Au Québec, la question de l’identité nationale se pose aussi

Le débat sur l’identité nationale n’est pas uniquement français. De même, l’Hexagone n’est pas le seul à se questionner sur le port ostentatoire de signes religieux. Au Québec, province francophone du Canada, la controverse est virulente. Et ce depuis plusieurs années. Le président français Nicolas Sarkozy s’est-il inspiré de ses cousins d’Outre-Atlantique pour son débat sur l’identité nationale ? En 2007, le premier ministre du Québec, Jean Charest, a lancé la Commission Bouchard-Taylor, ou plus exactement la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles. Outre la problématique de l’intégration, cette commission a mis en exergue toutes les questions que se posent les Québécois sur leur identité nationale. Aujourd’hui encore, la polémique continue dans la Belle Province.

L’identité nationale québécoise, une question ancienne

La question de l’identité nationale est un sujet sensible au cœur de la Belle Province. Pour autant, une grande majorité des Québécois s’identifie d’abord et avant tout au Québec, avant de s’identifier au Canada. « Ils ont ben compris qu’ils ont plus l’droit de nous appeler les Canadiens, Alors que l’on est québécois » chante Linda Lemay. Le Québec est leur nation. Mais comment définir la nation québécoise ?

Le nationalisme a toujours été fort au Québec depuis le XIXe siècle, donnant lieu à différents courants politiques et à divers courants de pensée, se basant très souvent sur l’antagonisme franco-anglais. Toutefois, la question de la souveraineté s’est cristallisée dans les années 1960 avec la Révolution Tranquille. Cette dernière marque, dans l’imaginaire collectif québécois, la formation d’une nouvelle société moderne, ouverte sur le monde et pénétrée par de grands idéaux tels la démocratie, le pluralisme et la nation. La Révolution tranquille fut une importante période de réformes politiques, économiques et culturelles entreprises par Jean Lesage et René Lévesque. Aujourd’hui encore, de nombreux partis politiques tels que le Parti québécois, Québec solidaire ou le Bloc québécois désirent la souveraineté de la province.

En 2006, le gouvernement fédéral canadien, en la personne de Stephen Harper, premier ministre canadien, émet une motion reconnaissant que « Les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni« . Celle-ci engendra un grand débat autour de la définition de la nation québécoise. Citons, notamment, une conférence tenue à l’Université Laval à Québec : « La nation québécoise existe-t-elle ? ».

L’identité nationale québécoise et les accommodements raisonnables.

La discussion fut relancée lors du débat public organisé pour la Commission de consultation Taylor-Bouchard sur les pratiques d’accommodement raisonnable reliées aux différences culturelles en 2007-2008. Qu’est ce qu’un accommodement raisonnable ? C’est une notion juridique canadienne issue du droit du travail, décrite dès 1985, par la Cour suprême du Canada comme :  » L’obligation dans le cas de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, fondée sur la religion ou la croyance, consiste à prendre des mesures raisonnables pour s’entendre avec le plaignant, à moins que cela ne cause une contrainte excessive  » Elle s’applique à plusieurs motifs de discrimination dont le sexe, la grossesse, l’âge, le handicap ou encore la religion.

Les requêtes de la part de groupes ethniques ou religieux minoritaires ont été considérées par une partie des médias et de l’opinion publique comme étant excessives, voire contraires aux valeurs des Québécois.
C’est en 2002 que la notion a été mise en lumière par les médias québécois, lorsqu’un jeune sikh a décidé de porter un kirpan (arme symbolique s’apparentant à un poignard) dans une école québécoise. Pour les autorités de l’école, le kirpan est une arme, alors que pour ce jeune sikh, il s’agit d’un symbole religieux. D’un côté, le port d’arme blanche sans permis est interdit au Québec, d’un autre la Charte canadienne des droits et libertés reconnaît le droit de pratiquer librement sa religion. Devant le refus de l’école d’obtempérer, le jeune sikh a poursuivi l’établissement. À l’issue du procès, il a pu porter, à l’école, un kirpan dans un fourreau de bois placé à l’intérieur d’un sac d’étoffe cousu de manière à ne pouvoir être ouvert. Autre exemple : en avril 2006, une communauté juive orthodoxe a payé la pose de vitres teintées pour une salle de sport à Montréal. Elle ne voulait pas que ses enfants voient des femmes en tenue de sport. Le cas le plus marquant est celui d’une jeune musulmane ontarienne de 11 ans qui est expulsée, en 2007, d’un match de soccer à Laval, dans la banlieue de Montréal. L’arbitre décide que l’hijab (voile islamique) porté par la jeune fille est un risque pour la sécurité des participants et lui demande de le retirer. Devant son refus, il l’expulse. Aucun des médias européens présents à cette rencontre n’a jugé bon de s’intéresser à ce sujet. Face à ces différents exemples, et bien d’autres, le terme « accommodement raisonnable » a acquis une connotation péjorative et a provoqué un mécontentement dans la population.

