L’ancien directeur de la TAM : « La gratuité totale n’est pas une solution ! »

Dunkerque, Châteauroux, Issoudun, Niort, Aubagne ou encore Castres font partie de ces villes, aujourd’hui une trentaine à avoir mis en place la gratuité totale des transports. Une idée reprise ou adaptée, comme à Paris et Toulouse où la gratuité partielle est instaurée. Montpellier est-elle la prochaine sur la liste ?

44 ans après Compiègne, 1ere ville à mettre en place les transports gratuits, l’idée séduit toujours. Le 9 janvier dernier, la maire de Paris a annoncé la gratuité pour les enfants de 4 à 11 ans pour septembre prochain. Pour l’ancien directeur des transports de l’agglomération de Montpellier (TAM) de 2001 à 2010, Marc Le Tourneur, le modèle payant reste une obligation des grandes villes.

La maire de Paris, Anne Hidalgo a annoncé le 9 janvier dernier une gratuité partielle des transports dans le Grand Paris. Après les adultes handicapés et les enfants de moins de 4 ans, ce sont les enfants de 4 à 11 ans qui sont concernés par cette mesure, qu’en pensez-vous ?

C’est une bonne mesure mais qui rappelons-le est réfléchi, car peu d’enfants de moins de 11 ans prennent les transports seuls. En général ils sont accompagnés et ces accompagnateurs-là payent leur ticket ou abonnement. C’est pour cela qu’à Montpellier un tarif famille a été mis en place. Elle a annoncé d’autres mesures qui sont également favorable comme la gratuité des transports pour les enfants handicapés. Je suis d’ailleurs d’accord avec elle sur un point, c’est que la gratuité totale n’est pas une solution ! Dans une ville comme Paris et d’autres grandes villes, c’est irréalisable et aux dépens de la qualité de l’offre.

Une trentaine de ville en France ont mis en place une gratuité totale des transports, est-ce un projet qu’il est possible de mettre en place dans la métropole de Montpellier ?

Il faut d’abord regarder le profil des villes qui ont passé le cap. Prenons l’exemple de Dunkerque, qui est aujourd’hui, la plus grosse métropole européenne à avoir instauré la gratuité totale de ses transports. La métropole de Dunkerque c’est 200 000 habitants, contre 465 000 pour celle de Montpellier. Ensuite, elle ne dispose que d’un réseau de bus et les distances à parcourir sont plus courtes. Des conditions plus favorables à la mise en place d’une gratuité totale des transports. C’est le cas pour la majorité des villes qui ont mis en place cette mesure, comme Niort ou encore Châteauroux. La clientèle payante ne représente que 10 à 15 %, une perte qui pèse que peu dans les dépenses totales. Même si elle demande d’investir dans des véhicules et des employés, comme les chauffeurs, c’est un investissement moindre.

A Montpellier, c’est une mesure qui coûterait trop cher. Trams et bus sont pleins en heure de pointe et la clientèle payante est beaucoup plus importante du fait d’une meilleure offre. La gratuité engendre une hausse de la fréquentation et donc un investissement dans une nouvelle flotte de tram notamment pour garantir confort et efficacité du service. Cela représenterait une somme vertigineuse ! C’est donc un projet irréaliste à l’échelle d’une métropole comme celle de Montpellier.

Ajoutons à cela que c’est une mesure qu’il n’est pas possible de mettre en place rapidement. Il faut trois ans entre l’idée proposée et la mise en place de celle-ci. C’est donc une mesure qui doit être prévue en début de mandat, ce qui n’était pas le cas de Mr Saurel.

La gratuité totale ou partielle peut-elle réduire les inégalités sociales ?

