Quelles sont les différences notables entre le parlement européen et l’Assemblée Nationale ?
Les différences entre les deux parlements sont saisissantes. D’abord, le parlement français est en réalité très dépendant du gouvernement qui lui impose un rythme, participe implicitement au choix des rapporteurs, désigne les parlementaires en mission, valide ou invalide ses propositions de loi, et va même jusqu’à désigner des députés dans certaines instances publiques. A l’inverse, le Parlement européen est vraiment un parlement indépendant de l’exécutif, infiniment plus conforme à « l’Esprit des lois » et au principe de séparation des pouvoirs énoncés par Montesquieu il y a plus de 3 siècles.
En second lieu, le parlement français est celui du verbe, de la polémique et de la posture. Il cherche et cultive l’affrontement rituel, là où le Parlement européen cherche des compromis et des solutions.
Les conditions de travail de l’Assemblée nationale, avec des séances de nuit interminables, qui consignent les ministres des heures durant, nuit et jour, est une singularité européenne à ma connaissance. Ici, « la Geste Droite Gauche » est plus importante que l’affirmation « institutionnelle ». Cela ne tient pas seulement à une culture française, mais aussi aux institutions. L’Assemblée nationale est le bras armé d’une majorité gouvernementale qui en procède, alors que le Parlement européen n’est pas constitutif de la Commission européenne… ce qui lui confie évidemment une grande indépendance institutionnelle, étrangère à tout autre parlement au monde.
Pour le reste, la mécanique institutionnelle est très proche. Simplement, en France,les commissions ont moins de pouvoir que l’Assemblée plénière, où les amendements sont débattus article par article au cours de séances interminables, et le vote y est cadenassé par la majorité gouvernementale.
D’une façon générale, le travail est plus apaisé, plus serein, et donc plus approfondi au Parlement européen. Par contre, l’administration de l’Assemblée nationale est d’un niveau technique incomparablement meilleur que celui de l’administration du Parlement européen.
L’expérience européenne change-t-elle le regard sur la politique nationale et locale et donc sur l’exercice du mandat parlementaire ?
L’expérience d’un mandat de parlementaire européen constitue un angle de vue radicalement différent du nationalo-centrisme dans lequel on est éduqué, élevé, qui forge notre vision de l’Histoire comme notre culture.
J’ai d’abord constaté avec stupéfaction que la posture publique se substitue à la conviction . Cette confirmation est en soi une surprise, parce qu’elle valide des imageries populaires (voire des préjugés), mais aussi parce qu’elle rassure sur la diversité du monde et des cultures. Les cultures nationales résistent à la mondialisation et au « costume Mao » du matérialisme indifférencié. Mais le choc dans l’exercice de ce mandat, c’est qu’il bouleverse votre point de vue sur votre propre pays. Parce qu’on peut plus aisément le comparer, on cerne mieux ses atouts et ses handicaps, ses forces et ses blocages ; on démystifie son imaginaire et ses symboliques.
A titre d’exemple, c’est à Bruxelles que j’ai réalisé quelques traits du comportement politique français :
Un goût exacerbé pour l’idéologie plutôt que pour la recherche de solutions pragmatiques.
Le primat des postures sur les solutions. Il suffit qu’une solution soit identifiée de « gauche » pour que la droite française s’y oppose et inversement, ce qui est étranger à la plupart des pays d’Europe. Gauche et droite françaises semblent à ce point aux prises avec un problème d’identité, que la posture publique devient un côté d’authenticité. Cependant, les élus français, comparativement à bien d’autres élus européens, ont un très bon niveau de culture historique et politique.
L’absence quasi-totale de séparation des frontières entre l’exécutif et le délibératif. Le Parlement français et spécifiquement l’Assemblée nationale, est une annexe du gouvernement qui le régit pour l’essentiel à travers mille usages furtifs et non codifiés.
Voilà l’exemple d’un grand principe français (la séparation des pouvoirs de Montesquieu) qui est totalement bafoué en France, mais spectaculairement mis en œuvre entre le Parlement européen, le Conseil européen et la Commission européenne.
Observez-vous des contradictions entre les projets de loi européens et certains intérêts nationaux ?
