Le combat des journalistes algériens

Par le 22 novembre 2008

Le temps s’y prête. Pendant qu’en France se déroule l’incroyable farce des États généraux de la presse, c’est l’occasion d’ouvrir une réflexion sur le métier de journaliste. Petit tour de l’autre côté de la méditerranée.

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L’histoire du journalisme indépendant en Algérie est relativement jeune et toujours en construction. 121ème sur les 173 pays répertoriés par le classement mondial de Reporters Sans Frontières, l’Algérie n’a pas dit son dernier mot. Aujourd’hui, les journaux qui revendiquent leur indépendance se battent au quotidien pour une presse libre à l’image d’un régime démocratique tant attendu.
Ahmed Ancer et Ali Bahmane, journalistes et fondateurs du quotidien indépendant francophone à Alger El Watan, étaient en visite à Montpellier le 7 octobre 2008 dans le cadre d’une conférence sur la liberté de la presse en Algérie. Témoins d’une réalité vécue où la torture comme méthode dissuasive n’est pas si loin, ils racontent l’Algérie d’aujourd’hui. Plus subtile, « la terreur de l’État se manifeste désormais d’une autre manière » explique Ali Bahmane. « Ils se sont rendu compte que les journalistes en prison, ce n’est pas un bon coup, donc ils multiplient les contrôles fiscaux, les amendes, les pressions avec les procès et la gestion de la publicité ». C’est sûr, avec un président qui a clairement dit dès son arrivée qu’il n’aimait pas la presse et qui refuse depuis 1999, de la recevoir…

Faveurs et restrictions: L’habile dosage de l’Etat

Selon un rapport du ministère de la communication algérien du 22 avril 2008, il y aurait 291 titres de presse écrite en Algérie. 65 quotidiens, 89 hebdomadaires et 137 périodiques. Il y a cinq journaux gouvernementaux c’est à dire qui appartiennent à L’Etat: El Moudjahid, Horizons, An Nasr, Al Djemhouria, Echaab. Tous les autres titres sont privés et se sont développés depuis la fin des années 1990 sur initiative du chef du gouvernement Mouloud Hamrouche qui comptait sur ce nouveau paysage médiatique privé pour le soutien de son action. C’est un grand moment de liberté pour la presse qui n’est plus alors le monopole exclusif de l’Etat. On assiste à l’émergence de journaux dit indépendants, c’est a dire plus d’initiatives étatiques qui vont vite devenir des organes d’opinions politiques. Aujourd’hui, être un journal privé en Algérie ne veut pas dire pour autant être un journal indépendant du pouvoir politique c’est à dire insensible aux pressions venues du gouvernement. Longtemps pris entre deux feux : l’État et l’intégrisme, le gouvernement reste le principal opposant à la liberté de la presse. Pour Ahmed Ancer, » depuis 1998, le gouvernement a favorisé la création de titres qui servent uniquement à concurrencer et faire écran aux journaux indépendants en plus de relayer les discours officiels. » Le fait qu’il y ait de plus en plus de titres en Algérie, 291 en 2008 pour 50 à la fin des années 1980, n’est pas forcément signe de bonne santé démocratique.
Si depuis 1997, les comités de censure ont disparu, l’état fait pression grâce à l’imprimerie, la publicité et le monopole du papier.

L’imprimerie

Cinq imprimeries de presse appartiennent à l’Etat : l’imprimerie du quotidien gouvernemental El Moudjahid (SIMPRAL), l’Entreprise algérienne de presse (ENAP), la Société d’impression d’Alger (SIA), la Société d’impression de l’Est (SIE), la Société d’impression de l’Ouest (SIO). Elles disposent d’un quasi-monopole sur l’impression des journaux. Aujourd’hui, il est possible pour les journaux d’avoir leur propre imprimerie mais la plupart n’en ont pas les moyens. Seuls El Watan et El Khabar ont leur imprimerie. Lorsque les tarifs augmentent et que certains journaux ne peuvent pas payer, si des arrangements financiers ne sont pas trouvés, le titre n’est plus imprimé. Or les imprimeries étant des entreprises d’Etat, celui ci se cache souvent derrière ces arrangements. Et la décision est souvent politique. Ainsi, les dettes sont aussi utilisées pour empêcher la parution de titres jugés  » dérangeants « . En décembre 1996, l’hebdomadaire La Nation, dirigé par Salima Ghezali, rare journal a dénoncer les violations des droits de l’homme a dû cesser de paraître, faute de pouvoir régler ses arriérés auprès de la SIA. Pour Salima Ghezali, il ne fait aucun doute qu’il s’agissait  » d’une interdiction politique  » L’imprimerie d’État a définitivement refusé de l’imprimer, sous prétexte d’une dette que l’hebdomadaire pouvait et voulait pourtant rembourser…
L’état procède parallèlement à des assainissements financiers pour certains de ces journaux endettés. L’aide indirecte à la presse ayant été supprimée en 1993, les petits journaux qui revendiquent un ton indépendant doivent donc avoir les moyens de leur existence.

