Jour de vote à Montpellier : en tête à tête avec les électeurs de la primaire

Pour le premier tour des primaires, le bureau de vote de la rue des Quatre Seigneurs à Montpellier fait le plein. Entre choix partisan et votes barrage, les électeurs s’expriment à chaud sur leur motivation.

« Je partage les valeurs républicaines de la droite et du centre et je m’engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France. » Placardé à l’entrée de la salle de vote, une citation de la Charte Républicaine accueille les électeurs. Installé dans l’école élémentaire du docteur Calmette, le bureau n° 340312 ouvre ses portes aux électeurs. À l’intérieur, des listes d’émargement, trois isoloirs, cinq bénévoles chargés de veiller au bon fonctionnement de la journée. Un bureau de vote banal parmi les 10 228 mis à la disposition des électeurs ce dimanche.

L’enjeu est important pour ces premières primaires, le stress se fait ressentir parmi les organisateurs, soucieux de son bon déroulement. À plusieurs reprises, notre présence nous a été reprochée et il a fallu que nous rencontrions les électeurs à l’extérieur.

Sarkozy, « je ne peux pas le voir »

-356.jpgÀ la sortie du bureau de vote, les électeurs soutenant Nicolas Sarkozy s’expriment facilement. Nadine, retraitée, affirme qu’elle est aujourd’hui présente pour « voir son candidat l’emporter ». Hésitant entre l’ancien président de la République et François Fillon, elle a fini par faire le choix de « l’expérience. Sarkozy représente plus la droite dans laquelle je me reconnais.  » Hélène, 56 ans, professeur retraitée, est, elle aussi, une électrice convaincue. « Il a l’énergie nécessaire pour diriger le pays en 2017. Il a l’amour de la France et l’autorité nécessaire à un chef de l’État ».

« Plutôt de gauche », Anne, professeur de sport de 50 ans, est avant tout opposée à l’idée de voir Sarkozy réélu. Bel Miloudi, électeur de droite, fait le même constat : « Je suis venu pour l’empêcher de passer. Je ne peux pas le voir alors j’espère qu’il ne sera pas élu.  » À la fois plébiscité par une partie de l’électorat, et rejeté par une autre, Nicolas Sarkozy doit aujourd’hui faire face à une mobilisation d’électeurs qui lui est défavorable.

Juppé, le « moins pire » de tous

Longtemps en tête des sondages, Alain Juppé se voit rattraper par Nicolas Sarkozy et François Fillon. Il est vu par certains des électeurs comme un rempart à l’élection de l’ancien président. Brigitte et Pascal, tous deux cadres quinquagénaires, se disent plus proches des idées de Nathalie Kosciusko-Morizet. Leur choix s’est pourtant porté sur le maire de Bordeaux : « Il est le moins pire des candidats. Il fallait voter utile pour faire barrage à Sarkozy et Fillon, qui sont tous les deux flippants dans leurs propos et leurs idées. Ces deux-là sont beaucoup trop réac’. » Trop jeune pour voter en 2012, Nicolas, 20 ans, dénote parmi la majorité de retraités présents au bureau ce matin. Il a exprimé un vote d’opposition envers l’ancien chef de l’État et a choisi de supporter Juppé, « le candidat qui a le plus de chance de l’emporter  ». À l’évocation du chef de file de l’identité heureuse, Bernadette et Robert, un couple de retraités, rétorquent qu’« il est le bras droit de Hollande  », le mari poursuit en précisant qu’« il ne faut pas quelqu’un de mou à la tête de l’État  ». Eux ont fait le choix de François Fillon pour « sa fermeté et sa lucidité  ».

François Fillon séduit les sarkozistes

Nathalie Kosciusko-Morizet, Bruno Le Maire, Jean-François Copé et Jean-Frédéric Poisson font peu parler d’eux ce matin. Le nom de François Fillon revient lui souvent dans la bouche des électeurs. Considéré comme le troisième homme de cette primaire tout au long de la campagne, il est aujourd’hui crédité de 30 % d’intention de vote par le dernier sondage réalisé par Ipsos pour le journal le Monde. Parmi les électeurs séduits par François Fillon, Yannick, promoteur immobilier de 40 ans, issu d’une famille sarkoziste depuis de longues années. Il affirme avoir été « convaincu » par le candidat. « Je trouve qu’il a la carrure que doit avoir un chef d’État, il est taillé pour le poste de président. Ma mère est encore plus sarkoziste que moi, elle va avoir beaucoup de mal à voter Fillon, mais elle va le faire quand même, par nécessité pour avoir une France forte. »

Après avoir voté à droite, des électeurs affichent une volonté de voter à la primaire de la gauche en janvier. Pour Mathieu, formateur en techniques paysagères de 35 ans, « le FN sera au second tour des présidentielles. Je suis donc venu pour faire barrage à cela. J’irais aussi voter à la primaire de la gauche, je ne veux pas me retrouver avec un vote par défaut à la présidentielle.  » Pascal est lui aussi de cet avis, « il ne faut pas hésiter à avoir des contradictions dans son vote. Le principal c’est avant tout le but final. Je vote à droite et à gauche pour ne pas voir arriver le pire lors de la présidentielle ».

À la mi-journée 183 personnes se sont déplacées pour aller voter dans ce bureau de vote de quartier, sur les 4000 enregistrés sur les listes d’émargement. Chiffre qui parait faible alors que le bureau n’a pas désempli de la matinée. Pas de bousculade ou d’attente interminable pour cette première primaire, simplement quelques couacs dans l’organisation de l’événement. Des électeurs se trompent de bureaux ou n’ont pas de quoi payer la participation, d’autres s’étonnent de ne pas avoir eu à adhérer à la Charte Républicaine. Ils ont simplement « signé un truc à l’entrée  ».

David Gouard : « La Primaire dévalorise le statut du militant traditionnel »

David Gouard est professeur de science politique à l’université de Montpellier. Co-auteur d’un article avec Julien Audemard (Les primaires citoyennes d’octobre 2011 : entre logique censitaire et influences partisanes locale) il a également participé à l’ouvrage de Rémi Lefebvre et Éric Treille, Les primaires ouvertes en France, (Presses universitaires de Rennes, 2016). Il estime que les primaires ouvertes dépossèdent le militantisme d’une partie de sa substance sans empêcher la mainmise des partis sur la désignation des candidats à la présidentielle.

Vous avez travaillé sur la primaire du PS et du Parti Radical de Gauche en 2011, présentée comme un succès populaire, avec environ 2,5 millions de participants. Cette expérience a-t-elle permis la mobilisation de nouveaux profils d’électeurs ?

Tout le monde n’avait pas participé à cette primaire. Ce que l’on avait montré c’est que loin de mobiliser l’ensemble du corps électoral, et notamment à gauche, il manquait deux groupes sociaux importants pour son électorat habituel : les jeunes d’un côté et les milieux populaires de l’autre. Surtout les jeunes. Sur les 1 000 questionnaires qu’on a fait passer dans les bureaux de vote, environ 500 par tour de scrutin, la jeunesse était sous-représentée. En revanche, une majorité des répondants avaient un profil sociologique proche de celui des adhérents traditionnels du Parti Socialiste, c’est-à-dire des individus plutôt âgés, issus des catégories socio-économiques élevées et particulièrement politisés.

Les primaires ouvertes ce sont imposées dans le paysage politique français, au point que le Parti Socialiste y recourt à nouveau en janvier prochain. Outre ses difficultés, comment se fait-il que François Hollande ne jouisse pas d’un statut de candidat « naturel » en tant que Président sortant ?

