Quand on fait le choix de devenir journaliste, d’entrer dans un secteur professionnel en pleine crise existentielle, on se doit d’observer toute nouvelle initiative susceptible de faire évoluer la profession.
C’est ainsi qu’on se retrouve un soir devant sa télévision à regarder la nouvelle émission proposée par France 2 et présentée par David Pujadas, Les Infiltrés.
On part forcément avec des a priori puisque cette émission a été critiquée et dénoncée par une bonne partie du métier. Mais on regarde quand même, puisque pour se faire une opinion, il faut savoir de quoi on parle.
Ce soir, sujet croustillant et complexe, les sectes.
Comme l’a décrit le site Internet d’information Rue89, le décor est digne d’une salle de contrôle de la NASA ou du FBI. Des écrans de télévisions tapissent les murs et les sols, balançant des images en pêle-mêle. On se croirait presque dans Matrix, quand Keanu Reeves pénètre au cœur des « Machines ».
Au lieu de Keanu Reeves, c’est David Pujadas qui fait son apparition et introduit l’émission.
Il nous explique à quel point certains secteurs de la société restent secrets et fermés. Eh oui! C’est terrible, la seule solution qu’ont les journalistes, c’est de se travestir et d’infiltrer ces milieux sous une fausse identité. Le site France 2.fr nous propose d’ailleurs une interview de Pujadas dans laquelle, pour défendre le concept de cette émission, il prend l’exemple de Günter Walraff, journaliste allemand qui se fit passer pour un travailleur immigré Turc. De cette expérience, sortit un livre devenu célèbre « Tête de Turc ».
Il est vrai que la question de l’infiltration du journaliste n’est pas nouvelle. Elle s’est souvent posée et ce n’est pas la première fois que des journalistes travestissent leur identité pour les besoins d’une enquête.
Cependant, il est important de faire une distinction entre la presse écrite et la télévision. Il existe une belle différence entre réaliser un reportage en caméra cachée et réaliser un reportage écrit sans révéler sa véritable identité de journaliste.
Ce qui frappe le plus dans cette émission, c’est à quel point les personnes filmées à leur insu sont mal dissimulées.
Ce soir, le sujet est donc les sectes « ces gourous qui nous manipulent ». La deuxième partie de l’enquête est consacrée aux faux psychologues et psychiatres qui sont « spécialisés » dans les « faux souvenirs induits ». Ces charlatans font croire à leurs pauvres patients qu’il s’est passé quelque chose d’horrible dans leur enfance, comme un viol par exemple. De cette façon, ils les manipulent et leur prennent des sommes folles à chaque séance.
La journaliste de France 2 se rend donc chez une psychologue, qui se révèle être un charlatan de la pire espèce. Pendant une fraction de seconde, on se demande même comment la journaliste se retient pour ne pas lui mettre son poing dans la figure (la déontologie, sans doute !).
Toujours est-il que même si le visage de la psychologue n’est jamais filmé, la caméra filme très clairement la maison de cette personne. On peut voir son salon entier, son chien, ses vêtements jusqu’à la couleur de ses chaussettes.
Respect de l’anonymat… mouais ! Non seulement cette personne n’est pas au courant qu’elle est filmée, mais en plus, n’importe qui qui l’aurait consultée ou qui vit dans le même village qu’elle, peut la reconnaître. Comme respect de la déontologie journalistique (protection des sources, même les plus immondes), on a vu mieux.
Dans le livre de Günter Walraff, il nous révèle la réalité d’un milieu, d’une catégorie de population. C’est une enquête écrite, avec une analyse sérieuse. Analyse qui n’aurait certainement pas pu être aussi complète si le journaliste n’avait pas intégré ce milieu. Ce qui importe, ce sont les faits, la réalité. Le but n’étant pas seulement de mettre à jour les « méchants ». Car n’oublions pas : le journaliste n’est pas un justicier (Charte de Munich de 1971)
Rappelons que la première émission des Infiltrés, consacrée aux maisons de retraite n’avait pas non plus préservé efficacement l’anonymat des lieux et des personnes puisque la secrétaire d’État à la solidarité (Valérie Létard) avait pu identifier l’établissement.
Tout au long du visionnage de cette émission, si mon cœur de journaliste s’insurge de l’incroyable violation de la déontologie, mon esprit critique de citoyen se met aussi en éveil.
Certes les images sont parlantes, elles révèlent beaucoup de choses… Mais surtout du sensationnel. Des gens tout nus qui se tripotent pour les Raëliens, des psychiatres cinglés qui inventent des viols, et bien d’autres choses encore. Mais finalement, on n’a pas vraiment d’analyse poussée sur ce genre de phénomène. Même les interventions des invités n’apportent pas assez de fond à l’émission.
Qu’est-ce qui pousse des gens sains d’esprits à croire à de telles fadaises, pourquoi n’y a t-il pas plus d’enquêtes de police, que fait réellement le gouvernement pour lutter contre les sectes ?
Le spectateur reste sur sa faim.
Pour finir, voici un passage de la « Charte des devoirs professionnels des journalistes » établie en 1918 par le Syndicat National des Journalistes, révisée en 1938, et toujours d’actualité :
«Un journaliste digne de ce nom (…) s’interdit d’invoquer un titre ou une qualité imaginaires, d’user de moyens déloyaux pour obtenir une information ou surprendre la bonne foi de quiconque »
Quelque chose nous dit que cette charte n’est pas affichée sur les murs de France 2…