La première et constante contradiction tient au fait que les lois européennes construisent « de l’Europe », c’est-à-dire du dépassement des lois nationales. Bien sûr, la «hiérarchisation » de ces niveaux de législation s’effectue théoriquement sans « conflit » au nom du principe de subsidiarité. Mais en réalité, les directives européennes bousculent notre vieil environnement national. Par exemple, en construisant des espaces européens sans frontières dans le domaine des transports ou de l’énergie, elles démantèlent les monopoles publics nationaux et introduisent une régulation concurrentielle inhabituelle à ces secteurs.
Et puis il y a les cas, nombreux, où l’Europe se heurte à des spécificités nationales, auxquelles les nations tiennent particulièrement, comme par exemple les régies publiques, les associations à but non lucratif, les délégations de service public, les services sociaux d’intérêt général, le salaire minimum, la sécurité sociale par répartition…
Dans ces cas d’incompréhension mutuelle et fondamentale, les Etats membres entrent souvent en résistance au Conseil comme au sein de la Commission ou du Parlement européen pour aboutir à des compromis leur permettant de sauver leur modèle et de l’intégrer dans la législation européenne, soit en droit positif, soit comme dérogation.
Pouvez-vous développer le fait qu’historiquement il y a peu de liens entre des carrières européennes et nationales ?
En réalité, au plan politique, il y a un lien très clair : pour les Français, les mandats de parlementaire européen, à de rares exceptions près, sont des mandats de repêchage d’une élection nationale perdue, de gratification partisane ou personnelle d’exil du territoire, en attente d’un retour à une meilleure fortune.
Il existe heureusement des cas particuliers, de personnalités politiques françaises qui s’engagent résolument et pleinement dans la vocation européenne, mais comme ils en sont rarement payés en retour sur la scène politique française, il est plus fréquent que les eurodéputés attendent la première occasion de revenir sur la scène politique nationale. Il y a très peu de profils à la « Cohn Bendit », dont l’engagement européen est exclusif et passionnel. C’est pour cela que Daniel Cohn Bendit incarne un supplément d’âme européen dans la vie et le paysage politique.
En quoi les enjeux politiques nationaux relèvent-t-ils de plus en plus de l’ordre européen et mondial ?
Les enjeux politiques nationaux sont aujourd’hui essentiellement ceux de l’adaptation d’une vieille grande puissance à sa relative banalisation dans les rapports de force mondiaux qui se dessinent. Ils sont pour la plupart liés à cette question, celle d’un changement de monde qui a été fulgurant en 30 ans :
Développement de l’Internet et des moyens de communication électroniques qui globalisent le « village planétaire ».
Augmentation faramineuse de la mobilité internationale des biens et des personnes, avec une internationalisation des esprits (notamment de la jeunesse).
Déséquilibres géopolitiques avec le développement de conflits asymétriques à base religieuse ou tribale au lieu de l’équilibre de la « guerre froide ».
Et surtout, déplacement du centre de gravité de la puissance, de l’Atlantique entre l’Europe et les USA, au Pacifique entre la Chine, l’Inde et les USA.
Ces enjeux sont tellement considérables, tellement mondiaux que notre pays, pour la première fois de son histoire peut-être, ne l’écrit plus, mais s’adapte à l’Histoire des autres, comme la plupart des pays du monde. Dans ce cadre, l’Europe est la seule perspective nous permettant de regagner ou de conserver des marges de négociation d’égal à égal, avec la Chine ou les Etats-Unis, dans tous les domaines.
Mais à l’inverse, la crise que nous traversons, parce qu’elle « vient » du monde, génère des réflexes de repli national, qui sont comme des contre-reflexes – celui par exemple de se redresser dans l’eau pour ne pas se noyer, ou de se pencher en avant en ski pour ne pas tomber – qui peuvent précipiter notre déclin.
Dans le domaine de l’environnement, de la lutte contre le réchauffement climatique, de l’approvisionnement en énergie, de la lutte contre le terrorisme, de la régulation de l’immigration, des transports, mais aussi de la monnaie et donc de nos budgets publics, de la sécurité alimentaire, de la santé publique, des interventions militaires même, nous n’avons plus la dimension d’agir seuls si nous voulons obtenir des résultats tangibles, et même éviter des régressions.
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