Les primaires se sont imposées comme le moyen de désignation des candidats, en tout cas pour les deux principaux partis français qui l’ont adopté. Il est difficile d’imaginer un retour en arrière. On peut penser qu’une fois adoptées, les primaires ouvertes resteront. D’ailleurs, concernant le Parti socialiste c’est devenu une obligation, inscrite dans ses statuts.
Cependant, on observe que tout est fait pour que la primaire ne soit pas hautement concurrentielle. Plus encore quand on est président sortant en difficulté dans les sondages et qu’on se représente à la primaire. C’est à dire qu’il y a des candidats minoritaires, avec peu de poids, qui ont peu de chances de l’emporter en somme, pour faciliter la réélection. Ce qui ne veut pas dire que c’est ce qu’il va se passer. Dans l’avenir, on peut penser qu’il y a des primaires qui seront utilisées plus pour légitimer un candidat, déjà prévu, que pour organiser une véritable concurrence entre les différents candidats.

Rémi Lefebvre, professeur en science politique à l’université Lille 2, avec lequel vous avez travaillé sur son dernier ouvrage, reproche à ce mode de désignation des candidats de favoriser les logiques d’opinion au détriment du socle idéologique du parti. L’influence des médias et des sondages est-elle renforcée avec l’organisation des primaires ouvertes ?

L’influence des sondages d’intentions de vote existe, mais elle est impossible à mesurer, pour les primaires comme pour autre chose. On sait juste qu’elle existe. On peut penser que c’est plus fort quand les primaires sont ouvertes, parce qu’on peut imaginer que les canaux d’information des sympathisants sont plus à rechercher du côté des médias de masse, alors que chez les adhérents c’est plus à l’intérieur des discussions au sein des partis. Ce qui ne veut pas dire que les médias de masse et les sondages d’opinion ne comptent pas pour les adhérents. Mais on peut penser qu’il y a des effets plus puissants auprès d’un électorat qui ne participe pas aux activités régulières du parti et qui raisonne moins sur des bases idéologiques. Il est cependant difficile de dire dans quelle mesure les sympathisants voteraient moins sur des bases idéologiques.

Avez-vous observé des différences de vote entre les sympathisants et les adhérents ?

À Montpellier en 2011, on a observé que le vote pour les outsiders est plus fort chez les sympathisants que chez les adhérents. Pas très étonnant, puisque des participants viennent de l’extérieur pour peser sur le vote. Certains ne vont pas voter pour le candidat du parti au premier tour de la présidentielle mais veulent quand même choisir le moins pire pour le second.
Il y a aussi une forte domestication des suffrages chez les adhérents, qui tient au contrôle des élus locaux sur leur fédération. Ce sont des domestications qu’on observe sur de nombreux scrutins. Quand il faut voter pour des motions, bien souvent les adhérents s’alignent assez largement sur la position de celui qui tient la fédération. Donc là encore ça pose deux questions. Est-ce que c’est sur des bases idéologiques, est-ce que c’est parce qu’ils sont convaincus de cette ligne-là ? Ou est-ce qu’il y a d’autres logiques interpersonnelles, de loyauté, qui priment ? Ça peut être les deux à la fois d’ailleurs, sans que ce ne soit très conscientisé par les acteurs.
On peut penser que c’est justement parce que les sympathisants sont plus éloignés des relations de parti. Derrière il y a l’idée que voter de manière raisonnée, instruite, éclairée, c’est faire partie d’un parti, c’est participer aux discussions. C’est pour ça que la thèse de Rémi Lefebvre, à laquelle je souscris largement, est quand même critiquable. On peut discuter de cette thèse. Un sympathisant n’est pas forcément moins politisé, moins éclairé, moins averti.

Justement, l’appareil partisan et les élus locaux gardent-ils un contrôle sur ce mode de désignation des candidats, ne serait-ce que dans le choix de ceux qui pourront concourir aux primaires ?

Effectivement, pour se présenter, les candidats doivent remplir des conditions de parrainage. C’était le cas en 2011 pour la primaire de la gauche, et c’est encore le cas pour la primaire de Les Républicains. Puis, à l’intérieur de la primaire, les responsables des partis soutiennent tel ou tel candidat. On l’a bien vu avec la primaire du Parti socialiste, où les deux candidats dominants, Martine Aubry et François Hollande, étaient ceux qui avaient eu la main sur le parti, et qui par là même disposent de tout un réseau de soutiens. D’ailleurs Martine Aubry a fait de meilleurs résultats dans le nord de la France, puisque c’était là qu’elle disposait du plus de soutiens et qu’elle était davantage connue. Ensuite, les adhérents vont souvent s’aligner sur les positions dominantes.

Est-ce que les élus locaux ont un avantage à soutenir tel candidat plutôt qu’un autre ?

Il y aura des récompenses. Une de nos hypothèses, mais ça ne sera vérifié que dans quelques mois, c’est que si jamais le prochain Président de la République se trouve parmi ces candidats [de la primaire de la droite et du centre], qu’il s’agisse de Juppé, Fillon ou Sarkozy, c’est que la carrière politique des parrains sera un peu boostée par rapport aux autres. Peut-être relativement, peut-être de peu, peut-être de beaucoup pour certains. Parce qu’on pense qu’il y a des formes, des logiques de récompense. Des gens qui seront peut-être promus ministre, ou secrétaire d’État, ou député, etc…

Est-ce que vous pensez, que la pérennisation de ces primaires ouvertes pourra impacter les formes de militantisme, puisque la désignation du candidat à l’élection présidentielle occupait une place importante dans l’offre d’adhésion ?

Certainement, c’est aussi une des thèses fortes de Rémi Lefebvre, à laquelle j’adhère. Il faut toujours le conjuguer au conditionnel quand même parce que c’est difficile à mesurer et il y a d’autres facteurs qui jouent. La primaire contribuerait à dévaloriser le statut du militant traditionnel, qui effectivement se voit un peu déposséder d’un pouvoir essentiel qui est celui de la sélection des candidats à l’élection sur la base d’une participation régulière aux activités du parti. Ça favoriserait au contraire des formes de militantisme un peu plus atomisées, intermittentes, ou même d’engagement sans militantisme.
En 2007, lorsque le Parti socialiste avait organisé des primaires, mais cette fois-ci uniquement réservées aux adhérents, il y avait déjà une tendance à une certaine ouverture. Dans la mesure où ils avaient mis en place la fameuse carte d’adhésion à 20 euros, qui avait un prix beaucoup plus bas que ce qui se faisait habituellement. Du coup, on a vu un reflux beaucoup plus important du nombre d’adhérents, qui en fait adhéraient juste pour pouvoir participer à la sélection du candidat à la présidentielle. À l’époque c’est Ségolène Royal qui avait été désignée contre Laurent Fabius et Henri Emmanuelli. Des études ont montré que beaucoup de ces nouveaux adhérents avaient voté Ségolène Royal, considérant sur la base des sondages d’opinion de 2006 que c’était elle qui avait le plus de chances de l’emporter dans le cadre d’une présidentielle. De ce fait, ce sont des adhérents qui ont très vite quitté le parti sitôt l’élection terminée. Ils n’ont peut-être même jamais participé à une réunion partisane. Donc effectivement ça change le militantisme.

Cette dévalorisation est-elle surtout perceptible à gauche ?

On peut penser que ça dévalorise le militantisme traditionnel qu’on voyait à gauche, notamment au Parti socialiste, au profit d’une figure du sympathisant beaucoup plus électron libre. Même si le sympathisant reste proche des milieux d’adhérents. Il y a rarement une étanchéité complète entre les deux. Il y a souvent parmi les sympathisants des anciens adhérents, ou alors leur conjoint, frère, sœur, qui adhérent au parti. On est plutôt sur des logiques de continuum.

Fillon écrase la primaire

Coup de tonnerre chez les Républicains dimanche soir. François Fillon écrase le premier tour en arrivant largement en tête. Il sera face à Alain Juppé, fragilisé, dimanche prochain. Nicolas Sarkozy est dorénavant éliminé de la course à la présidentielle.

