Guillaume Dasquié est le dernier journaliste français en date à avoir maille à partie avec la justice française. Simplement car il entend, comme bien d’autres, faire son métier proprement, honnêtement. En un mot informer. Le dernier de la liste, après les rédactions du Point et de l’Equipe, perquisitionnées ; perquisition avortée au Canard car le confrère s’est déchaîné… Entre deux avions nous avons pu avoir au bout du fil Robert Ménard, de retour de Hong Kong ; il évoque ces événements et en particulier la garde à vue de Guillaume Dasquié pour « compromission de secret de la défense nationale ».
Jean-Philippe Juan : Avant d’aborder la situation des journalistes français, je voudrais avoir votre sentiment sur la récente visite en France du colonel Khadafi ?
Robert Ménard : Je pense qu’il fallait comprendre que cette visite était économique, il fallait l’expliquer sans oublier qu’il s’agit d’un dictateur et dire clairement ce que l’on pense de lui. Je regrette que les droits de l’homme aient été abordés entre la poire et le fromage, mais il s’en est bien sorti. Je ne suis pas dans le secret des Dieux mais je pense que cette visite fait partie du deal de la libération des infirmières bulgares. Les médias français se sont fait le relais des droits de l’homme, je regrette cependant le caractère anecdotique avec ses amazones en treillis et sa tente plantée dans un grand hôtel. Il ne faut pas oublier que c’est un sinistre personnage.
Quel regard portez-vous sur la presse française en général ?
La presse française présente une grande offre éditoriale et de qualité mais je ne dirais pas qu’elle est parfaite. Je remarque qu’une information importante n’est jamais étouffée, c’est un fantasme de le penser. Bon nous n’avons pas la qualité espérée malgré la concurrence car il est faux de dire qu’il y a en France une concentration. Il ne faut pas mettre en cause la qualité des journalistes. Malheureusement, le public est attiré par les paillettes. En revanche, les médias sont tenus par des capitaines d’industrie qui sont liés avec les pouvoirs publics par leurs autres activités, dans le bâtiment par exemple. Ce ne sont pas des hommes de presse et on peut penser ce que l’on veut de Murdoc mais lui, au moins, est un homme de presse.
La mise en examen de Guillaume Dasquié n’est que la suite d’entraves à la presse. Que vous inspire cette action de la justice ?
Elle met en relief le retard de la législation française, la plus rétrograde d’Europe pour la protection des sources des journalistes. L’article 109 du code de procédure pénale[[Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine.
]] n’assure pas assez la protection des journalistes. Il faut le revoir mais cela fait des années et des années qu’on nous fait des promesses et aujourd’hui Guillaume en fait les frais.
Le mouvement est-il nouveau ?
Non et je vous rappelle que la France a déjà été condamnée à deux reprises alors que les journalistes ne peuvent théoriquement pas être inculpés de violation du secret de l’instruction. Pour en revenir à Guillaume, il risque théoriquement 5 ans de prison mais en réalité il ne risque rien, je ne m’inquiète pas pour lui.
L’attitude de la justice à l’encontre des journalistes est-elle inquiétante ?
Certes oui car nous avons à faire à des magistrats qui ont une vision rétrograde de la presse. Il s’agit d’une entrave au travail des journalistes d’investigation qui ont besoin d’être protégés. Leurs informateurs, qui veulent garder l’anonymat, doivent être sûrs de le garder. La France est un pays de secrets, un pays rétrograde, mais je crois que c’est la queue de la comète et nous avons reçu des assurances de Rachida Dati, le ministre de la Justice.
Revenons à Guillaume Dasquié. Ne trouvez-vous pas que les JT en particulier ont peu relayé sa garde à vue ?
Non, je pense qu’ils ont en fait part mais les journalistes ont le mauvais réflexe de trop peu parler de leur profession. Ils ont peur que cela passe pour de la cuisine interne, du corporatisme. A R.S.F., nous combattons cette attitude.
Un journaliste doit-il dévoiler ses sources ?
Non mais parfois, il y est obligé…
…et dans le cas de compromission du secret de la défense nationale ?
…Il est vrai aussi que la transparence totale n’est pas souhaitable dans certains domaines mais gardons le pouvoir de contester le secret.
Y a-t-il eu des précédents en France ?
De journalistes inquiétés par la justice ? Oui… En revanche, pour des affaires tenant à la défense nationale, je ne crois pas.
Que faire pour que la France respecte les directives européennes qui protègent les journalistes ?
Comme je vous l’ai dit précédemment, faire changer l’article 109. On a des promesses de Mme Dati, j’espère qu’elle va les tenir.
Les relations entre Nicolas Sarkozy et les médias peuvent-elles entraver la liberté de la presse ?
Peut-être de façon marginale mais il s’est déclaré pour la liberté de la presse. En revanche, il a plein de copains à la tête de médias qui, eux, peuvent intervenir car, malheureusement un certain nombre de patrons de presse n’ont pas besoin de coup de fil et la tentation d’autocensure est grande. Il est vrai aussi que si les rédactions sont globalement de gauche, elles font généralement des journaux de droite. Nicolas Sarkozy a raison de le souligner. Par exemple, Jean-Marie Colombani, ancien directeur du « Monde » a appelé à voter Ségolène Royal, vous imagez le scandale s’il avait appelé à voter Sarkozy !