Mesrine ressuscité

Récemment, on a beaucoup parlé de Jacques Mesrine. Un peu moins du film. On a débattu avec ardeur de la pertinence de l’affiche et sa ressemblance avec le Christ. Un peu moins de la prestation (hors-norme) de Vincent Cassel. On a discuté, démêlé, chicané sur certains faits, certaines scènes, avérées ou non, du dyptique. Mais on a oublié que le film de Richet était une fiction. Un pur moment de cinéma.

Mesrine, un bon, une brute, un truand ? Et puis, mince, on s’en fout. Que le film, essentiellement L’ennemi public n°1, fasse la propagande d’une certaine légitimité de son personnage principal, qu’à travers une objectivité proclamée, apparaissent des petits mouvements de caméra sympathiques pour son héraut, est finalement désuet. Jean-François Richet a pris la liberté de donner son point de vue de Jacques Mesrine : un gangster sombre et violent au commencement, associé à un fanfaron épicurien et louable dans ses dernières années. Deux Mesrine pour deux films différents. Deux points de vue d’un homme pour des milliers d’interprétations.

Mesrine, le film. Dès les premiers moments de L’instinct de mort, Richet dévoile une patte, un ton, une mise en scène nerveuse et percutante. A la manière d’un Michael Mann, sa caméra est mouvante, et ne s’essoufle jamais. La force de Mesrine, c’est sa capacité à s’extirper des temps morts avec une facilité déconcertante. Les évasions de chaque prison sont filmées avec une tension palpable, qui mêle le spectateur à la fuite de Mesrine et aux moyens d’y accéder. Richet transpose les passages intimes de la vie de Mesrine (ses parents, ses amours, sa fille) à des scènes d’action brutales, sans transition, avec cette même nervosité qui le caractérise tout au long du dyptique. On ne sort pas heureux d’une projection comme Mesrine. On sort troublé.

Cassel, et les autres. Les plus grands rôles sont souvent ceux qui suggèrent les plus grandes transformations. Dans L’ennemi public n°1, Vincent Cassel, celui-là même qui ironisait De Niro dans La Haine, rasé à blanc et survet’ Adidas d’occasion, se métamorphose à chaque plan, à chaque scène. Si Mesrine excellait dans l’art des déguisements, Cassel surprend dans l’implication et la force de son jeu d’acteur. Fine moustache et raie sur le côté façon Guerre d’Algérie, chauve sur le dessus et vingt kilos dans la bedaine, ou frisettes et pull à col roulé rouge, Cassel illumine le film de son talent et s’allie à la puissance de la caméra de Richet, pour une implication totale dans l’histoire, et la personnalité de Jacques Mesrine.
A côté, un casting inouï, toutefois des seconds rôles qui passeraient presque pour des figurants à côté de M. Vincent. Depardieu en mafioso – initiateur – sans scrupules – avec valeurs – de la carrière de Mesrine, Mathieu Amalric en François Bes, compagnon de route et d’évasion, qui parle avec les yeux et Ludivine Sagnier, en fille facile et influençable, amoureuse transie du gangster. Tous bons, et pourtant tous seconds.

Un film de truands, brut et bon. Mesrine, c’est du pur cinoche. Du cinéma à l’américaine, avec des moyens (merci Thomas Langmann), des acteurs (on rajoutera Cécile de France, Samuel Le Bihan et Gilles Lellouche) et un réalisateur qui connaît parfaitement les rimes du divertissement et du talent.
Malgré tout, il manque ce petit quelque chose, cette petite flamme, rare et intense des meilleurs films de l’année. Peut être ce trouble, cette aliénation, cette part de réalité et d’histoire que dégage Jacques Mesrine lui-même. Mesrine, le film, est peut être tout simplement victime de son sujet.

Rencontre avec Martin Provost au croisement des Arts

Le prolifique et rêveur Martin Provost avait rendez-vous mercredi 8 octobre avec le public des cinémas d’art et d’essai Diagonal de Montpellier à l’occasion de la sortie en salles de son troisième long-métrage, Séraphine. L’histoire d’une domestique à qui Dieu serait apparu, lui ordonnant de peindre, celle d’une femme dont le destin bascule lorsqu’elle rencontre le célèbre collectionneur d’art Wilhelm Udhe, qui crie au génie.
Quelques heures avant un échange riche et passionné avec des spectateurs conquis, rencontre avec l’homme et l’enfant, le dramaturge et le romancier, le comédien et l’acteur, le metteur en scène et le réalisateur, qu’il incarne tout à la fois. Chuchotée comme une confidence, l’histoire d’un petit garçon qui rêvait de cinéma, celle d’un songe qui devient réalité…

