Mercredi 20 janvier, le théâtre Jean Vilar, implanté au cœur du quartier prioritaire de la Mosson à Montpellier, accueille la pièce de Nourdine Bara « Et je leur dirais quoi ? ». A la surprise de certains spectateurs, la pièce est jouée à l’espace bar, sur la demande de l’établissement qui souhaite alors mettre en lumière ce nouveau lieu équipé d’une scène. Un hasard qui convient finalement très bien à l’auteur : « Au théâtre, il y a ce fameux quatrième mur qui crée de la distance avec le public. Ici, il est démoli, ouvrant sur un espace de tranquillité et de connivence avec les spectateurs », se réjouit-il.
Ainsi l’acteur, Didier Lagana, circule habilement entre les tables, frôle les fauteuils individuels, croise certains regards… Son monologue est celui de Nourdine Bara, qui se contente de rester derrière le comptoir, impassible, occupé à sécher les verres. Il n’interviendra qu’une fois, à la toute fin de la pièce, à la demande du metteur en scène Mathias Beyler. « Il a voulu que je sois là : le public pouvait alors regarder l’acteur, et jeter un coup d’œil vers moi sachant que c’était mon texte. Cela ajoute une part de vérité », explique Nourdine. Une vérité qui gravite autour d’une petite planète, celle où le dialogue est un échec.
« Le dialogue rendait possible tout ce que j’avais à dire »
Le texte de Nourdine Bara en est imprégné. L’acteur fustige ceux qui l’accusent de ne pas arriver à cet idéal, de ne pas assez donner la parole aux autres. Pourtant, le dialogue ne permet pas toujours à tous de s’exprimer librement. Pour l’auteur, « c’est un vrai vecteur de sociabilisation qui interroge notre rapport à l’autre ». Sans doute l’influence des agoras qu’il a pu organiser à Montpellier par le passé. En tant qu’observateur, il a vu le message se perdre à de nombreuses reprises. « Si ce n’était pas dramatique, ce serait presque fascinant », confie-t-il. « Ce moment où l’on perd son interlocuteur, où on ne l’écoute plus, où l’on sacrifie tout pour défendre uniquement nos idées », argue Nourdine.
Les quartiers populaires représentent d’ailleurs un lieu d’exception en la matière, une scène où les personnages principaux peinent à dialoguer avec les acteurs extérieurs, voyant le pouvoir des mots s’amoindrir depuis de nombreuses années. « Ils ont du mal à émettre une vérité sans qu’elle ne soit déformée par la presse ou les politiques », souligne le jeune homme, qui réside lui-même à la Mosson. L’occasion pour l’auteur de faire un détour par les débats qu’il a jugé malvenus en France.
Un clin d’œil aux débats qui font mal
« Comme exercice de dialogue raté, il n’y a pas de meilleur exemple », tranche Nourdine. Pour lui, la question de l’identité nationale n’a clairement pas été bien posée, telle une interro surprise pour des élèves pas prêts. « Dans les quartiers, on l’a tous vécu comme un calvaire », lance-t-il. « On était déjà en déséquilibre, on cherchait encore notre place dans la société… Ca nous a frappés de plein fouet », poursuit l’auteur. Dans sa pièce, il évoque un destin, une communauté de rejetés, en référence aux habitants des quartiers éternellement confrontés à la difficulté. L’échec devient alors la règle, le fatalisme l’emporte, la colère gronde.
« Il y a eu des maladresses dans la façon dont s’est organisée cette société, accouchant de compartiments de gens », déplore Nourdine. Dans son texte, un jeu de mots très éloquent et plus que jamais d’actualité : « La race est un débat qui fait rage ». Et plus récemment, le débat sur la déchéance de nationalité n’a pas amélioré les choses. Des mots, des initiatives qui divisent une fois de plus selon lui. « Laisser peu à peu penser qu’on a été envahi par des gens qui ont toujours été là n’augure rien de bon », s’inquiète l’auteur. S’il aime profondément les mots, il pense également que leur pouvoir est à double tranchant : ils peuvent aider à se soigner, ou au contraire à se faire du mal. « Ce type de débat embarrasse pleins de gens honnêtes ». Mieux vaut donc jouer habilement avec les mots… Ou s’abstenir.
Catégorie(s) :