La publicité

La publicité, autre source de financement, est elle aussi un moyen de pression. La répartition des budgets publicitaires de l’État et de ses entreprises a été déléguée à l’Agence nationale de l’édition et de la publicité (l’Anep). Or celle-ci tend à distribuer des fonds plus importants à la presse proche du gouvernement faisant ainsi couler les petits journaux. Si l’ANEP gère moins de 30% du marché global (annonceurs privés et publics), le poids du secteur public (Etat, collectivités locales, entreprises nationales, etc.) reste déterminant dans les recettes de nombreux titres. De nombreux journalistes affirment que la publicité publique est répartie en dehors de toute logique économique : des journaux à faible tirage bénéficient de rentrées publicitaires presque équivalentes à celles de titres aux tirages nettement plus importants. D’autres vont même plus loin, expliquant que les pouvoirs publics, via l’ANEP, n’ont pas hésité à  » étrangler  » financièrement certains titres « mal pensants ». L’administration est aussi là pour décourager les plus farouches, Ali Bahmane l’explique avec un humour teinté de lassitude : « Pour un reportage dans un lycée, il faut l’autorisation du ministre de l’éducation. Pour aller rendre visite à des aveugles, il faut demander la permission au ministre de l’aveuglement ! »
Brahim Brahimi, enseignant chercheur, spécialiste de la presse écrite et auteur de plusieurs ouvrages sur la presse, explique dans l’article de Madjid Makedhi dans l’édition du journal El Watan du 19 juillet 2008 a propos de l’assainissement des dettes de certains éditeurs privé annoncée en juillet 2008 « les pouvoirs publics veulent maintenir les journaux sous leur joug. Mis à part 5 à 6 journaux qui échappent à toute influence, tous les autres titres sont sous influence des forces occultes et font l’objet de chantages en tout genre. Il y a au moins 40 titres qui tirent à moins de 10 000 exemplaires, dont on ne connaît pas les propriétaires. »

Le papier

L’importation du papier est contrôlée par l’Algérienne de papier (ALPAP), une autre entreprise d’Etat qui, en cas de crise sur le marché mondial du papier influe sur la parution des journaux. Ainsi, fin mai 1995, les
kiosques d’Alger étaient vides, faute de papier. Cette pénurie a été utilisée par le pouvoir pour contraindre les journaux à réduire leur tirage, en fonction de critères politiques : le quotidien El Khabar a vu son tirage passer de 100 000 à 75 000 exemplaires, l’hebdomadaire La Nation a du cesser sa parution car on lui proposait de baisser son tirage de 70 000 à… 15 000 exemplaires.

Justice et prison : Des armes redoutables

Les journalistes algériens ont un statut fragile. Les autorités continuent de faire la sourde oreille aux demandes répétées de réforme du code de l’information qui permet d’emprisonner des journalistes pour des « délits de presse ». « Le directeur du journal passe plus de temps dans les tribunaux que dans son bureau » s’attriste Ali Bahmane. Le code pénal a ainsi été remanié, pour y introduire deux dispositions instituant des peines de prisons et de lourdes amendes en cas d’insulte, d’outrage et de diffamation envers le Président de la république. Il arrive aussi que, faute de mieux, de nouveaux délits soient inventés. Ainsi racontent les deux journalistes, le délit « d’information prématurée » a servi contre le journal El Watan afin de sanctionner un article. Le motif invoqué ? Le journal aurait dû attendre par respect pour la famille afin que celle-ci n’apprenne pas la nouvelle aussi brutalement.
La prison reste aussi une réalité. Même si elle reste exceptionnelle selon les deux journalistes. « Il y a beaucoup de peines de prison ferme non exécutées, de sursis ou de suspensions des titres pendant quelques jours… La prison est surtout un moyen de pression pour pousser le journaliste à l’autocensure. » Mais finalement, face à un audiovisuel réduit à une vaste machine de propagande avec seulement une chaîne de télévision, deux stations de radio et un Internet libre mais très peu accessible, la presse fait figure de précurseur. Elle peut aussi compter sur une véritable société civile algérienne. Avec une population composée à majorité de jeunes de moins de 30 ans, les choses bougent et les voix se font de plus en plus entendre rappellent les journalistes.

Le paradoxe de la censure

Dans les pays où la presse est libre, les pressions politiques et économiques pourtant moins visibles et moins directes poussent certains journalistes à l’autocensure. On nuance ou passe sous silence pour ne pas déplaire aux annonceurs ou pour être sûr d’être invité aux conférences de presse…Finalement la liberté de la presse en droit n’est pas une réalité de fait. Le journaliste pantouflard et rond de jambes est aussi là où il est libre. Celui qui se sait emprisonné n’a de cesse que de se battre pour une liberté qu’il n’a pas l’intention de saborder lui même. L’exemple de ces journalistes algériens qui ont fait le choix difficile de l’indépendance montre que le rôle du journaliste est avant tout d’aller chercher l’information peu importe le coût. Le journalisme indépendant ne se fait pas assis et avec des gants. Il serait dommage d’attendre la censure pour arrêter de s’autocensurer. Dommage d’attendre une initiative présidentielle pour commencer une réelle réflexion sur l’avenir de la presse et l’éthique du journaliste.

[Pour en savoir plus: [Dossier numéro 7 réalisé par Sahra Kettab et François Gèze en Juin 2004 pour le comité justice pour l’Algérie:
http://www.algerie-tpp.org/tpp/pdf/dossier_7_presse.pdf]]

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