Après des années de combat, les militants écologistes antillais ont remporté il y a quatre mois seulement, leur première victoire sur le plan national. Le rapport du cancérologue Dominique Bellepomme, présenté le 18 septembre à l’Assemblée nationale, a permis de faire éclater le scandale du chlordécone dans l’hexagone. Dans Le Parisien du 17 septembre, le savant n’hésite pas à parler d’une affaire « plus grave que celle du sang contaminé ». Alors que l’étendue des préjudices causés aux populations n’est pas complètement établie, la question des responsabilités est posée.
« Chronique d’un empoisonnement annoncé ».
De 1972 à 1993, un produit antiparasitaire de lutte contre le charançon du bananier, un insecte qui cause des dégâts considérables aux cultures, a été utilisé par les producteurs de banane de Martinique et de Guadeloupe. Le chlordécone, matière active du produit, est une substance toxique, persistante, qui se dégrade difficilement et a tendance à s’accumuler dans les sols. Breveté en 1952 aux Etats-Unis, le chlordécone est provisoirement autorisé sur le marché français par le ministère de l’agriculture dès 1972. Et malgré la toxicité de l’insecticide, les autorités françaises l’introduisent complètement à partir de 1981. Dès lors, des centaines d’agriculteurs l’utilisent et contaminent sans le savoir les terres bananières, les rivières, les sources et, par extension, l’eau potable. Le chlordécone a été interdit aux Etats-Unis dès le courant des années 1970, mais il a fallu attendre 1990 pour qu’il soit officiellement interdit en France et 1993 aux Antilles françaises.
En mars 2007, les Martiniquais Raphaël Confiant et Louis Boutrin ont publié « Chronique d’un empoisonnement annoncé ». Ce livre-enquête sur l’utilisation de ce pesticide très nocif, avait permis aux auteurs de pousser un cri d’alarme. Pour eux, les conséquences sur l’environnement sont catastrophiques. Sur la santé des Antillais aussi. Les bananeraies contaminées se situent principalement au sud de la Guadeloupe et dans le nord de la Martinique. Or, en Martinique par exemple, 91 % de l’eau potable provient des rivières qui trouvent leur source dans ces zones. Selon des études internationales mentionnées par les auteurs, l’exposition au chlordécone peut provoquer des anomalies congénitales, des troubles immunitaires, des troubles de la reproduction, une perte de la fertilité, favoriser les maladies de Parkinson et d’Alzheimer ainsi que des cancers de la prostate. Les départements des Antilles connaissent d’ailleurs une véritable explosion des cancers de la prostate depuis quelques années. Aujourd’hui, 50 % des cancers des hommes en Martinique concernent la prostate, ce qui représente le 2ème taux mondial après les Etats-Unis, par ailleurs premier consommateur de pesticides au monde.
Le rapport du Professeur Belpomme de septembre dernier rejoint donc l’oeuvre de Louis Boutrin et Raphaël Confiant. Selon le scientifique, « les conséquences sanitaires devraient se faire sentir longtemps, y compris sur les générations nées après l’interdiction du chlordécone ». Toutefois, Dominique Belpomme a précisé dans Le Parisien que les scientifiques n’ont « pas encore la preuve épidémiologique » que les cancers sont « liés au chlordécone ». Mais en plus d’avoir des effets considérables sur la population et sur les plantations, la contamination pose un véritable problème social et économique : beaucoup d’Antillais étant dépendants de leurs cultures pour vivre. Les effets du chlordécone s’arrêtent à la peau de banane, seule plantation possible désormais.
Un scandale étouffé
C’est bien d’empoisonnement « très grave » dont a parlé Michel Barnier, le ministre de l’agriculture, le 17 septembre dernier. Mieux vaut tard que jamais comme on dit. Mais dans ce cas-là, le mal est fait et va durer. Pire, Rue89 titrait le 6 décembre dernier : « Lozès: Borloo étouffe un scandale écologique majeur ». Le président du Cran (Conseil représentatif des associations noires), Patrick Lozès, chargé de dresser l’état des lieux environnemental de la Martinique après le passage du cyclone Dean a démissionné. Il affirme que le ministère de Jean-Louis Borloo lui a très vite réclamé de communiquer sur l’avancement de ses travaux. Sauf sur une question : le chlordécone. Selon Patrick Lozès, on lui a demandé de mettre ce sujet sous le tapis, parce que la production de bananes est un enjeu économique sensible en Martinique depuis le passage du cyclone.
Plusieurs enquêtes ont été menées ces dernières années. Mais leurs résultats ont été soit étouffés, soit minimisés par les autorités. Selon François Veillerette co-auteur du livre « Pesticides, révélations sur un scandale français », paru en mars 2003, le cas des Antilles est un véritable « scandale», dont les autorités publiques connaissent les risques depuis longtemps. Cet ancien président de Greenpeace France a éxpliqué au JDD (Journal Du Dimanche), le 17 septembre dernier, que malgré la prohibition du produit en France en 1991, le « lobby des producteurs de bananes» était tout de même parvenu à obtenir une prolongation de trois ans. Il a prouvé également qu’une utilisation frauduleuse du produit avait eu lieu aux Antilles jusqu’en 2002. Pour Raphaël Confiant et Louis Boutrin, « pour vendre et utiliser le chlordécone, il fallait des autorisations ministérielles. Jacques Chirac, Henri Nallet, Louis Mermaz, Edith Cresson… tous ces ministres devront rendre des comptes. Il faut dénoncer le concubinage entre les lobbies économiques et l’administration française aux Antilles. »
Aujourd’hui, la justice s’empare du dossier et devrait commencer à enquêter de son côté sur cette pollution des champs de banane. En Martinique, les indépendantistes du PKLS sont proches de l’une des associations écologiques qui a porté plainte, l’ASSAUPAMAR, (association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais). Au-delà du scandale, si l’on prouve le lien entre chlordécone et le cancer, on peut craindre l’installation d’un climat de tension dans l’île.