Martin Provost, pouvez-vous nous parler de votre parcours sur le chemin du 7ème Art et nous dire comment vous êtes arrivé à ce métier qui est aujourd’hui le vôtre ?
D’abord un bac littéraire, que j’ai eu miraculeusement. Je rêvais d’être réalisateur. À l’époque, la FEMIS s’appelait encore l’IDEC, mon père s’était renseigné et m’a dit : « Martin, tu ne peux pas entrer à l’IDEC tu n’as pas le niveau en maths ». J’avais eu 0,5 au bac ! Je suis donc parti à Paris avec ma petite valise en me disant : « Je vais être comédien pour commencer ». J’ai eu la chance de travailler assez vite : j’ai tourné dans un premier film 6 mois après, un film de Nelly Kaplan, qui s’appelait Néa. J’écrivais déjà pour le théâtre. Ma première pièce, Le Voyage Immobile, a été montée au Studio d’Ivry, je l’ai jouée avec Yann Collette, produite par Philippe Adrien. Il montait Amphitrion et Le Médecin volant à la Comédie française : il m’a dit « Martin, est-ce que tu veux venir jouer le jeune premier dans Le Médecin volant ? ». J’ai dit oui, je suis donc entré à la Comédie Française comme pensionnaire à l’essai. C’est l’époque où le Français [comprendre Comédie Française] a connu une grande révolution : Jean-Pierre Vincent a été nommé, et il m’a engagé comme pensionnaire. J’y suis resté six ans.
Et puis quand Jean-Luc Poulain a été nommé, moi j’ai quitté tout ça. Ce fut la fin de ma vie d’acteur, qui ne me rendait pas heureux.

Où trouvez-vous votre bonheur ?
Quand j’étais au Français, j’écrivais tout le temps. J’ai écrit une autre pièce, Les Poupées, qui a été montrée à Avignon, à la Chapelle Sainte Claire et après au TEP. Mon premier roman, Aime-moi vite, est sorti à cette époque-là. J’ai fait un deuxième court-métrage joué par Catherine Jacob, Cocon, après J’ai peur du noir que j’avais moi-même produit. Et puis, j’ai écrit un premier scénario que j’ai essayé de monter en long-métrage. J’avais rencontré une comédienne espagnole, Carmen Maura, qui avait adoré le scénario et voulait à tout prix le faire. En fait, c’était un sujet très ambitieux pour l’époque : l’histoire d’un enfant qui voyait le monde dans un dessin animé… J’aurais jamais pu le réaliser. Carmen Maura m’a alors dit : « Il faut absolument que tu tournes ton premier film : je suis libre du [tant au tant] ». J’avais trois semaines : j’ai écrit Tortilla Y Cinema en trois jours, on est allé voir Canal+, ils nous ont donné un peu d’argent, et j’ai tourné le film en quinze jours. J’avais fait mon premier long !
Parallèlement, je continuais l’écriture. J’écris toujours d’ailleurs : des scénarios, des pièces pour France Culture. Un autre roman est sorti en février 2008 au Seuil : Léger, humain, pardonnable.
Entre-temps, il y a eu un autre film, Le Ventre de Juliette, sorti en 2003 à dix copies…

Qu’est-ce qui vous donnait envie, à 17 ans, de devenir réalisateur de cinéma ?
Un mot : le désir. Depuis petit, je rêve de ça. J’avais un grand-père qui faisait des films en amateur, j’ai joué mon premier film avec lui : je devais avoir 5 ans, c’était Pierre et le Loup, toute ma famille y était. J’avais un oncle aussi, ici dans la région, qui était photographe. De l’autre côté, celui de mon père, ma grand-mère, enfant, était chanteuse de rue… Voilà, il y a quand même une sorte de tradition familiale.

Séraphine, ou la consécration

On en vient à la genèse de Séraphine, né des cendres d’un autre film…
Oui, j’avais essayé de monter un film après Le Ventre de Juliette, j’avais travaillé deux ans dessus. À un moment, le film ne s’est pas monté : pas assez d’argent. Tout s’est effondré, j’étais vraiment mal. À ce moment-là, quelqu’un avec qui je travaille à France Culture m’a dit : « Martin, il faut absolument que tu t’intéresses à Séraphine, c’est pour toi. » Quand on m’a parlé de ce personnage dont je n’avais jamais entendu parler, je suis allé sur Internet. C’était il y ans 3 ans: il y avait 4-5 lignes, ça m’a suffi pour voir qu’il y avait une histoire intéressante. J’ai continué les recherches : j’ai trouvé de vieilles éditions de livres de Wilhem Udhe en français. Je suis allé à Senlis où a été transférée la salle créée en 1947 à la mort de Udhe au Musée d’Art moderne, composée de quatre tableaux extraordinaires. Et puis j’ai rencontré Françoise Cloarec, psychanalyste et peintre, qui a fait sa thèse sur Séraphine -elle vient d’ailleurs de publier La Vie rêvée de Séraphine de Senlis chez Phébus.
Et puis, surtout, j’ai pensé à Yolande [Moreau], avant même d’écrire le scénario. Le plus troublant, c’est que deux mois après, à la bibliothèque Kandinski, on m’a apporté un dessin de Séraphine fait par un voisin, le poète Leblanc : c’était Yolande ! C’était extraordinaire. Je lui ai apporté, elle est devenue blême, puis elle m’a dit : « C’est pas flatteur, mais c’est bien moi ».