Ils étaient sept candidats. Ils ne sont plus que deux. Le duel annoncé par les sondages et les médias n’aura finalement pas lieu. Vainqueur surprise du premier tour, François Fillon obtient un plébiscite stupéfiant en atteignant plus de 44% des suffrages. Il sera favori face à son concurrent Alain Juppé, qui arrive second avec plus de 28 %. Les 5 autres candidats – dont l’ancien président Nicolas Sarkozy – sont éliminés.

Résultat national de la primaire.

Un vainqueur surprise ?

Ni les sondages, ni les médias ne l’avaient vu aussi haut. Éternel troisième dans les sondages, François Fillon obtient pourtant un plébiscite en récoltant plus de 44 % des voix lorsqu’ils lui prévoyaient encore récemment que 10 %. Du jamais vu. François Fillon qui chasse Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, favoris selon les sondeurs, apparaissait comme de la science-fiction il y a encore quelques jours. Et pourtant, c’est le scénario qui s’est réalisé hier soir. François Fillon, disciple de Philippe Seguin, a tablé sa campagne sur les fondamentaux de la droite lorsque d’autres candidats visait la « France silencieuse » ou « l’identité heureuse ». Au final, c’est la droite libérale et conservatrice qui gagne, rappelant que la primaire de la droite et du centre a définitivement rassemblé un électorat profondément de droite.

Fin de campagne, fin de carrière.

Largement ternie depuis sa défaite à la présidentielle de 2012 et ses nombreuses affaires judiciaires, Nicolas Sarkozy met un terme à sa carrière politique à la suite de ce désaveu. L’ancien chef du parti Les Républicains émarge à peine plus de 20 % des voix. Reconnaissant sa défaite rapidement dans la soirée, Nicolas Sarkozy a annoncé qu’il voterait pour son ancien premier ministre François Fillon. Étrange lorsque l’on sait que le député de la Sarthe avait incité l’Élysée à accélérer les poursuites judiciaires contre Nicolas Sarkozy, en plein scandale Bygmalion. De plus, les relations de l’ancien président avec Alain Juppé semblaient moins compliquées. Le vote de Bruno Le Maire se tournera, pour le second tour, vers François Fillon lorsque Nathalie Kosciusko-Morizet soutiendra le maire de Bordeaux. Les deux autres candidats Jean Frédéric Poisson et Jean-François Copé qui n’ont récolté que des miettes laissent leurs choix en suspens.

Une mobilisation « inespérée » dans l’Hérault.

Résultat de la primaire dans l'Hérault

Dans l’Hérault, les électeurs ont, comme au plan national, choisi majoritairement François Fillon pour représenter la droite à l’élection présidentielle l’an prochain. La participation a largement dépassé les pronostics en atteignant 70 885 votants. Les responsables du parti dans le département espéraient, pour les plus optimistes, au moins 50 000 électeurs. Président départemental des Républicains et unique député de droite de l’Hérault, Élie Aboud, se félicite de cette « mobilisation inespérée » pour un parti qui n’a pas « une culture de vote interne ». Dans le département de l’Hérault politiquement meurtri par des années de divisions, la droite – et plus particulièrement le parti Les Républicains – a marqué un point dans sa tentative de reconquête. Rassemblant plus de 15 % du corps électoral, Elie Aboud qualifie le premier tour de l’élection comme « une réussite totale dans le département de l’Hérault ». Cette forte mobilisation constitue une première étape pour Les Républicains héraultais dans leur volonté de reconquête en s’offrant de la crédibilité et une possibilité de se mettre en ordre de bataille à l’approche des échéances prochaines.

« Les lycéens ont un niveau très bas en culture politique »

Dominique Pons, professeur de science politique au lycée Georges Clémenceau de Montpellier, a abordé les primaires avec ses 52 élèves de terminale ES. Pour Haut-Courant, elle livre son analyse sur l’ouverture du vote à 16 ans par le PS et EELV, et le rôle du lycée en matière d’éducation politique.

Comment avez-vous envisagé de travailler sur les primaires avec vos élèves ?

Je souhaite aborder les primaires avec mes élèves à partir de mi-novembre. Nous allons nous pencher sur le fonctionnement de ces primaires : détailler les candidats, les différents partis ainsi que les modes de scrutin. Je souhaite également envoyer mes élèves en reportage dans les bureaux de vote à l’occasion du premier tour des républicains.

Par ailleurs, j’envisage de proposer à mes élèves de suivre l’actualité des primaires sur les réseaux sociaux. Les lycéens ne lisent pas la presse, il est donc préférable de trouver des modes d’accès à l’information différents afin de les intéresser et d’encourager une pratique plus autonome et moins rébarbative pour eux.

Pourquoi avoir choisi d’aborder les primaires si tardivement dans l’année? Une sensibilisation plus en amont aurait permis d’informer les élèves sur leur droit de vote et de les accompagner dans la compréhension des programmes politiques. Je pense notamment aux primaires EELV qui ont clôturé l’inscription sur leur liste électorale le 1er octobre.

Je reconnais que j’ai un peu loupé le coche des primaires EELV cette année. Toutefois mon intention n’est pas tant d’inciter les jeunes à aller voter mais plutôt de leur apporter quelques bases en matière de politique. Si je n’ai pas d’avis tranché sur la question du vote à 16 ans, je sais en revanche que les lycéens ont un niveau très bas en termes de culture politique. Ces problématiques ne sont pas abordées au collège et il me paraît difficile pour des jeunes de seconde d’aller voter sans aucun pré-requis en la matière. Pour beaucoup les notions mêmes de gauche et de droite ne sont pas évidentes.

La culture politique n’est pas innée, c’est quelque chose qui s’apprend et se travaille dans le temps. Je considère les primaires comme une bonne amorce pour se familiariser avec la politique, sans intention de vote spécifique derrière. Il s’agit avant tout d’un exercice que les élèves pourront remettre en pratique à 18 ans.

D’après vos observations et vos ressentis en tant qu’enseignante, diriez-vous que les lycéens sont curieux et désireux d’en apprendre davantage sur les questions politiques ?

Cela dépend des élèves. Sur les 52 étudiants que je prends en charge, l’intérêt est très inégal. Concrètement, je dirai que seul un tiers d’entre eux s’intéresse réellement à la politique.

Pensez-vous qu’il est du devoir du lycée de sensibiliser davantage les jeunes à la politique ?

Au lycée Georges Clémenceau, seules trois classes de terminale sur 13 suivent l’option science politique. Les autres élèves suivent des cours d’EMC (Éducation civique et morale) et les sujets traités sont au choix du professeur. Rien n’est réglementé dans le programme scolaire officiel en matière de sensibilisation politique. De plus, tous les lycées ne proposent pas une option science politique à leurs élèves.

En outre, il me paraît important d’avoir quelques notions d’économie afin d’aborder les questions politiques, ce que n’ont pas les lycéens en parcours littéraire ou scientifique. Pour enseigner la politique à l’ensemble des élèves il faudrait repenser beaucoup de choses. Cela serait assez compliqué à mettre en œuvre.

On a fait un jeu à boire devant le débat de la primaire

« Décisif ». Voilà comment France 2 a vendu le troisième débat de la primaire de la droite et du centre, ultime affrontement entre les 7 candidats avant le premier tour ce dimanche. Dans la rédaction de Haut Courant, on s’est obligés à le regarder. Anticipant la qualité du spectacle proposé, on a décidé de le suivre d’une manière digne des étudiants que nous sommes : en buvant.

