De la semoule et des lentilles pour les étudiants

Depuis septembre 2017, le campus de Paul Valéry accueille une antenne du secours populaire grâce au projet Solidaribus.

C’est l’effervescence devant le drôle de bus. Bravant le froid, les bénévoles  installent le matériel de l’après-midi entre le bâtiment C et D de l’Université Paul Valéry à Montpellier. Ils sont une dizaine à s’affairer entre les cartons de fruits et les boîtes de conserve. Deux d’entre eux déplacent une table, puis quelques bancs. Nicolas, un autre bénévole trie les aliments dans les placards de la camionnette. Il faut placer les produits récupérés sur les étagères. Pommes, citrons, oranges, betteraves, tomates sont étiquetés et répartis dans des cagettes bien en évidence sur une table. Le Solidaribus n’est pas un bus comme les autres, depuis un an et demi, il s’improvise épicerie solidaire pour proposer aux étudiants en difficultés financières des paniers alimentaires à prix réduits. Thibaut, bénévole depuis quatre ans au secours populaire, a suivi le projet dès son commencement : « la plupart des étudiants que l’on approvisionne viennent de Paul Valéry, mais il y en a aussi quelques-uns d’autres universités. Nos paniers sont constitués de dons faits par l’Europe ou les grandes surfaces au secours populaire. »

Avec les grosses lettres bleues qui peignent son nom, et le slogan « tout ce qui est humain est nôtre », le Solidaribus se repère de loin.  Les bénévoles sont prêts à accueillir les premiers arrivants.  Un groupe de jeunes se regroupe à l’arrière de la camionnette pour récupérer un panier. Ils attendent patiemment leur tour. « C’est la première fois que vous venez. Il faut aller voir Angèle avant ». Angèle et Kader, qui sont en service civique, gèrent l’organisation de l’épicerie solidaire et encadrent les bénévoles. La jeune femme fait passer des entretiens aux personnes souhaitant bénéficier des produits du Solidaribus. Pour y avoir accès, il faut pouvoir justifier que l’on dispose de moins de 7 euros pour manger par jour. Angèle examine les revenus et les aides sociales perçues. Une fois le questionnaire rempli, l’étudiant reçoit le fameux sésame, une carte valable un an pour un panier toutes les deux semaines. Le garçon s’empresse de rejoindre la file.

Les bénévoles emmitouflés ont le sourire

« Vous avez le droit à 16 produits, annonce une bénévole, ceux qui viennent de l’Europe sont gratuits. Pour les autres on demande une participation de quelques dizaines de centimes pour gérer les frais de logistique». Sur les étagères en bois construites à l’intérieur de la camionnette, on peut distinguer des conserves de tous types. Haricots verts, petits pois, carottes, sachets de pates, riz, semoule se mêlent aux bouteilles d’huile, pots de lentilles et sardines en boîte. Une jeune fille monte à l’arrière de la camionnette pour désigner à Nicolas ce qu’elle souhaite emporter. Le sac chargé d’une bouteille de lait, de céréales, et de quelques fruits, elle repart en cours. Ainsi défile tout l’après-midi les étudiants. En plus des paniers de nourriture, l’antenne du secours populaire propose des livres et vêtements à prix libre.

Le vent est glacial, mais les bénévoles emmitouflés ont le sourire. Tous les mercredis de 14h à 17 h, ils sont là. Au bout d’une heure et demie de permanence, ils n’y a déjà plus de café, quelques pains au chocolat trônent encore sur une table. « Aujourd’hui, c’est la rentrée à Paul Valéry pour la plupart des licences, c’est une grosse journée, commente Angèle. Souvent on a un rush à 14h et puis à chaque fin de cours, toutes les heures et quart. Ça se tasse un peu entre 14h30-16h ». La file a effectivement bien diminué, il n’y a désormais plus qu’une personne à l’arrière de la camionnette.

« N’importe qui peut venir filer un coup de main »

Victorine est bénévole depuis septembre. Elle avait entendu parler du projet par une amie qui y participait l’an dernier. « J ‘ai toujours voulu faire du volontariat. J’ai la chance de bien m’en sortir, mais ce n’est pas le cas de tous les étudiants. C’est difficile de se consacrer pleinement à ses études quand on doit se préoccuper de soucis financiers ». La plupart des bénévoles comme Nicolas et Victorine sont des étudiants, mais on trouve aussi des personnes au chômage, ou des salariés qui choisissent d’offrir un peu de leur temps.« N’importe qui peut venir filer un coup de main, rappelle Kader. On a un noyau de quelques gens réguliers qui connaissent le fonctionnement. Il y en a d’autres qui viennent plus occasionnellement. Certains étudiants passent parfois quelques minutes  et repartent en cours. Chacun s’investit à sa manière. L’essentiel c’est qu’il y aient des bras quand on monte et démonte les stands. »

Un peu plus loin dans l’allée de l’Université, au rythme de la musique, deux bénévoles brandissent le drapeau du secours populaire, une boîte de don à la main « C’est pour le Solidaribus, pour aider les étudiants en difficulté à acheter à manger » répètent-elles. « On fait de la sensibilisation sur le campus. Les dons recueillis vont servir à financer un nouveau camion. On en voudrait un avec un réfrigérateur pour proposer des aliments froids. » L’Union Européenne a en effet envoyé des steaks surgelés et du poisson pané mais pour le moment, sans frigo impossible de les offrir. « On espère avoir notre remorque réfrigérée à la fin de l’année».