A Montpellier, nous sommes dans une situation de pénurie en ce qui concerne les transports en commun. Il n’y a pas seulement des inégalités sociales, mais aussi des inégalités territoriales. Par exemple, les personnes qui habite Lavérune ou Grabels vont moins être enclins à prendre les transports en commun que celles qui se trouvent sur la ligne 1 comme à Port Marianne, Riz du Lez ou encore Boutonnet. Plus on s’éloigne, plus il est difficile d’utiliser les transports en commun. Mettre en place une gratuité totale ou partielle ne viendrait pas résoudre le problème de ces personnes qui se trouvent loin et qui disposent de peu de moyens. Ce qu’il est nécessaire de mettre en place ici à Montpellier c’est une tarification suivant le quotient familial, qui est une question fondamentale selon moi. Des villes comme Grenoble, Nantes, Strasbourg ou Lille ont déjà mis ce dispositif en place. L’avantage de celui-ci, c’est qu’il permet de mettre le curseur où l’on veut. Mais adapter la tarification des transports selon le revenu des familles permettrait de coller au plus près des besoins de chacun et de réduire en partie les inégalités sociales en ce qui concerne les transports. Mais cette mesure ne viendra pas résoudre la question des inégalités territoriales.

Cela mènerait-il a une diminution de la fraude et des incivilités ?

Honnêtement c’est une question qui n’a pas lieu d’être. Tout d’abord car nous n’avons pas le monopole du déplacement comme certains le laisse croire. Il existe des alternatives pour se déplacer. Sur des distances courtes, il est possible de se déplacer à pied ou à vélo, ce qui est gratuit. Par ailleurs, la fraude représente environ 10 % des recettes du trafic, ce qui est mince. Le coût de la vente des billets et du contrôle des titres de transports représente également une part minime dans le budget total, qui est de l’ordre de 15 %.

Même si à Montpellier, la fraude a l’air massive, tout comme ses moyens pour la réprimander, elle est commune à d’autres. Il serait plutôt nécessaire d’investir dans des solutions écologiques qui donne la possibilité aux personnes de se déplacer différemment dans de bonnes conditions et surtout adaptées. Ce que je trouve aberrant par exemple, c’est qu’après la rénovation de la gare Saint-Roch, aucun parking à vélo n’ai été construit. A Grenoble ce sont 1 800 places de disponibles, à Strasbourg 4 800 places. A l’échelle d’une ville comme Montpellier la possibilité de se déplacer en vélo est clairement réduit. Peu de piste cyclable, presque pas de parking à vélo.

Agressions envers les agents de la Tam : « Elles sont moins nombreuses qu’il y a dix ans »

Le 5 novembre dernier, une nouvelle agression envers une agent de la Tam s’est déroulée à l’arrêt de bus de la Gare Saint-Roch. Une femme de 37 ans, déjà connue des services de police et sans titre de transport s’en est pris violemment à une chauffeuse.
L’occasion de faire un point sur ces incivilités courantes avec Olivier Carnet, délégué syndical CGT pour la société de transport montpelliéraine.

Quelle est la fréquence de ces violences dans les transports en commun de la ville ?

Nous enregistrons presque tous les jours différents cas d’incivilités dans les transports, allant de l’insulte à la grossière infraction. Les chauffeurs de bus sont les plus vulnérables face à ce genre de situation puisqu’ils sont seuls. Toutefois, il faut savoir que les fraudes ont beaucoup diminué à Montpellier depuis 2011 lorsque nous avons mis les moyens pour lutter contre. Il y a dix ans de cela, l’activité au niveau des agressions était beaucoup plus importante. La hausse des sanctions et l’augmentation de la fréquence des contrôles ont poussé davantage d’usagers à prendre des abonnements.

Quelles sont les agressions les plus graves que vous avez pu constater ?

Personnellement, je ne minimise aucune agression car selon moi une insulte est aussi difficile à encaisser qu’un coup de poing. D’ailleurs, dans les cas que j’ai rencontrés, souvent un crachat a été plus difficile à supporter qu’un coup. Au moment où cela arrive, beaucoup de questions se posent dans la tête des agents alors qu’une gifle c’est instantané et peut-être
moins marquant psychologiquement. C’est aussi pour cela qu’avec les syndicats, nous avons interpellé le procureur pour que chaque affaire de violence envers un agent puisse être sanctionnée plus sévèrement et fasse également l’objet d’une médiatisation.