Cravate ou pas cravate ? Dès l’introduction du débat, Bruno Le Maire a mis fin au suspense et à notre sobriété. Le « renouveau » portait bien une cravate hier soir, au grand dam de 3 joueurs qui ont parié sur le contraire. Pour le reste de la soirée, les choses sont bien plus sérieuses et les règles sont simples : chaque joueur incarne un candidat tiré au sort par une main presque innocente. Presque, puisque choisie dans un bar. Chaque fois qu’une case est cochée sur le bingo, le joueur boit un coup. Avertissement : cet article va parler autant d’alcool que du débat d’hier.

Les deux premiers débats ayant été soporifiques, on a décidé de se motiver pour le regarder, en faisant ce que les étudiants font de mieux : s’intéresser à la politique. Et boire. Surtout boire. On a donc fait des recherches extensives au comptoir pour écrire ce bingo tout en se préparant physiquement. Oui, Buzzfeed et Libé ont aussi fait des bingos. La Voix du Nord a poussé le vice jusqu’à écrire un bingo par candidat. Nous aussi. De toute façon, il est permis de copier puisque France 2 a clairement pompé notre photo de couverture Facebook pour son générique de début.

Surtout, pas d’originalité

« Bonsoir. » « Bonsoir. » « Bonsoir. » « Bonsoir. » « Bonsoir. » « Bonsoir. » « Bonsoir. » Pas de fantaisies ni de salut aux camarades présents hier soir. Le premier mot des candidats est à l’image de la première heure du débat : chacun dans son couloir et surtout pas d’originalité. David Pujadas attaque d’emblée sur l’élection de Donald Trump et « une poussée des populismes, peut-être aussi en France ? ». Peut-être, qui sait ? Festival de parades des candidats, personne ne voulant se mettre à dos le président-élu des États-Unis, ni froisser un potentiel électorat trumpiste. Juppé répond à la question par une question, NKM rappelle que Clinton a gagné le vote populaire, Bruno Le Maire frise le point Godwin en rapprochant la situation actuelle de l’Europe de 1945. Jusqu’ici, le bingo est un échec, les verres restent désespérément pleins.

Sans transition, Pujadas abandonne le sujet de la défense européenne et demande à l’ancien président Sarkozy si Alain Juppé est le meilleur rempart contre l’extrême-droite. On ne sait pas trop ce que cette question vient faire là. C’est sans importance. En 15 secondes, Nicolas Sarkozy dégaine un gloubi-boulga de propositions sur le Conseil de sécurité de l’ONU, l’agriculture française et un « Buy European Act ». Le rempart contre l’extrême-droite n’a pas tremblé.

Au tour de Jean-François Copé de réaliser le premier combo de la soirée : en une minute, il rappelle qu’il n’a pas été ministre, qu’il est ici seulement pour dézinguer de l’ancien président et qu’il est « décomplexé ». C’est celui qui le dit qui l’est. Alain Juppé rappelle que lui aussi est de droite, mais pas que de droite : « et du centre » ! Il n’a même pas peur du méchant Macron qui vient de se déclarer candidat, le refoulant à gauche. Macron est de gauche, tremblez, peuple de France ! Enfin, les verres commencent à se vider.

Pujadas fait le service minimum. Ouf !

Jusqu’à 21h15, on a eu peur de devoir changer de métier. Si si, regardez en bas à droite du bingo : « pas de questions sur Takieddine dans Mediapart = on finit les bouteilles et on change tous de métier. » On a bien fini les bouteilles, mais on n’a pas changé de métier. « Avez-vous oui ou non reçu de l’argent liquide de Libye pour financer votre campagne de 2007 ? » Dans son coin, Jean-Frédéric Poisson s’exclame « c’est pas vrai ». Les grands chevaux n’ont jamais été autant montés par un Nicolas Sarkozy outragé, un Nicolas Sarkozy brisé, un Nicolas Sarkozy martyrisé ! Mais un Nicolas Sarkozy libéré par « l’indignité » de la question, « une honte pour le service public ». David Pujadas ne relance pas l’ancien président, mais a fait le service minimum. Ouf.

Arrive le premier intervieweur, un jeune journaliste plein d’avenir. Transfuge de l’ORTF où il présentait le journal en noir et blanc au début des années 1970, à l’époque où même Alain Juppé était encore étudiant, Jean-Pierre Elkabbach débarque pour aborder l’international et l’Europe de manière mesurée, réfléchie et pas du tout anxiogène : « La France est en guerre ». Et on s’étonne que la jeunesse se réfugie dans l’alcool.
À ce moment, on regrette de ne pas avoir mis « ton candidat reprend un journaliste de volée » dans le bingo. NKM reprend Jean-Pierre Elkabbach sur la présence des forces spéciales françaises en Syrie. Ça vaut bien un « Taisez-vous Elkabbach ». Et une gorgée de plus. S’en suit une passe d’armes assez désagréable, qui affiche un méprisable mépris pour Monsieur « Renouveau mais avec une cravate quand même ».

L’ennui nous gagne

Sur l’international, il faut le dire, on s’ennuie un peu. Il n’y en a quasiment pas dans le bingo, comme dans les programmes de la plupart des candidats. Jean-Frédéric Poisson est toujours coincé à 1 minute 17 alors qu’Alain Juppé dépasse les 5, et son joueur commence à s’impatienter. Le candidat du PCD est le seul à soutenir Bachar Al-Assad, à qui il a rendu visite à plusieurs reprises. François Fillon affirme qu’Al-Assad a un « soutien populaire ». Malgré ces superbes énormités, on s’ennuie un peu. Jusqu’au moment où Alain Juppé apostrophe Fillon : « t’as fini ? » On avait un peu décroché du débat, mais ce micro clash nous redonne la super-pêche.

Entendu à la rédac : « Ils disent plein de conneries quand même. » On désespère un peu. Après plus d’une heure à s’hydrater en rythme avec les candidats, l’analyse politique de Haut Courant s’émousse et les candidats nous font remonter le temps grâce à leurs propositions. Suppression du collège unique, service militaire (ou « national »), voire salut au drapeau, Marseillaise obligatoire et uniformes dans les écoles pour Jean-François Copé. Pendant que François Fillon veut redresser la France, on lève le coude et on oublie un peu de l’écouter. Des sondages improvisés sont lancés dans la salle : qui vote ? à gauche ? à droite ? Sans surprise, la moitié des joueurs ne vote peu ou pas. À l’image d’une génération. Étonnant quand on voit des candidats à la présidence de la République âgés de 43 à 71 ans.

Vive le débat d’idées, et vive le journalisme de canapé !

23h, on fait les comptes. Copé a déjà coché 5 cases, les bouteilles se vident. Toutes les cinq minutes, on entend « Qui joue Sarkozy ? Il a été pris en flag d’intox par Le Monde, tu bois ! » Rarement un candidat à la présidentielle aura autant dragué l’électorat âgé : rétablissement du service militaire, suppression des allocations pour les parents d’élèves absentéistes… Et rarement un journaliste aura autant bu devant un débat. Il devient difficile de se concentrer et d’écouter les candidats. Sur les notes prises par les joueurs, on lit « manque de réalisme », « propositions creuses », « faiblesse des idées », « Poisson est muet comme une carpe »…

Allez, on a tenu jusque-là, dernier effort de concentration pour les conclusions des candidats. Poisson balance son texte comme on récite du Prévert à l’école primaire. Juppé nous fait regretter d’avoir enlever « rassembler » du bingo. Mention spéciale pour Jean-François Copé, qui termine son allocution de candidat à la présidence de la République en rappelant qu’il est maire de Meaux, 53 000 habitants. Le renouveau répète ad nauseam qu’il faut de l’audace. Danton s’en retourne dans sa tombe. Sarkozy agite tous les épouvantails à sa disposition. Éthyliquement, la rédaction s’anime une dernière fois, tellement qu’on en oublie d’écouter François Fillon (oups). De NKM, on retiendra « moi, moi, moi. » Drôle de débat que ce grand oral où les candidats se parlent sans vraiment se répondre, chacun préférant se différencier de ses adversaires grâce à des détails infimes plutôt que d’entrer dans une joute d’idées. Pour citer David Pujadas, « vive le débat d’idées ». Et vive le journalisme de canapé !

