Jeudi 8 octobre, 20h30. Une foule s’amasse devant le cinéma Gaumont Comédie à Montpellier. Certains se sont inscrits sur la liste des invités, d’autres s’y sont rendus dans l’espoir d’obtenir une place vacante. À l’affiche ce soir-là, un documentaire très attendu : celui de Carole Chabert, Justice pour le Petit Bard. Une immersion totale dans ce quartier prioritaire de Montpellier, que la France entière a découvert en mai dernier lors d’une manifestation réunissant une soixantaine de mamans qui revendiquaient la mixité sociale.
La naissance du documentaire grâce à l’association
« Au départ, j’étais au Petit Bard pour filmer l’arrivée de Ségolène Royal, se souvient Carole Chabert. Mais j’ai vite senti qu’il se passait quelque chose. Tout le monde se retenait et là… ça explosait ! J’ai donc choisi d’arrêter mon tournage pour filmer les habitants du quartier », confie-t-elle à Haut Courant. Un concours de circonstances qui marquera le début de l’aventure.
La réalisatrice fait alors la rencontre de Hamza, membre de l’association « Justice pour le Petit Bard ». « J’ai trouvé que leur action, menée sur dix ans, était très importante et n’avait pas d’équivalent ailleurs en France, explique Carole Chabert. Ils représentaient une alternative de taille dans le quartier, avec tous les risques que cela comprenait », souligne-t-elle. Elle décide alors de suivre l’association dans son combat quotidien, celui de faire valoir les droits des « Petit Bariens ».
Un défi : gagner la confiance des habitants
Pour réaliser un tel documentaire, il était avant tout nécessaire d’illustrer la réalité du terrain. « Nous avons eu de bonnes conditions de tournage dans l’ensemble, lance Carole Chabert. Mais nous devions effacer toute trace de défiance envers la caméra… Au départ, c’était très difficile de filmer à l’intérieur de la permanence de l’association », admet la jeune femme. Si certains n’osaient pas prendre la parole par « pudeur », d’autres n’ont pas tardé à témoigner de leur situation. « Les habitants ont fini par jouer le jeu, notamment grâce aux bénévoles de l’association. Ils m’ont permis de gagner la confiance des gens et de récolter des témoignages poignants », confie-t-elle. Parmi eux, celui de Mokhles, atteint d’une sclérose en plaque sévère. Incapable de circuler dans son actuel appartement en fauteuil roulant, il n’a pas été relogé à ce jour.
Côté tournage, Rachid Najid, assistant réalisateur mais également habitant du Petit Bard, vient en aide à la réalisatrice. « Ma première rencontre avec Carole remonte à décembre 2013, se souvient-il. J’ai commencé à l’accompagner dans ses différents tournages dans le quartier. Un quartier que je redécouvrais trois ans après l’avoir quitté : les problèmes de chômage s’étaient empirés, les conditions de logement des habitants dégradées. Je fais connaissance avec une réalisatrice passionnée du documentaire, qui connait sur le bout des doigts l’association et ses militants. Elle m’apprend les techniques de prise de vue pour cet exercice particulier. Puis Carole m’a confié le tournage pendant trois jours : c’était pour couvrir la démolition de la Tour H en avril 2014. », relate le jeune homme. Une étape phare pour le Petit Bard, qui faisait partie des engagements tenus par l’actuel maire Philippe Saurel, dans le cadre du projet de rénovation urbaine.
Les difficultés du quartier à travers la campagne municipale
Le rapport au politique est présent tout au long du documentaire. Et pour cause, les élections municipales se tiennent en mars 2014, en plein cœur du tournage. Les candidats défilent alors les uns après les autres au Petit Bard : « Je savais que l’échéance municipale serait très importante pour l’association, explique Carole Chabert. C’était le fil conducteur du film : après les élections, soit ils continueraient leur combat, soit ils l’arrêteraient. La principale difficulté des quartiers reste le logement, car beaucoup de problèmes découlent de cela. Ensuite, il y a les jeunes et le chômage. Les habitants ont le sentiment d’être abandonnés la majeure partie du temps, puis instrumentalisés en période électorale », détaille la réalisatrice.
Un autre regard sur le Petit Bard
De son côté, Rachid Najid a également pu porter un regard neuf sur son quartier d’origine : « C’était un projet très important pour moi, car c’est là que j’ai passé les vingt premières années de ma vie. Un village de 5 000 habitants où tout le monde se connait. Un lieu avec ses joies et ses tristesses. Un quartier où les problèmes naissent, puis stagnent. Ce qui m’a le plus motivé, c’est l’idée de mettre en avant un endroit si souvent – et volontairement – oublié. C’est en dénonçant les difficultés qu’elles seront amenées à évoluer, voire diminuer », argue-t-il.
Un message d’espoir pour ce jeune homme, qui a lui-même réalisé un court-métrage baptisé « Petit-Bard » dans le cadre du concours « Filme ton quartier », organisé par France 3 en 2015. « Je n’aurai peut-être pas pu être récompensé sans avoir participé au projet de documentaire de Carole Chabert au préalable. Car pendant les tournages, j’ai appris à voir mon quartier d’un autre œil, différent de celui de mes souvenirs d’enfance », souligne Rachid.
Pari gagné pour Carole Chabert
Le soir de la première, Carole Chabert fait salle comble. Au total, ce sont 230 personnes qui se sont déplacées pour (re)découvrir le Petit Bard, loin des préjugés et des a priori. « La moitié de la salle était composée d’habitants du Petit Bard, se réjouit-elle. J’ai partagé quelque chose avec eux et j’ai eu l’impression de leur rendre ce soir-là tout ce qu’ils m’avaient donné au cours des quatre dernières années », révèle la réalisatrice.
C’est avec beaucoup d’émotion que le public a écouté Mokhles, également présent pour l’événement, prendre le micro et remercier l’association « Justice pour le Petit Bard ». Un grand jour pour Carole Chabert, agréablement surprise par la diversité des téléspectateurs : « J’étais très heureuse que tout le monde se soit reconnu dans le film. Habitants du quartier, de Montpellier, journalistes, élus… J’ai réalisé un documentaire rassembleur, mon pari de départ était donc gagné ! », conclut la jeune femme. De quoi encourager les habitants et bénévoles à poursuivre leur action pour le Petit Bard.
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