Lancé en 2006 à Montpellier, ce projet attire les curieux un dimanche par mois, d’octobre à mai, et sauve l’enseigne de la débandade. Une idée originale, inspirée d’un bar parisien lounge . Mais ici, « pas question de se prendre pour une association prétendue caritative qui vise à aider les non-voyants », précise Jérôme. « En réalité, cette formule s’est développée rapidement et a permis de faire du business. Les plats qu’on sert dans cet endroit branché de la Capitale ne sont même pas cuisinés.»
Sur réservation, une trentaine de fins gourmets prend place aux Beaux-Arts dans une mezzanine aux allures baroques, plongée dans l’obscurité totale : briquets et portables confisqués, fenêtres et velux voilés, lustre rouge masqué. Le menu surprise de 40€¬ comprend boissons, entrée, plat, et dessert. La spécialité du chef ? Les macarons au foie gras, incontournables. Les saveurs salées sont préparées à la façon des pâtisseries, en toute subtilité.
« Les barrières sont tombées. »
Didier Rouillard, responsable de l’établissement, s’improvise guide, le temps d’une soirée. Muni de ses lunettes infrarouges avec zoom intégré, il assiste les petits et gros mangeurs dans leur dégustation. Tant pis s’il voit rose pendant deux heures, après son service, l’ambiance conviviale réchauffe les cœurs. Le temps passe vite, les gens parlent fort. « Les barrières sont tombées », remarque Jérôme. Les phrases volent entre les tables. Seul un coin de la pièce reste isolé par un rideau ; surnommée Le tête à tête en amoureux, une table de deux offre un havre de paix intime au milieu du brouhaha.
Le repas terminé, les lumières s’allument. L’équipe dévoile le menu et en surprend plus d’un. Certains confondent la viande et le poisson ; un fournisseur de vin n’a même pas su reconnaître le rouge du blanc.
L’expérience est tentante. Elle suscite le développement des sens de manière ludique. Rien qu’en fermant les yeux, pour retrouver le goût simple des bonnes choses.
La Menèstra
4 rue Bernard Délicieux
Quartier des Beaux-Arts
34000 Montpellier
04 67 79 52 51
« Deux heures, c’est trop court pour se mettre dans la peau d’un aveugle. »
Marie-Eve Leclair, spécialiste en neurobiologie, travaille auprès de personnes souffrant de troubles de la mémoire.
Comment reconnaît-on le goût d’un aliment ?
Lorsque nous mangeons, nous stimulons notre mémoire visuelle. L’enfant commence très tôt à faire l’apprentissage du goût. Quand il croque une pomme pour la première fois, un récepteur du système optique transmet une information visuelle au cerveau. Cette image est associée au goût du fruit, sucré et acidulé. Elle est enregistrée dans la mémoire. L’enfant fera appel à ce souvenir chaque fois qu’il verra une pomme. On appelle ce phénomène un réflexe conditionné.
Que se passe t-il si l’on mange dans l’obscurité ?
Nous ne disposons plus d’information visuelle. La vue prime en général sur les autres sens, donc on perd quelque chose de précieux. Le goût et l’odorat ne sont pas toujours très développés. Il arrive donc parfois que l’on confonde deux aliments bien connus, tels que la viande et le poisson.
Le changement de lumière a-t-il des effets sur le comportement humain ?
Tous nos repères s’envolent : pas seulement la vue, mais aussi l’espace, le temps. On parle plus fort pour combler un vide. C’est aussi désinhibant.
Peut-on ressentir ce que ressent un non-voyant en participant à Dark Experience 2 ?
Deux heures, c’est trop court pour se mettre dans la peau d’un aveugle. Le cerveau d’un non-voyant a été modifié : il est habitué à se concentrer sur les quatre autres sens, qu’il développe à 100%. C’est loin d’être le cas pour la majorité des individus.