Avec la primaire, Les Républicains de l’Hérault rêvent de reconquête

Le parti Les Républicains, en perdition dans l’Hérault après avoir enchainé de lourdes défaites électorales depuis plus de dix ans, compte sur l’instant primaire pour se remettre en ordre de bataille.

Après un enchainement de campagnes chaotiques, de cuisantes défaites aux législatives, aux municipales puis aux régionales, la droite héraultaise – travaillée de surcroit par d’incessantes luttes d’égos – est en quête d’un magicien pour la remettre en selle. Mais faute de l’avoir trouvé, elle mise sur la primaire pour tenter de mobiliser son électorat et de mettre un terme à ces luttes intestines. Pas gagné… La victoire de Robert Ménard, soutenu par le Front national à Béziers ou encore la défaite de Dominique Reynié (le candidat de Nicolas Sarkozy, contesté localement) aux élections régionales ont laissé des plaies à vif.

Apaisement dans les rangs

Aujourd’hui l’heure est à la trêve et au rassemblement a minima autour du président départemental des Républicains et unique député de droite de l’Hérault, Élie Aboud. Tous les ténors locaux se sont accordés sur la répartition des bureaux de vote dans le département et sur la présence des assesseurs et des soutiens de chaque candidat le jour du scrutin. Une telle décision consensuelle est si inhabituelle que même Élie Aboud, battu aux municipales à Béziers par Robert Ménard, en est surpris : « Aucun commentaire et aucune remarque n’ont été émis à la suite des décisions prises. »

L’effet primaire plus fort que les guéguerres habituelles ? « Le pire n’est jamais certain », s’amuse le sénateur-maire Les Républicains de Castelnau-le-Lez, Jean-Pierre Grand, à propos des tensions au sein de sa formation. Ce soutien d’Alain Juppé assure qu’il n’y a « pas de bataille d’égo » en ce moment parmi ses « amis » héraultais mais une « réelle vision commune de rassemblement ». Un langage d’apaisement après des semaines de très violents règlements de compte lors de l’élection, en début d’année, du président départemental du parti. Contesté par une partie des grands élus du cru, Élie Aboud affiche une posture de « neutralité bienveillante auprès de tous les candidats » pour ne pas réveiller les vieux démons de la division. Il a cependant accordé son soutien à Jean-François Copé pour que le maire de Meaux puisse concourir à la primaire.

50 000 électeurs espérés… pour 4000 adhérents héraultais


Crédit: carte réalisée par France 3 Languedoc-Roussillon.

Sur les 10 228 bureaux de vote ouverts les 20 et 27 novembre à l’occasion du scrutin, 161 bureaux de vote sont attribués au département de l’Hérault (soit 1,57 % pour une population héraultaise représentant environ 1,66% de la population française). Selon Élie Aboud, une primaire de la droite et du centre réussie « réunirait plus de cinq millions d’électeurs » en France et entre « 50 000 et 60 000 électeurs héraultais ». Des chiffres optimistes pour un département comptant officiellement 3960 adhérents. Le député espère surtout que « chaque militant aura la capacité de mobiliser entre 15 et 20 personnes autour de lui » afin d’aller voter lors de la primaire. Pour redonner de la crédibilité à son parti au plan local, il mise sur une forte participation : « Chacun a son écurie et son fan club, […], il est fondamental de respecter ça. Mais j’espère que la primaire permettra de mobiliser le plus de personnes possible. »

Difficulté à rassembler

-332.jpg

Les Républicains ont vu les choses en grand : 120 000 tracts ont été imprimés et seront distribués sur l’ensemble du département d’ici le premier tour. Des tracts neutres présentant les sept candidats et surtout le lieu des bureaux de vote. Élie Aboud souligne d’ailleurs ne pas savoir « comment les militants et les comités de soutien des candidats communiquent et font campagne ». Plus que la mise en valeur des différents programmes, les tracts et affiches mettent en valeur l’importance de la mobilisation le jour du vote. Selon Marine Michet, responsable départementale des jeunes Républicains, « faire de la politique à un niveau local pour une élection d’un nouveau type tel que la primaire n’est pas aisé ». Ce que confirme Adeline Bonamy, coordinatrice du comité de soutien de François Fillon à Montpellier. Cette dernière explique qu’en dépit d’un soutien « considérable de la société civile et des sympathisants », les comités de soutien peinent à mobiliser par manque de motivation, mais aussi par « manque d’habitude de ce genre de campagne » inédite à droite.

Dans l’Hérault politiquement meurtri par des années de divisions, l’après primaire est sans doute plus important que la stricte désignation du candidat à la présidentielle. Elle conditionnera surtout une éventuelle reconquête aux législatives de juin 2017.

À Beaucaire, la primaire de droite boit le bouillon

Sous la grisaille automnale, Beaucaire délaisse la primaire de la droite et du centre. Passée au Front national en 2014 avec l’élection du maire Julien Sanchez, cette commune de 16 000 habitants est depuis l’un des symboles de la montée de l’extrême droite en France. À quelques jours des primaires, une tournée dans les bars de la ville offre un panorama de l’intérêt porté au sujet par les électeurs FN.

Surplombé par son château millénaire, le centre ville de Beaucaire (Gard) offre le visage de ses rues désertes, un peu tristes en cet après-midi d’octobre. Des commerces sans grand charme, beaucoup de rideaux tirés, et une impression globale de chape de plomb. Pour trouver un semblant d’animation, il faut se rendre vers les bords du canal du Rhône ou sur la place Georges Clemenceau, siège de l’hôtel de ville [dirigé par le jeune maire FN Julien Sanchez, 33 ans cette année. Haut Courant a décidé d’aller à Beaucaire avec une question en tête: les électeurs frontistes auraient-ils la tentation, l’envie d’aller troubler ou du moins de participer à la primaire de la droite et du centre ? Après tout, l’offre politique proposée par les Républicains avec « la droite décomplexée » de Jean-François Copé, le propos ultra conservateur du chrétien Jean-Frédéric Poisson ou encore le virage très droitier adressé à « la France silencieuse » de Nicolas Sarkozy aurait de quoi séduire (ou pas !) un électorat local majoritairement d’extrême droite.

Le château de Beaucaire

À la Brasserie des Arts, sur la place de la République, les trois hommes au comptoir assurent d’emblée qu’ils n’ont pas l’intention d’aller voter. Parmi eux Francis, artisan retraité, ne se sent représenté par aucun des candidats Les Républicains qu’il juge usés, pas crédibles, voire corrompus. « Pour moi il n’y a pas d’intérêt à aller voter, Juppé a des casseroles qui lui courent après, quant à Sarkozy il est grillé… » Chez Francis, le rejet et la défiance de la politique est total. L’omniprésence médiatique des responsables politiques l’insupporte : « Voir toujours les même têtes ridés, c’est trop. On les connaît tous et on a tous déjà vu ce qu’ils ont fait quand ils sont au pouvoir. » Issu d’une famille communiste, il dit apprécier le maire FN de sa ville (il a voté pour lui au second tour) et aimerait même « essayer le Front national à la prochaine élection présidentielle, pour lui laisser une chance et voir de quoi il est capable ». Ses compères de pastis et rosé acquiescent, mais tiennent à l’anonymat de leur propos.