La précarité étudiante : une réalité tabou

Avec un budget moyen de 582 € par mois (dont 190 € pour la nourriture et 131 € pour le logement) la plupart des étudiants ont du mal à boucler les fins de mois. A Montpellier, près de 5 % des inscrits (soit 3 000 sur 60 000) n’auraient même pas les ressources nécessaires pour vivre décemment. Entre gène, pudeur et optimisme, portraits croisés de ces jeunes qui tentent de trouver des solutions pour s’en sortir.

Manger : « la » préoccupation de tous les jours

Premier poste de dépenses des étudiants, l’alimentation reste « la » préoccupation quotidienne. Une réalité difficile à gérer pour les plus précaires. Néanmoins, entre système D, solidarité et associations de soutien, chacun trouve, à sa manière, un moyen de s’en sortir.

pano-2.jpgLa solution de Teddy, en reprise d’études : le déstockage alimentaire. Il se rend pour la première fois dans un magasin de ce genre à Vendargues. «Ce ne sont pas les produits que j’achète habituellement, mais c’est pratique pour acheter en gros», explique-t-il. Avec ses 500 € mensuels, à partager entre logement et nourriture, «aucun extra évidemment, pas de loisirs ni de sorties». Il compte à l’euro près.

Pour M’baye, un sénégalais de 22 ans en première année d’économie, «le budget pour manger est de 30 € par mois. De quoi acheter un grand sac de riz de 10 kg, mais jamais dans les grandes enseignes. Bien trop chères.» En revanche, il peut appeler ses amis, qui lui viennent en aide en cas de besoin. L’un d’eux, Mustafa, Sénégalais comme M’baye, raconte qu’à son arrivée en France il y a cinq ans, «c’était semoule ramenée du Sénégal avec un peu d’eau chaude». Ce fut son seul repas pendant plusieurs mois. Maintenant, il apporte son soutien à ceux qui arrivent en France comme lui, démunis.

Reste le cas de Brahim et Anouar, étudiants de Master. Tous deux ont été dirigés vers le Secours populaire par les services du Crous. «J’avais prévu un budget pour cette année, mais il est déjà épuisé», explique Brahim. Arrivé d’Algérie au début de l’année, il s’est contenté de vivre avec 15 € par mois pendant près de six mois. «Si je viens au Secours populaire, c’est que je n’ai plus d’autres solutions», avoue-t-il pudiquement. C’est sa première visite.

Anouar, de son côté, aborde sa situation avec philosophie. «De toute façon, c’est la crise». Installé en France depuis deux ans, il a travaillé pour financer ses études mais cette année, «il n’y a plus de boulot». Avec 300 € de budget mensuel, l’aide alimentaire du Secours populaire lui permet d’envisager son quotidien avec plus de sérénité.

Le logement, autre soucis du quotidien

La ville de Montpellier totalise 7 000 logements sur le parc locatif universitaire, pour 60 000 étudiants issus des trois campus. Le loyer moyen d’un studio dans le privé se situe entre 360 €, et 400 €. Des prix onéreux pour la plupart des étudiants qui connaissent parfois des difficultés à se loger.

r1156768294.jpgA 22 ans, M’baye, Sénégalais en première année d’économie, en sait quelque chose. «Je vis avec un ami qui possède une chambre en résidence universitaire. Un petit 18m2 pour deux, c’est mieux que rien.»
Pour un étranger, accéder à un logement universitaire, «c’est la galère». Pas d’accession en « cité U » avant le Master et de nombreux papiers à fournir pour justifier de la solvabilité de l’étudiant : titre de séjour en règle, justificatifs des comptes avec au minimum 472 € de revenus par mois…

Les étudiants étrangers ne sont pas les seuls à pâtir d’une situation financière précaire. Pour Teddy, étudiant français de 27 ans en reprise d’études – il passe un diplôme d’accès aux études universitaires, le quotidien n’est pas simple non plus. «Je suis en fin de droit pour les indemnités chômage.» Il vit en couple, ce qui le sauve. Son propriétaire ne connaît pas sa situation. «Il ne m’aurait pas loué le logement. En plus, je n’ai pas de garants. Mes parents connaissent des difficultés pires que les miennes».

Rencontré également au détour de la fac, Max, un squatteur. «Depuis quelque temps, nous logeons à plusieurs dans un squat. Pour ne pas nous faire expulser le 15 mars, à la fin de la trêve hivernale, nous avons pris un abonnement EDF.» Max s’oppose pourtant à montrer «sa piaule». «Nous préférons rester discrets. On court toujours le risque de voir débarquer les flics.»