Le décor
Une toute petite salle d’audience, pouvant contenir moins de cent personnes. Les journalistes et les proches des victimes sont devant, les rares curieux sont assis derrière.
Le président, M. Daniel Duchemin, ses trois assesseurs, le ministère public et les jurés sont assis à une table en arc de cercle, qui fait face à la salle. Les avocats des co-accusés et de leurs proches se trouvent juste devant l’auditoire tandis que le box des accusés est situé à l’extrême droite de la salle.
La sonnerie retentit, tout le monde se lève puis se rassoit sur invitation du président. La séance peut commencer.
Les personnages
Le trio formé par les co-accusés est improbable: un jardinier illettré, Meziane Belkacem ; un entrepreneur ayant réussi à faire fortune, Jean-Michel Bissonnet et un vicomte âgé et presque sans le sou, Amaury d’Harcourt. Ce qui est encore plus frappant, c’est la situation à la fois de subordination et d’admiration qui les lie.
Avant les faits, Méziane Belkacem voue à Jean-Michel Bissonnet un véritable culte : « C’est le bon Dieu qui l’a mis sur mon chemin, j’étais très fier de travailler chez lui, c’était plus qu’un patron, un modèle, un ami. Il me comprenait, je me sentais proche de lui ». Pour le principal intéressé, il n’en est rien. Il s’est peut-être montré « paternaliste » parce qu’il a toujours voulu « aider les gens dans la souffrance » mais il ne se considère pas comme un proche de son jardinier. C’est différent en ce qui concerne Amaury d’Harcourt : Jean-Michel Bissonnet le connait depuis qu’il a 20 ans et le considère comme un « père spirituel ». Un lien confirmé par le vicomte, père d’une seule fille, la princesse d’Aremberg : « Mon fils, c’était Jean-Michel ».
Pourtant, dans le box des accusés, ils ne se regardent presque pas et chacun essaye de sauver sa peau, quitte à faire plonger les autres.
Les différents scénarii invoqués
Les charges retenues contre Bissonnet tiennent plus sur des hypothèses que sur de véritables éléments de preuve mais tout l’accable, à commencer par les propos de Belkacem et de d’Harcourt.
Le jardinier joue depuis le début la carte de l’assassinat commandité par son patron, ce qui lui évite dix ans de prison supplémentaires. Son père, appelé hier à la barre sans la qualité de témoin (et donc sans obligation de prêter serment), a indirectement corroboré cette thèse. Tout en condamnant fermement le geste « dramatique » que son fils à commis, il précise qu’il est « posé, sérieux, pas violent mais naïf ». C’est donc son ingénuité qui aurait poussé Belkacem à accepter la proposition de son patron, qu’il admirait tant.
Le vicomte a choisi une ligne de défense différente : celle du sourd qui ne sait plus vraiment distinguer le bien du mal suite à un traumatisme crânien. Alors qu’il entend merveilleusement bien les questions posées par son avocat, son audition lui fait souvent défaut quand c’est l’accusation qui s’adresse à lui. Il rappelle aussi à la cour qu’il a été victime d’un accident de voiture en 1999 et qu’il est resté plusieurs mois à l’hôpital à cause d’une commotion cérébrale. Depuis, son discernement serait altéré, ce qui expliquerait qu’il ait participé à ce qu’il prétend être un assassinat.
Hier, Bissonnet ne s’est pas exprimé sur la mort de son épouse mais devrait selon toute vraisemblance prôner la thèse d’un cambriolage qui aurait mal tourné.
Des suspicions en trame de fond
L’accusation et les avocats des différentes parties n’ont eu de cesse de mettre en avant les contradictions des co-accusés et de fouiller dans leur passé afin d’essayer de comprendre comment ces trois hommes se retrouvent impliqués, de manière plus ou moins directe, dans la mort de Bernadette Bissonnet.
Malgré son talent pour détourner les questions qui lui sont posées, Amaury d’Harcourt s’est fait piéger à différentes reprises. Lors des précédents procès, il avait déclaré avoir été blessé durant la deuxième guerre mondiale et avoir reçu des décorations militaires. Mais hier, quand le président Duchemin lui demande s’il a reçu des décorations, le vicomte répond simplement qu’il a reçu le mérite agricole pour son élevage de sangliers. De quoi faire ricaner la salle et agacer l’accusation. Pour ce qui est des blessures, d’Harcourt n’a rien à dire, si ce n’est que Duchemin n’était pas présent au moment des faits. Il a aussi admis par inadvertance qu’il possédait bel et bien des armes de guerre, ce qu’il niait jusqu’à présent. La cour évoque également l’association IVI (Invitation à la Vie), à caractère sectaire. D’Harcourt en est l’un des principaux dirigeants. Sa tendance à la mythomanie et son appartenance à une association controversée ont clairement joué en sa défaveur hier.
Pour Jean-Michel Bissonnet, l’accusation a tourné autour des 15.000€ qu’il aurait prêté début 2007 à Amaury d’Harcourt. Ce dernier ne le remboursant pas, Bissonnet a fait un virement de son compte personnel vers le compte commun du couple, en indiquant qu’il s’agissait d’un remboursement venant de la banque du vicomte. Pour Bissonnet, il n’était pas question de faire croire à sa femme que son vieil ami lui avait remboursé la somme due. Madame Bissonnet n’aurait pas été dupe car c’est elle qui tenait les comptes. Il s’agissait simplement de transférer 15.000€ de son compte personnel vers leur compte commun. Le président a essayé de comprendre pourquoi l’accusé avait opéré un tel transfert. En vain. Pour Louis Balling, l’avocat de d’Harcourt, si son client n’a pas remboursé sa dette, c’est qu’il ne s’agissait pas d’un prêt mais bien d’un don et qu’il n’avait donc pas besoin de tuer Madame Bissonnet pour avoir de l’argent. Le sujet devrait être de nouveau abordé aujourd’hui.
Meziane Belkacem, lui, n’a été que peu attaqué. Seul Maitre Phung, avocat du frère de la victime, Jean-Pierre Juan, a relevé des incohérences, non pas tant dans le discours du jardinier que dans les faits eux-mêmes. Belkacem avait l’habitude de ne venir travailler chez les Bissonnet que deux fois par an : une fois à l’automne et une fois au printemps. En 2008 pourtant, les Bissonnet ont fait trois fois appel à ses services en seulement deux mois : une fois début février, une fois à la mi-février et une dernière fois le jour du drame, le 11 mars. Des séquences rapprochées qui ont donc attisé la suspicion de l’avocat.
Cette troisième journée de procès a permis de cerner un peu mieux la personnalité des différents protagonistes mais tant que tous ne donneront pas la même version des faits, il sera impossible de connaître le fin mot de l’histoire.
Catégorie(s) :