Un ras-le-bol des grands partis

Au Bar des Halles, dans la rue de l’Hôtel de ville, cette primaire passionne toujours aussi peu. Ici, quatre hommes d’une cinquantaine d’années, tous commerçants ou entrepreneurs ayant connu des difficultés ou une faillite, expliquent qu’ils ne sont plus intéressés par ces candidats de la droite républicaine. Assis dans la cour intérieure, ils sirotent un verre de pastis et tirent sur une droite qui « n’est plus ce qu’elle était ». À les entendre, « elle était proche des travailleurs, des artisans et du français moyen qui se lève tôt pour travailler. Maintenant elle ne s’occupe plus que d’histoires de gros sous et a le nez dans la finance. » Plus généralement, la politique les désespère. Parmi ces quatre hommes, un seul se rend encore régulièrement aux urnes. Les autres ne votent plus. Et aucun n’a l’intention de participer au scrutin primaire de la droite.

Bar des Halles

Au bar des 2G, sur le boulevard Foch, la critique continue. Assis au comptoir, Sébastian et Jacques ne manquent pas d’adjectifs pour exprimer leur dégout. Un pastis offert par le patron à la main, Jacques affirme qu’il a « perdu confiance » en la politique. « J’ai voté pour Hollande en 2012, aujourd’hui je voudrais le voir pendu. Je préfère voter extrême gauche ou droite plutôt que pour les socialistes. Eux on sait déjà ce qu’ils valent, autant essayer les nouveaux. » De son coté, Sébastian indique avoir une préférence pour Bruno Le Maire, qu’il « verrait bien comme gagnant de la primaire. » Mais, malgré cet avis qui tranche avec le reste des propos entendus, il ne se déplacera pas non plus à l’élection à venir, trop « saoulé par tous ces politiques ».

Pour nombre de Beaucarois rencontrés au fil des cafés, le FN n’est plus un parti extrême. Désinhibée depuis les dernières élections municipales, leur parole s’est libérée et avec elle leur volonté de changement radical. Francis le dit sans détour, pour lui « le Front national n’est plus le parti radical de Jean-Marie Le Pen. Avec Marine les choses ont changé, c’est maintenant un parti de jeunes, ouvert aux homosexuels, aux noirs, aux arabes. » Au-delà des murailles de Beaucaire, le FN et ses électeurs rêvent d’un succès en 2017, bien loin des bureaux de vote de la primaire à droite.

Charlotte Marchandise veut «hacker la politique»

Candidate à LaPrimaire.org, Charlotte Marchandise veut casser les codes de la politique classique. Rencontre avec une hyperactive déjà engagée dans la course aux 500 signatures pour la présidentielle.

Charlotte Marchandise et ses 1001 vies… Active dans le milieu associatif, formatrice indépendante, adjointe en charge de la santé à la mairie de Rennes, présidente du réseau des villes OMS, elle vient en plus de sortir en tête du 1er tour de LaPrimaire.org, qui vise à faire émerger une candidature citoyenne à la présidentielle (sur le même sujet, lire notre article sur LaPrimaire.org). C’était pour elle une question vitale et, surtout, de convictions. Comme les organisateurs de la primaire citoyenne, elle a dressé depuis longtemps le constat d’une perte de confiance des Français dans la politique. Mais contrairement à tous ceux qui se contentent « de râler au lieu d’agir », elle entend « réformer ce système qui ne fonctionne plus  ».

Charlotte Marchandise se détachait des 12 autres candidats de la LaPrimaire.org (ils ne sont plus que 5 avec elle en lice pour le second tour) par sa relative expérience en politique. Non encartée, elle a été élue au titre de la société civile en 2014 à la mairie PS de Rennes.

Militante, élue mais pas partisane

Jusqu’à cette date, elle se tenait à l’écart de la politique, préférant l’engagement associatif. Motivée par les valeurs de tolérance, de solidarité et de justice sociale, comme elle l’affirme sur le site de LaPrimaire.org, Charlotte Marchandise se définit aussi comme une « militante ».
« À chaque fois que je me suis rapprochée des partis politiques, je m’en suis vite écartée. Je ne me reconnais pas dans leur fonctionnement, que ça soit leur structure, leur côté partisan et leur manque de transparence. C’est surtout l’absence de renouvellement politique et l’insuffisante présence de femmes qui me dérangent. »

En 2014, elle est approchée par plusieurs formations politiques. La liste « Changez la Ville », composée à parts égales de membres d’EELV, du Front de Gauche et de Citoyens, la convainc d’aller plus loin.

« Ils cherchaient des femmes, car la parité c’est ça aussi, et des gens impliqués de la société civile, non encartés. Ils m’ont convaincu grâce à l’affiche qui mettait en avant un homme et une femme. Je me suis présentée en me disant qu’on ne sera jamais élu. À Rennes, le Parti socialiste a pignon sur rue. On a fait 16 %, il y a eu des négociations et des postes d’adjoints ont été attribués. Comme je me suis beaucoup impliquée pour que les non encartés soient aussi dans ces discussions, j’ai accepté un mandat d’adjointe déléguée à la santé à la mairie qu’on m’a proposé. Pour moi, la société civile apporte des qualités différentes que celles des politiques.  »

Charlotte Marchandise affirme que ce mandat d’élue est un avantage pour candidater à LaPrimaire.org. Elle n’y voit pas de contradiction avec le présupposé de la primaire : avoir des candidats politiquement vierges. « Je suis en capacité de parler un peu mieux des relations de pouvoir et de la façon dont ça se passe que quelqu’un qui n’aura jamais mis les pieds là-dedans. Cela me permet aussi de me confronter à la réalité du métier. »

Réformer la politique de l’intérieur

Pour autant, Charlotte Marchandise avoue en substance « ne pas avoir ce qu’il faut pour faire de la politique  », prisonnière de ces codes anachroniques. Elle veut donc réformer « ce système qui ne fonctionne plus  ». « Il faut hacker la politique », se réjouit-elle. Pour y parvenir, elle souhaite remettre au centre des débats des préoccupations majeures trop peu traitées par les agendas politiques classiques : santé, renouvellement écologique et démocratie. Et profiter de ce nouvel instrument de démocratie offert par LaPrimaire.org pour réformer ce qui ne marche pas. Pour cela, la candidate compte bien s’appuyer sur son expérience : « Présidente des villes OMS, je travaille avec 85 villes. Là où je me sens le plus utile, c’est quand on arrive à écrire une déclaration politique commune avec des villes qui vont de Les Républicains au Front de gauche. Quelque part, je suis beaucoup moins clivante car mon intérêt n’est pas de défendre mon parti mais de représenter le plus de Français possible et de trouver une forme de dialogue entre des intérêts différents.  »-347.jpg

Côté programme, elle ne recherche pas l’exhaustivité mais des propositions qui « rassemblent au-delà des partis ». S’estimant « pas du tout légitime pour écrire un programme seule  », elle compte s’appuyer des experts scientifiques, économistes de tout bord. L’une de ces mesures phares consiste à donner le droit aux citoyens de réécrire la Constitution en deux ans. Elle souhaite d’ailleurs limiter son éventuelle présidence de la République à ce laps de temps, « nécessaire pour créer une constituante en emmenant tout le monde ».