Comment les agents sont-ils formés pour faire face à cela ?

Dès leur formation initiale, ils sont entraînés à gérer les différentes problématiques de qu’ils vont rencontrer avec des usagers violents. Aussi, au cours de leur carrière, des stages de recyclage vont leur être proposé pour leur rappeler comment réagir dans les cas critiques. Ce qu’on leur demande surtout est de garder leur sang froid pour ne pas faire dégénérer les
choses, ce qui est très difficile notamment pour les plus anciens beaucoup plus touchés par la fatigue psychologique.

Chauffeurs et contrôleurs sont-ils sensibilisés de la même manière ?

Chacun a une formation spécifique pour la simple et bonne raison que ce n’est pas le même mode de fonctionnement. Les contrôleurs sont vus comme la police car ils interviennent temporairement lors d’un trajet et surtout ils travaillent toujours en équipe. Ils représentent aussi le côté répressif. Du côté des chauffeurs, la proximité est plus importante avec les usagers mais étant seuls ils sont vulnérables. Généralement il leur est demandé d’éviter de se mettre en avant lors d’une altercation et de bien rester en sécurité derrière les vitres anti-agression. Ils disposent également d’un boîtier leur permettant de prévenir instantanément les équipes de contrôleurs en cas de refus de paiement du titre de transport de la part d’un individu.

Qu’en est-il de la prévention contre les violences envers les agents de la Tam ?

Nous nous efforçons d’intervenir dans les écoles surtout car nous estimons que la prévention doit se faire dès le plus jeune âge. Il y a surtout un travail réaliser pour rappeler qu’un contrôleur ou un chauffeur de bus est avant tout un humain qui fait son travail et non pas une machine présente pour délivrer des sanctions. Lors de ces occasions, nous rappelons les
démarches à suivre pour utiliser tranquillement les transports comme monter à l’avant ou présenter son titre de transport.

Du rififi à la Tam

Ce vendredi 19 mars, la ville de Montpellier était complètement paralysée par un mouvement de grève de la Tam, suite à l’agression d’un conducteur de bus. Aucun tramway ni aucun bus n’ont circulé. Conséquences : des embouteillages monstres partout dans la ville ou débrouille totale pour se déplacer.

Un chauffeur de bus a été agressé hier aux alentours de la gare. Quatres individus semaient le désordre dans un bus, chahutaient et décompressaient les portes. Lorsque le conducteur du bus est descendu pour refermer la porte, un des jeunes lui a donné un coup de pied à la tête, le blessant gravement.

Selon Marie Christine Dumur, responsable de la communication externe de la Tam : « la brigade des transports, mise en place depuis plus d’un an, est immédiatement intervenue sur place ». Les deux individus sont toujours recherchés.

Suite à cette agression, l’ensemble des conducteurs de la Tam ont fait appel à leur droit de retrait, en décrétant un mouvement de grève sans préavis. Le mouvement a largement semé la pagaille dans la ville de Montpellier où aucun tram, aucun bus n’a circulé.

Les usagers se sont retrouvés dépourvus de transports. Dans les établissements scolaires, les salles de classe étaient vides : certains professeurs se sont retrouvés avec seulement deux ou trois élèves. En effet, seulement quelques parents ont pu déposer par les moyens du bord leur enfant. Mais, ils étaient contrariés et déboussolés. Surtout concernant le retour des enfants, aussi bien pour le matin que pour le soir, au cas où il n’y aurait pas de cours.

Parallèlement, la Tam poursuit également un mouvement de grève pour l’obtention de prime de ses salariés. Tous les samedis après-midi, les usagers ne disposent que d’un service restreint à partir de 14 heures.

Avec les contrôleurs, « Ticket, s’il vous plaît ! »

Le front en sueur, le regard rivé sur le quai à chaque arrêt. Le stress pour bon nombre d’usagers du tram sans ticket. Parfois, pour les contrôleurs aussi, « c’est dur ». Embarquement avec une équipe de Montpellier.

