Razzia et Maryam Touzani, co-scénariste et actrice principale du film.

SÉANCE DU JOUR #1 – Razzia, une ode à la liberté

Après Much Loved, Nabil Ayouch revient en ouverture du 39e festival Cinemed avec un tableau édifiant de la société marocaine.

C’est un geste fort que de présenter ce film en ouverture du Festival. Un film engagé, sur l’évolution des moeurs au Maroc, entre conservatisme et modernité. De manière chorale, il conte les destins croisés de Salima, Joe, Hakim, Inès.

Et surtout celle d’Abdallah, avec sa voix qui nous guide durant tout le film. Tout commence en 1982: il est professeur dans les montagnes de l’Atlas au Maroc et tente d’enseigner les sciences à ses élèves. Mais les nouvelles réformes lui impose (avec surveillance à la clé) d’utiliser l’arabe, langue coranique, au détriment du berbère. Les cours se transforment en éducation islamique. « Qu’importe la langue si vous leur ôtez la voix ? » désespère-t-il. « Rester pour lutter ? ». Il hésite.

Nous voilà sans transition en 2015. Salima, une jeune femme mariée et sans emploi se débat face à la pensée patriarcale qui l’étouffe et à la domination des hommes. Joe, de son vrai nom Joseph, est un restaurateur juif de Casablanca. Sans cesse renvoyé à son appartenance religieuse. Hakim, jeune marocain homosexuel rêve, lui, d’Europe et de liberté. À la recherche d’un avenir meilleur il est confronté au rejet de la société et de son père, du fait de son orientation sexuelle et de sa passion pour la musique. Inès, jeune lycéenne ultra connectée est confrontée et choquée par le mariage d’une de ses amies, mineure, avec un homme de 32 ans.

Tout cet entrelacs d’histoires de vies qui se frôlent sans se rencontrer questionne les mutations et soubresauts de la société marocaine : la religion, la libération de la femme et les mariages de mineurs, l’homosexualité. En quête de liberté, chacun des personnages tente à sa manière de s’affranchir des carcans du Maroc d’aujourd’hui.

Ecrit par le réalisateur lui-même et Maryam Touzani l’actrice principale du film (Salima), le scénario met en scène les comédiens de son précédent long métrage – le multi primé Much loved -, Amine Ennaji (Abdallah) et Abdellah Didane (Ilyas).

Le réalisateur d’origine marocaine scrute son pays avec un réalisme bouleversant. Il y décrit une société bloquée tout autant par l’emprise religieuse que celle de la domination des hommes sur les femmes. Dans « Casa la moderne » prisée des touristes, il filme l’envers du décor : la difficulté de naître et d’être femme, le rejet des juifs, la stigmatisation des homosexuels. Il y dépeint également la contestation de la jeunesse face au chômage, leur désespoir face à l’avenir. Et la violence qui en découle.