Habituée à travailler avec les élus dans le cadre de ses fonctions, Charlotte Marchandise refuse de tomber dans le stéréotype du « tous pourris ». Elle pose même un regard bienveillant sur les maires des petites villes : « Ils gagnent 800 euros par mois, ils sont 24 h sur 24 sur le pont et n’arrivent pas forcément à concilier une vie professionnelle avec une vie élective. Ils se retrouvent pieds et poings liés à cumuler des mandats. Moi, je ne cumule pas, mais je ne gagne pas assez ma vie en tant qu’élue. »

L’hyperactive Charlotte Marchandise pourrait donner le tournis tant elle multiplie les activités et bouillonne d’idées. « Ma famille est à 100 % derrière moi. Mon fils de 6 ans a dit à sa maîtresse que sa maman allait remplacer François Hollande », lâche-t-elle en rigolant. Vraiment une blague ? Pas si sûr : elle a commencé la course aux 500 parrainages pour pouvoir se présenter à la présidentielle. Mais à l’entendre « ce mouvement citoyen se joue sur le long terme, le véritable enjeu c’est les municipales dans quatre ans. » Elle en est convaincue : « On est en train de créer un outil qui va permettre de changer les choses.  »

LaPrimaire.org : la politique à portée de clic

Ils ne comptent pas sur les institutions et les partis mais sur des calculs mathématiques et des outils informatiques. Deux citoyens se sont lancés le défi d’organiser la première primaire citoyenne en ligne. Grâce au web et à un système électoral inédit, LaPrimaire.org veut faire émerger un candidat citoyen pour la présidentielle de 2017.

Ils comptent s’installer à l’Élysée en 2017. Pourtant, ils ne sont membres d’aucun parti, n’obéissent pas à une ligne partisane et n’ont peu ou pas d’expérience politique. Thibauld Favre, ingénieur en informatique et David Guez, avocat, ont créé l’association Democratech en 2015. C’est la première fois qu’ils s’impliquent en politique, avec pour objectifs de donner la parole différemment aux citoyens et de casser les logiques des partis traditionnels. Leur association organise aujourd’hui la première primaire ouverte et citoyenne en ligne grâce à leur site LaPrimaire.org.
Pour l’heure, plus de 88 000 personnes se sont inscrites pour participer à leur initiative. Les concepteurs du projet en attendent eux, 100 000, un chiffre minimum à leurs yeux pour acquérir crédibilité et légitimité.

Selon eux, le système politique français ne fonctionne plus. Avec leur plateforme de primaire citoyenne en ligne, ils proposent de le réinventer. Leur constat : 9 français sur 10 n’ont plus confiance dans les partis et seul 0.5% de la population est membre d’un parti politique. Il y a une crise de représentation et un sentiment de méfiance qui s’est installé vis-à-vis des partis et des élus. Face à ce désenchantement, LaPrimaire.org propose de nouveaux outils pour que les électeurs puissent se réapproprier la politique. Ils expliquent : « Le but c’est de retourner la pyramide. Les partis politiques fonctionnent de manière très centralisée. Ils désignent des candidats, élaborent un programme et le servent aux citoyens. L’électeur est passif. Nous on pense que c’est l’inverse, ça doit partir des citoyens. Ils choisissent leur candidat, co-construisent des programmes et in fine il y a quelqu’un qui sort pour porter ça. »

-331.jpg

Le web pour prendre le contre-pied des partis

L’utilisation du web répond d’abord à une préoccupation pragmatique : le financement. L’association vit uniquement grâce aux dons de citoyens qui soutiennent le projet (un peu plus de 60 000 euros ont été récoltés à ce jour). L’autre raison est une conviction des organisateurs : « Les partis politiques se sont créés lorsqu’il n’y avait pas encore internet. Ils fonctionnent d’une manière qui est non numérique. Pour leur primaire, Les Républicains vont dépenser 8 millions d’euros juste pour le vote ! Le web apporte de nouveaux outils et permet de réinventer la manière dont un parti fonctionne. »
Lorsqu’on se rend sur le site, son caractère intuitif et interactif, permet de saisir aussitôt le déroulement de la primaire, le système de vote, le profil des candidats et le fonctionnement de l’association. C’est très exhaustif et on y trouve même des réponses aux questions que l’on ne se posait pas ! Graphiques, animations et communication efficace donnent à ce projet un peu fou des allures très sérieuses.

-43.png

Choisir un candidat plus qu’un programme

Entre avril et juillet 2016, tous ceux qui souhaitaient s’inscrire gratuitement sur la plateforme pour être candidat ont dû signer une Charte (8 engagements pour garantir un comportement éthique), avant de pouvoir se présenter et proposer un programme. Les citoyens étaient ensuite invités à apporter leur soutien à ces candidats. Parmi eux, ceux qui recevaient 500 soutiens étaient qualifiés pour le premier tour.
Parmi les 215 candidats putatifs, 16 se sont qualifiés. Ils ne sont aujourd’hui plus que 12 en raison du jeu des ralliements de certains. Mais l’un d’entre eux, Maxime Verner a quitté l’aventure LaPrimaire.org. Cet ancien « candidat des jeunes » autoproclamé à la présidentielle de 2012 a préféré l’aventure individuelle en allant quérir par ses propres moyens les 500 parrainages d’élus indispensables à tout candidat à l’élection présidentielle.

-333.jpg

Chaque programme est consultable en ligne sous forme d’articles thématiques. Les candidats ne revendiquent aucun rattachement à une ligne politique traditionnelle mais empruntent plutôt des idées aux différents partis en y apportant leur touche personnelle. Le but n’est pas de proposer un programme complet mais d’avancer des idées en fonction de ses compétences. Charlotte Marchandise, candidate à la primaire citoyenne et adjointe à la santé de la ville de Rennes propose notamment d’intégrer la santé dans tous les domaines d’action (lire notre portrait de Charlotte Marchandise). Chaque décision devrait être prise en fonction de ses effets sur la santé, notamment en termes de politique énergétique, d’urbanisme et économique. À terme, les organisateurs souhaitent que chaque citoyen contribue à l’élaboration d’un programme complet. Le vote a pour but de faire émerger une personne qui porterait un programme commun plus qu’un candidat et ses opinions personnelles.

-328.jpg

Le vote au jugement majoritaire : innovant mais complexe

Thibauld Favre et David Guez ont mis au point un système de vote en ligne innovant, dit « au jugement majoritaire ». Il peut être déroutant tant il est aux antipodes des habitudes électorales. Thibauld Favre en est conscient : le système « n’est pas compliqué en soit, l’expliquer c’est compliqué mais à partir du moment où on fait une jolie interface et quelque chose d’intuitif, je pense qu’il n’y a pas de problème ». Une dessinatrice a même réalisé un tutoriel sous forme de bande dessinée qui explique son fonctionnement.

Un lot comprenant 5 candidats sélectionnés aléatoirement est proposé à l’électeur inscrit. Grâce à un algorithme, ce regroupement en lot garantit l’équité : chacun des 12 candidats sera soumis au vote des citoyens le même nombre de fois.

-327.jpg

L’électeur doit se prononcer sur chacun des 5 aspirants à l’Élysée. Le candidat citoyen n’est pas choisi mais jugé. Les votants attribuent des mentions allant de « Très Bien » à « Passable » à chacun des 5 candidats. À l’issue de ce vote, les postulants ayant obtenu les meilleures mentions sont qualifiés. Ils ne seront pas 2 mais bien 5 candidats au second tour de cette primaire atypique qui se tiendra en décembre : Charlotte Marchandise, Nicolas Bernabeu, Michel Bourgeois, Roxane Revon et Michaël Pettini.

Le vote au jugement majoritaire expliqué par Tatienne Laplanche

Pour garantir la sécurité du vote, les organisateurs ont misé sur un système en blockchain. Cette technologie de stockage sécurise la récupération des données, garantit l’anonymat du vote et permet la consultation des informations.