Les deux Patrick, Serge, Alain, Thierry, Jean-Michel, Pascal et Frédéric naviguent de rame en rame sur la ligne 1. Moyenne d’âge, 35 à 40 ans, Tous ont la carrure imposante. Tous cravatés, tenue impeccable. Le chef d’équipe, Patrick, décide de la marche à suivre. « C’est un peu plus difficile maintenant. Il y a plus d’agressivité qu’avant. » Par période, le contrôleur a des coups de blues. « On ne respecte plus aucune institution », déplore-t-il. Thierry a quitté la conduite pour le contrôle il y a cinq ans. Il relativise. « On est toujours dehors. Les horaires sont meilleurs. C’est un choix, on ne nous y a pas forcés. Il y a des problèmes comme partout ». Serge, lui, est dans le métier depuis dix-huit ans et ne s’en lasse pas. Même s’il a été agressé à trois reprises. Côtes cassées la première fois. C’est devenu « naturel » de contrôler. Et « il n’y a pas que le côté répressif, il y a aussi les renseignements. » Pascal poursuit : « Il y a de l’indulgence. Des fois, on regrette… » Les non titulaires ont besoin d’alterner avec la conduite, sinon « ça pèse ».

« En temps normal, je ne l’aurais pas verbalisé. S’adapter à chaque situation, c’est ça le plus dur »

14 h 30, période creuse, les contrôleurs peuvent « décompresser ». Le bon côté de la mission, « une bonne entente dans l’équipe, un soutien ». Une cohésion « très importante » dans ce métier. On l’observe quant à leur manière de travailler. A peine perceptible, un petit sifflement leur sert de code pour communiquer. Savoir quand monter, descendre et changer de rame. Récupérer la machine à carte… Qu’ils dégainent à chaque arrivée de tram. Ils s’avancent à deux par porte. Toujours. Et ne se « désolidarisent pas ». Un jeune garçon lance naturellement : « J’ai pas ma carte ». Patrick laisse passer, « pour cette fois ». Un autre valide son ticket sous le nez des contrôleurs : amende. « C’est un sport national la validation à vue. C’est sa parole contre la nôtre. »

Au Corum, sur le quai, un jeune homme lance des gestes brusques envers Serge, une armoire à glace pourtant. Pour un arrêt, il se vexe de devoir payer 27 €. Encore… « Vous n’êtes pas compréhensifs ! Les étudiants galèrent en ce moment ! » Un dialogue s’engage finalement. « C’est ça le plus important, désamorcer », souligne Frédéric. On explique au jeune homme que s’il avait prévenu qu’il ne faisait qu’un arrêt en montant dans le tram, ce serait passé. Mais pas alors qu’il était déjà dedans. Pascal souligne qu’il faut être conditionné pour faire ce métier. « Moi, ça va, je donne des cours de self-défense. »

« 15 à 20 % des personnes contrôlées rouspètent », prévient Patrick, le chef d’équipe. D’autres tentent de s’expliquer, paraissent tellement sincères, désemparées, que cela en ferait presque mal au cœur. Comme Jean-Luc : « C’est idiot, j’ai toujours mon ticket dix voyages sur moi, là, je ne sais pas où il est. C’est normal de payer. Je travaille, pour moi, l’amende c’est rien. Et puis, je ne suis pas bête, j’ai vu les contrôleurs et je suis monté quand même. » Thierry, le contrôleur, ne peut pas gracier Jean-Luc à ce moment-là. Il vient de faire payer une jeune femme qui regarde cet autre usager se défendre, pour échapper à l’amende. Le contrôleur l’assure : « En tant normal, on ne l’aurait pas verbalisé. S’adapter à chaque situation, c’est ça le plus dur. » D’un côté comme de l’autre. Bilan des deux heures : 25 procès verbaux sur les 13 rames contrôlées.

Sur six millions de voyageurs par mois, 130 000 sont contrôlés.