Géraldine Pigault :
Dans Agora, Alejandro Amenabar remet l’homme en perspective, sous la voûte étoilée. Comprendre, derrière cette formule pompeuse, que le cinéaste s’est accommodé de l’astronomie comme prétexte à un angle de vue à échelle céleste.
Les plans d’ensemble nous montrent des foules, des masses d’hommes qui s’affrontent, se lacèrent et se lapident les uns les autres. On pourrait être tenté de qualifier Agora d’énième péplum, bien que revisité. Ce serait lacunaire. Car, ce que montre la caméra d’Amenabar, n’est autre que l’Hybris, cette démesure propre aux hommes. On découvre à l’écran des peuples gouvernés par leur orgueil, capables de franchir toutes les limites, dont celle du crime apparaît comme le point d’orgue. Amenabar innove en ce sens qu’il se hisse à une échelle inédite, quasi cosmologique afin de braquer le projecteur sur l’excès et la violence engendrés par les peuples. Le spectateur assiste donc au chaos, à la némésis, qui n’est autre que le châtiment que les peuples s’infligent eux même en se jetant à corps perdus dans des luttes fratricides. Toute l’ampleur de l’absurde que voulait mettre en lumière le réalisateur s’illustre dans les scènes de combats : si l’on distingue parfaitement les camps adverses au début de chaque séquence, les plans d’ensemble progressifs et le recul pris peu à peu, ne permettent plus que de voir un fatras, une termitière grouillant au beau milieu d’Alexandrie ravagée.
Autrefois, Hésiode narrait la Théogonie en hexamètres pour illustrer l’histoire des peuples condamnés par leur démesure. Aujourd’hui, Amenabar les immortalise sur pellicule.
Etienne Latry :
Vendredi soir, un peu de retard, je me retrouve au 2e rang de l’Opéra Berlioz pour la projection d’ « Agora ». Aïe ! Cela m’a permis d’observer de (très) près les détails de mise en scène d’Alejandro Amenabar. Des combats bien chorégraphiés avec le son et le sang qui vont avec.
Le film nous invite à plonger dans cette Egypte antique avec son quotidien fait principalement de luttes religieuses. Le metteur en scène a vu les choses en grand et n’a pas eu tort. Les décors sont bluffants et les effets visuels très léchés avec des mouvements de caméra qui valent le coup d’oeil.
En sortant, j’étais très mitigé. Péplum ? Pas péplum ? Oui, car le péplum a pour toile de fond l’Antiquité. La force de ce film est de traiter un sujet historique (Alexandrie au IVe siècle) mais tellement actuel : les guerres de religions.
Enfin, entre les lapidations et les discordes, une scène plus ludique nous offre un petit concert lyrique d’un des protagonistes. Ce dernier, à l’aide de deux flûtiaux calés au fond de la bouche, s’est mis à produire une mélodie pour sa dulcinée, à la limite de l’audible. Ma question à ce moment-là était de savoir si ce jeune homme avait « assuré » ou au contraire allait se faire huer par le public du théâtre. J’étais réellement perplexe mais il faut le dire pas un grand connaisseur de la tendance musicale du IVe siècle. Finalement, ce fut un triomphe ! Une vraie rock star. Chacun ses goûts.
Jérémy Gauthiot :
Oui, un grand oui pour ce film qui séduit à bien des égards. Certes quelques longueurs voire des répétitions se font sentir vers les trois quarts du long métrage, cependant ce film nous plonge dans une atmosphère très vivante, où le spectateur se retrouve confronté aux combats spectaculaires et sanguinolents qui opposent les amis d’hier dans d’absurdes affrontements dont l’issu n’est évidemment que mort, sectarisation, négation des savoirs scientifiques et aliénation.
Là où la religion s’impose comme l’instance devant réguler la vie des gens, leurs pensées, leur intimité, leurs relations et même leurs amours, alors, souvent, des pouvoirs despotiques et dogmatiques, au nom de cette sacro-sainte religion, font subir les pires sévices et plongent les populations dans une profonde ignorance.
Ce film à ainsi le mérite de synthétiser les ravages que peut faire un pouvoir politique investit d’une autorité religieuse en montrant, les régressions sociales, politiques et scientifiques qu’à subie Alexandrie à cette époque.
Liant ainsi le Blockbuster américain avec la fresque historique, Amenabar obtient un bon résultat quoique parfois un peu trop ampoulé.
Si le jeu d’acteur n’est pas extraordinaire, la réalisation, très esthétique, sublime l’Alexandrie du IVème siècle en proie aux folies des hommes.
Sur le papier, ce film aurait pu être un désastre, en tombant dans la caricature ou dans le documentaire historique ennuyeux, mais non, Amenabar à su trouver un bon équilibre.