Je sais que vous tenez à préciser que votre film n’est pas un biopic…
C’est vrai que je ne voulais pas faire une biographie de Séraphine, ça ne m’intéressait pas. Je cherchais un axe pour raconter cette histoire. Au prime abord, le personnage de Wilhem Udhe ne m’apparaissait pas extrêmement sympathique : il y a des zones d’ombre dans sa vie, et d’ailleurs je les ai respectées. Au fil de mes recherches, je me suis rendu compte que j’avais affaire à un personnage lui aussi totalement inconnu, très important, et un type absolument formidable. Je me suis dit : « Vraiment, c’est la rencontre entre ces deux personnes, ces deux marginalités, qui est importante pour moi». Ça avait des résonances très fortes par rapport à mon existence. C’est pourquoi j’ai décidé de raconter la rencontre entre Séraphine et Udhe sur ces deux périodes-là.

Vous semblez être très attaché à votre personnage…
Elle me fait penser à Van Gogh : le même genre de parcours, deux personnage plein d’amour qui essayent par la peinture de donner, qui n’ont pas de retour, et qui en meurent.

Diriez-vous que Séraphine Louis était folle ?
À la fin de sa vie, elle était cataloguée comme schizophrène, paranoïaque, elle était haïe, battue, par les autres malades. Mais déjà au couvent où elle est entrée à seize ans –et est restée jusqu’à l’âge de quarante ans, jusqu’au jour où, dit-elle, son ange gardien lui est apparu à la cathédrale et lui a dit de se mettre à la peinture- elle écrivait des lettres dans lesquelles elle se disait tout le temps menacée. Elle présentait des tendances paranoïaques évidentes… Mais ce que je comprends tout à fait. Quand on peint, quand on écrit, la vie n’est pas facile. Surtout pour une femme de ménage !
Elle faisait ce qu’elle appelait ses « travaux noirs » le jour, c’est-à-dire les tâches les plus ingrates, et la nuit, ce qu’elle appelait ses « travaux de lumière », c’est-à-dire qu’elle peignait. Pour en revenir à la folie de Séraphine, quand on regarde ses toiles, on voit qu’il y a un embrasement, surtout à partir du moment où Udhe lui permet d’arrêter ses « travaux noirs », et selon moi le contact avec les choses matérielles et difficiles qui la maintenaient dans la réalité, elle entre dans un épanouissement artistique très violent et se consume.

Son rapport à la nature est fondamental dans son œuvre, vous vous attachez à l’illustrer dans la vôtre…
Quand elle était petite, elle gardait les moutons et les vaches. Elle avait un rapport extrêmement proche aux animaux : elle en a beaucoup parlé quand elle était internée. C’est quelque chose qui me parle. C’est vrai qu’on a jamais su vraiment avec quoi elle peignait : avec de la laque Ripolin, elle vernissait ses tableaux avec du vernis ménager, elle volait l’huile des bougies dans les églises… Pour le reste, on dit qu’elle peignait avec son sang, ça c’est moins sûr… Donc j’ai imaginé des choses. J’ai peint un peu moi-même il y a longtemps, je peignais avec des betteraves, de l’œuf, tout ce qui me tombait sous la main, donc je sais que c’est possible. Il suffit de voir les tableaux de Barcelo. C’était tout ça que je voulais raconter à propos de la nature. Séraphine me fait penser à une Indienne : elle marchait toujours pieds nus, je crois qu’elle a capté quelque chose de l’ordre de l’esprit de la nature, quelque chose de très païen qui n’a rien à voir avec la religion. Pour moi, c’est ça qu’elle a transmis dans ses toiles. Elle a laissé libre cours à quelque chose qui l’a traversée, c’est sûr, quelque chose de l’ordre du divin…

L’épisode de la robe de mariée est visiblement le plus marquant pour le public, avec une interrogation lancinante : est-ce que c’est vrai ? Cette séquence marque une rupture dans le film, la fin de sa vie d’artiste pour Séraphine, qu’on interne dans un établissement où elle finira sa vie…
C’est vrai qu’elle avait commandé une robe de mariée, pourquoi on ne sait pas, je pense qu’elle imaginait des épousailles spirituelles… Le besoin du scénario a fait qu’on l’a lié avec un autre fait avéré : elle redistribuait tout ce qu’elle avait amassé en les déposant sur le perron des habitants de Senlis. Dans le film, elle vient de passer une nuit entière à peindre, un tableau qui s’appelle La Séraphine Bleue.