Créer un parti pour sortir du système des partis

Tout est fait pour prendre le contre-pied des partis politiques et du système en général. À travers leur plateforme, les concepteurs de LaPrimaire.org ont cherché à prendre le contre-pied radical des partis politiques et du système électoral traditionnel à deux tours. Mais pour avoir la possibilité réelle de concourir à l’élection présidentielle, ils ont dû se plier aux institutions et lois qui régissent les élections.
En décembre le candidat citoyen sera donc désigné. Commencera alors pour lui la recherche des fameuses 500 signatures d’élus pour pouvoir se lancer dans la course à l’Élysée. Là aussi, Thibauld Favre et David Guez comptent sur les citoyens. Ils misent sur le crowdsourcing, c’est-à-dire l’appel aux compétences et savoir-faire de chacun pour aboutir à une production participative. Les organisateurs inciteront les quelque 88 000 citoyens inscrits à aller voir un élu ou toquer à la porte de leur maire pour tenter de récolter les précieux parrainages. Thibauld Favre est « confiant, il faut être optimiste. C’est aussi ça l’enjeu des 100 000 participants, il faut une base solide derrière. »

Thibauld Favre va devoir composer avec une contrainte législative : celle qui oblige tout candidat à la présidentielle à s’adosser à un parti politique. Le candidat citoyen de LaPrimaire.org sera bel et bien obligé d’en fonder un… et d’entrer dans ce système qu’il rejette tant. Les créateurs du site ont du coup décidé de créer un parti pour 2 ans. Une fois la campagne présidentielle terminée et les comptes faits, il sera dissous. « C’est un outil, c’est un véhicule pour mener la campagne. En dehors des élections on ne voit pas l’intérêt. » Pour eux, l’élection présidentielle n’est qu’une première étape, certes de taille. « Le but c’est toutes les élections donc on créera un parti à chaque élection ». Ils ambitionnent d’impulser des candidatures citoyennes toujours plus nombreuses aux élections législatives et municipales. Mais au préalable, ils devront réussir le passage d’un environnement virtuel à une campagne électorale bien réelle.

À Castelnau-le-Lez, les jeunes « boitent » pour Alain Juppé

Il pourrait être leur grand-père, mais ils préfèrent Alain Juppé à Bruno Le Maire ou Nathalie Kosciusko-Morizet, pas encore cinquantenaires. Malgré son âge avancé, l’ancien premier ministre est activement soutenu par des jeunes héraultais.

Sur la place Mendès France de Castelnau-le-Lez, à quelques mètres de l’hôtel de ville, une seule vitrine diffuse de la lumière. Il est 19h30, des militants s’activent dans la permanence parlementaire de Jean-Pierre Grand. Le sénateur-maire (LR) du cru supporte désormais Alain Juppé à la primaire de la droite et du centre, après avoir été un anti-sarkozyste de choc sous la houlette de Dominique de Villepin. Les soutiens de l’ancien premier ministre, 71 ans cette année, s’activent autour de Montpellier, y compris parmi les jeunes militants. « Ce n’est pas contradictoire d’être jeune et de soutenir Juppé, affirme Marine, 28 ans, militante depuis 2007. Il a une image de papy, plus rassembleur et plus rassurant que Nicolas Sarkozy. »

-330.jpg

Sur la table, les prospectus entourent les bières et les pizzas. Ce soir d’octobre, les « Jeunes avec Juppé » se préparent à un « boitage ». En langage militant, distribuer des tracts dans les boites aux lettres. « C’est le moyen le plus sûr pour que les gens aient le message », assure Romain, qui participe à sa troisième campagne présidentielle depuis 2002. « Je suis un « plus trop jeune » », assume-t-il en souriant. « Pour nous, jeune c’est jusqu’à 30 ans. Mais il n’y a pas de règle dans le parti, explique Marine. Alain Juppé a besoin des jeunes. S’il est élu, il ne fera qu’un seul mandat. Il a besoin qu’il y ait un renouvellement de la classe politique derrière lui. » Au-dessus du bureau où s’accumulent les piles de prospectus siglés « Jeunes avec Juppé », le général De Gaulle toise la pièce depuis la bibliothèque de l’Élysée.

« La primaire attire les jeunes »

Ouvrir le tract du candidat, insérer l’adresse des deux bureaux de vote de Castelnau-le-Lez, refermer le tract, recommencer. Il faut préparer au moins 400 prospectus. « Dans notre comité, on est une vingtaine de sympathisants et sept ou huit militants actifs, déclare Cédric, 26 ans et animateur de la page Facebook « Les jeunes de l’Hérault avec Juppé ». On a même des jeunes de 18, 19 ans qui sont attirés par le personnage. » Parmi eux, certains sont déjà des professionnels de la politique, élu local ou attaché parlementaire. Ce soir-là, un renfort est accueilli avec plaisir par le trio de militants. Rémi, 20 ans, est encarté UDI fraichement arrivé à Montpellier. L’Union des démocrates et des indépendants a officialisé son soutien à Alain Juppé le 12 octobre. Un rapprochement entre jeunes juppéistes et jeunes centristes héraultais est en projet.

-329.jpg

« La primaire attire les jeunes, confie Marine. Il y a un côté très démocratique et nouveau qui plait. Ils se sentent plus concernés que pour une élection classique où le candidat est en quelque sorte imposé. » Pourtant, les jeunes militants visent peu leur génération. Pas de propagande « jeune » spécifique, ni d’actions ciblées localement. Ce soir-là, ils ont choisi de « boiter » dans un quartier pavillonnaire des hauteurs de Castelnau-le-Lez. « On sait que la droite a fait un bon score aux bureaux de vote du secteur, explique Marine, mais à terme on va faire tout Castelnau. »

Garder des forces

Après quelques minutes de voiture, ils se séparent en deux équipes pour distribuer leur propagande. Le matériel du bon militant : pile de tracts, carte du secteur et feutre rose fluorescent pour marquer les rues parcourues. Sous la nuit claire, l’ambiance est détendue. « On est en famille », dit Marine en glissant un tract dans une boite aux lettres. La conversation passe de la performance d’Alain Juppé à l’Émission politique de France 2 à la série Game of Thrones sans difficulté. Marine et Cédric ont trouvé leur candidat convaincant sur France 2, malgré des questions sur son passé judiciaire. Alain Juppé est le seul candidat de la primaire à avoir été condamné et pas seulement mis en examen. En 2004, il est condamné à 14 mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. « Du réchauffé », selon Marine. Cédric enchérit en citant le candidat, qui a déclaré « qu’en matière judiciaire, il vaut mieux avoir un passé qu’un avenir. » Une pique lancée à son principal adversaire, l’ex retraité de la politique Nicolas Sarkozy mis en examen dans les affaires Bygmalion et Paul Bismuth.

-336.jpg
-335.jpg

Entre les casseroles judiciaires et le virage à l’extrême-droite de sa campagne, l’ancien président rebute les jeunes juppéistes. « Sarkozy est très proche du FN aujourd’hui, trop proche, dit Marine. Il a détruit l’UMP. Juppé va réintégrer le centre. Il veut rassembler, il rassure, surtout les jeunes. » Pourtant, si l’ancien président l’emporte, elle n’exclut pas de participer à sa campagne. « Après la primaire, l’important sera de faire gagner le parti. Je suivrais le chef, mais je serais surement moins engagée dans la campagne. »

La fraicheur et l’heure tardive ne découragent pas les militants. « Bien sûr, Alain Juppé n’est pas parfait, poursuit Marine en nourrissant les boites aux lettres de tracts. Il a l’âge qu’il a, mais ce ne sera pas le premier président âgé. Regardez Mitterrand et Pompidou. » « C’est le candidat le moins clivant de la primaire, détaille Cédric. Il ne joue pas sur la fibre identitaire, ça c’est pour les vieux, les jeunes s’en foutent. Regardez le vote du Brexit, les vieux ont voté en masse. Les jeunes veulent qu’on leur parle emploi, opportunités, avenir. Et ça, Juppé le fait. » Sur la carte, le quartier est couvert de rose, les tracts bleus sont dans les boites aux lettres. 23h, il est temps de rentrer. Les militants veulent garder des forces pour défendre le candidat jusqu’au 20 novembre, voire – ils l’espèrent – jusqu’au 7 mai.