Elie Cohen : « mon travail de chercheur a été bouleversé par le net »

Par le 9 février 2010

Élie Cohen, directeur de recherche au CNRS, était à Montpellier jeudi 5 février, pour participer à une conférence sur le thème : » Internet, quel modèle économique pour l’information? « . L’occasion de lui poser quelques questions sur l’avenir de la presse sur internet. Le chercheur n’a visiblement pas que des bons points à distribuer aux internautes. Entretien.

Pensez-vous que la relation plus directe qui s’établit entre journaliste et lecteur sur internet peut permettre au journaliste de faire un travail plus approfondi?

«Pour décrire ce phénomène j’emprunterais la formule de Jean-Louis Missika, de « média conversationnel [[Selon Jean-Louis Missika : avec le succès d’Internet, des  » chats « , des blogs, etc., les Français s’initient au média  » conversationnel « , qui place le public sur un pied d’égalité, lui permet d’interpeller le journaliste ou l’homme politique, et de réagir en temps réel. Si les blogs sont, par exemple, plus nombreux en France qu’en Allemagne, c’est que les Français trouvent dans ces nouvelles formes d’information la possibilité de contourner ce qu’ils considéraient comme les deux plus grands défauts de leur presse : la distance entre l’élite des journalistes et les citoyens ordinaires d’une part et d’autre part, sa connivence avec les hommes politiques. Mais c’est aussi qu’ils ont le goût de la discussion et sans doute une soif d’expression personnelle que les millions de blogueurs manifestent à leur façon.]]», où le lecteur critique directement et en temps réel le travail du journaliste. Il apparaît l’idée d’un formidable élargissement des sources. Mais il existe deux biais, d’une part cela déchaine les passions et d’autre part ce sont toujours les mêmes qui parlent aux mêmes. Il n’y a pas de points de vue contradictoires. Internet ne favorise pas le débat, au contraire cela produit des communautés refermées sur elles-mêmes.»

Pourtant, ne croyez-vous pas que si l’arrivée des lecteurs déchaine effectivement les passions, voire de la violence verbale, elle annonce également un progrès démocratique?

«Oui, mais je trouve qu’il y a un nombre incroyable de scories sur internet. Et je ne vois vraiment pas en quoi la parole du lecteur peut permettre d’améliorer effectivement le travail du journaliste ou du chercheur. En particulier sur des sujets économiques.»

Mais le journaliste ne peut-il pas profiter des critiques que lui adresse le lecteur, et ainsi enrichir son travail?

«Non, je ne suis pas d’accord avec l’idée que l’on puisse établir une coproduction entre journaliste et lecteur. Je ne pense pas que cela puisse apporter une quelconque plus-value. Néanmoins, mon travail de chercheur a été bouleversé. Je fréquente régulièrement quelques blogs, dont certains se professionnalisent et distribue une information de qualité. Je peux vous citer par exemple le blog calculatedrisk, qui apporte des analyses économiques pertinentes.»

Voyez-vous, avec internet, une éclaircie pour l’avenir des jeunes journalistes?

«Ecoutez, je connais pas mal de jeunes qui sortent de grande écoles et qui n’arrivent pas après des mois, à trouver du travail. Il y a un formidable gâchis de compétences. Les entreprises de presse sont en crise terminale et il n’y aura pas de renaissance. Seuls certains services payants comme sur l’Ipad ou les kiosques électroniques pourront peut-être permettre de sauver l’économie de la presse.»

Mis à jour le 10 février à 23h30

Catégorie(s) :
Étiquettes : , , ,

Vous avez aimé cet article ? Partagez-le !

à propos de l'auteur

Auteur : Jérémy Gauthiot

Master 1 de science politique en poche, Erasmus réussi, stages conventionnés et chaussures bien lacées, je me sentis prêt à m'élancer sur les pentes escarpées de la profession, à gravir les montagnes de sujets à traiter et, pour filer la métaphore, à récolter les fruits de mon travail. Un travail que je considère essentiel et qui permet de participer aux différents débats qui animent notre temps. Si nous avons tous conscience des difficultés que traverse notre métier, je crois que la génération dont je fais partie, partage ce même goût du défi qui veut, modestement, sinon faire un meilleur journalisme qu'avant, tenter au moins, de faire du journalisme autrement.