Comment avez-vous travaillé l’image pour faire ainsi ressortir les couleurs flamboyantes des tableaux ?
À la costumière et aux décorateurs, j’avais demandé qu’il n’y ait aucune couleur franche, pour que petit à petit les tableaux, qu’on a entièrement refait, ressortent. Il n’y a donc que des verts, bleus, du gris, du blanc cassé… Et puis on a cherché avec Laurent Brunet une pellicule qui pouvait accentuer cet effet-là sans tuer la couleur des tableaux. Et ça a marché !

Comment avez-vous travaillé sur le personnage de Séraphine avec Yolande Moreau ?
On avait la chance d’être voisins, on a passé beaucoup de temps ensemble, Elle vous le dirait mieux que moi : « ça s’est fait par petites touches ». On est devenu très proches et je crois que c’est ça qui a fait qu’à un moment Séraphine s’est complètement incarnée. Et puis, j’ai été comédien donc il y a quand même des trucs que je sais, j’essaie surtout de ne jamais faire souffrir un comédien, d’agir comme un père vis-à-vis de son enfant. Je lui ai montré des films : Mouchette de Bresson, Gervaise de René Clément, pour les gestes des lavandières, Last Days de Gus Van Sant, pour le rapport à la nature… Je l’ai emmenée partout, montré tous les paysages. Elle est allée d’elle-même voir le curé de Vernon pour qu’il lui apprenne les chants en latin… . Elle a pris des cours de peinture avec les peintres qui ont refait les tableaux. Elle dit que c’est rien mais c’est un travail énorme !
Le premier jour de tournage, on tâtonne toujours un peu. On venait de tourner une scène dont aucun de nous deux n’était satisfait, là je lui ai dit : « Pense à Dieu » : en un éclair, ça a été là, et c’est resté jusqu’au bout.

Jacques Nolot : « Le cinéma doit provoquer une réflexion sur l’homosexualité »

Premier festival cinématographique axé sur les thématiques gays et lesbiennes à Nice, les rencontres  » D’un genre à l’autre  » attirent un public de tous horizons depuis le 30 avril. Réalisateur et acteur de « L’arrière-pays », « La Chatte a deux têtes » et récemment « Avant que j’oublie », Jacques Nolot a répondu présent, jeudi 1er mai, pour une rencontre avec le public niçois après la projection de ses films. Acteur fétiche d’André Téchiné, sexagénaire, homosexuel, il livre son opinion sur le festival et sa vision du cinéma.

Pourquoi avoir accepté de participer aux rencontres D’un genre à l’autre ?

Les festivals de type « cinéma gay » me gênent, mais j’ai tenu à venir à Nice parce que ça me semblait important. Dans une ville avec une politique de droite, fermée et homophobe (1), j’ai trouvé l’initiative du festival très courageuse. Je suis contre la ghettoïsation, mais si je suis venu, c’est que je cautionne un minimum.

Contestez-vous le bien-fondé d’un festival cinématographique gay et lesbien ?

J’ai un rejet complet pour les étiquettes, on ne dit pas des autres festivals qu’ils sont hétéros ! Mais je ne peux pas refuser de faire partie de la communauté gay. C’est comme la famille : elle nous emmerde un peu mais on est content quand on la retrouve aussi. Ces festivals stigmatisent l’homosexualité, mais si c’est un moyen pour éveiller les consciences et faire bouger les choses, comme à Nice, pourquoi pas ?

Dans votre dernier film, Avant que j’oublie (2007), l’homosexualité suggère l’interdit, la maladie, la mort. Que souhaitez-vous exprimer à travers vos films ?

Je suis assez vigilant avec l’homosexualité, je refuse de représenter l’homo à travers le cliché de la « folle », comme l’a fait Pédale douce par exemple. Dans mes films je brise le tabou de l’homme homosexuel, car l’homosexualité féminine est beaucoup plus acceptée. Je montre le réel, le quotidien : des hommes mariés qui se payent des gigolos, la séropositivité, la vieillesse.

Quelle est votre vision du cinéma, et surtout, de votre cinéma ?

Il y a toute une partie du cinéma français que je ne regarde pas, notamment les comédies. Pour moi le cinéma doit provoquer la réflexion, le spectateur doit ressortir nourri. Moi, j’écris pour exprimer mon malaise. C’est pour cela que mes films dérangent et surprennent. En ce moment, je vais trop bien pour écrire un nouveau film…

(1) : NDLR, ces propos n’engagent que leur auteur, et en aucun cas la rédaction de ce site.