C’est en février 2007 que le premier ministre du Québec Jean Charest ouvre alors la Commission Bouchard-Taylor, présidée par deux Québécois de renom : l’historien Gérard Bouchard et le philosophe Charles Taylor. Leurs travaux consistaient à comprendre et analyser, au travers des accommodements raisonnables, les causes d’un malaise social lié au modèle d’intégration socioculturelle institué au Québec depuis les années 1970. Ce débat avait pour objectif de répondre à la problématique : comment conjuguer pluralité et identité québécoise.

La Commission s’est terminée le 22 mai 2008 par le dépôt d’un rapport. Les résultats n’ont pas été concluants et très contestés. Notamment par de nombreux souverainistes. Mais aussi, par les immigrés eux-mêmes. Citons notamment Djemila Benhabib, journaliste d’origine algérienne. Elle décrit son malaise depuis son arrivée au Québec face aux demandes formulées par des groupes musulmans, demandes qu’elle qualifie d’islamistes et de  » prosélytistes « . Dans son essai, elle critique ouvertement les groupes qui revendiquent des passe-droits au nom de leur religion.  » Ces islamistes qui revendiquent benoîtement les auspices du respect de la religion et du droit à la différence, pervertissent l’idée de la démocratie. Qu’on se le tienne pour dit, il ne s’agit pas là de liberté individuelle, mais de prosélytisme, d’intégrisme, de fascisme ouvert. Car dès qu’une religion s’affiche ostensiblement dans la sphère publique, il y a confusion des genres « , peut-on lire dans Ma vie à contre-Coran. En faveur de la laïcité à la française, qui interdit notamment aux fillettes le port du voile islamique dans les écoles publiques, Djemila Benhabib pense que les commissaires Bouchard et Taylor ont eu tort de conclure que la crise des accommodements raisonnables, n’était qu’une crise de perceptions.

Ainsi, les effets positifs escomptés après le rapport n’ont pas eu lieu. Il semblerait même que les différentes communautés s’intègrent moins bien dans la société, suite aux résultats de la Commission. Selon Cyberpress.ca, cette dernière a provoqué une augmentation du nombre d’incidents antisémites. Un article du Devoir montre notamment que les Musulmans en subissent les contrecoups. Kamel Béji, professeur de l’Université Laval, d’origine tunisienne, a souligné que, depuis les travaux, la situation semblait encore plus difficile pour eux : « Ça a eu un effet néfaste sur les femmes voilées, a-t-il dit. Les employeurs ne veulent pas de femmes qui portent le voile et la population voit les hommes comme ceux qui forcent les femmes à le porter. » Cette problématique n’est pas sans rappeler les débats français autour de l’interdiction du port du voile ou de la burqa. Excepté que la conception de la laïcité est actuellement différente au Canada.

L’interdiction du port ostentatoire de signes religieux en question.

La problématique revient sur le devant de la scène ces derniers mois. Jean-Marc Léger, dans une chronique sur Canoë (chaine de télévision québécoise) souligne que  » la Commission Bouchard-Taylor a tenté d’aseptiser le débat, mais sans succès. Il revient inévitablement sous une forme ou une autre. Cette fois-ci, c’est sur le port de signes religieux au sein de la fonction et des services publics. À une question claire, nous obtenons une réponse tout aussi claire. Soixante pour cent des Québécois estiment que l’on devrait interdire le port de tout signe religieux dans la fonction et les services publics.  » En effet, le projet de loi 16 sur les accommodements raisonnables piloté par la ministre de l’Immigration, Yolande James, est source de polémiques. En ce mercredi 06 janvier, le Devoir met en avant les oppositions politiques face à la mise en place d’une telle loi. Par exemple, pour Québec solidaire (parti de gauche pluraliste), les droits de la personne sont les plus importants. Selon lui, on ne peut pas nier à un ensemble de personnes leur liberté d’expression et de religion en interdisant le port des signes religieux au nom du principe de laïcité. Jugement auquel s’oppose Michèle Sirois, spécialiste en sociologie des religions, qui a quitté Québec solidaire suite à cette question:  » cette prise de position s’oppose aux valeurs fondamentales de la grande majorité des Québécois et constitue un recul par rapport aux gains historiques de la gauche et du mouvement nationaliste.  » écrit-elle sur son blog.

Ainsi, au Québec comme en France, la question de la laïcité est au cœur du débat sur l’identité nationale.