Parfois, en se baladant dans Montpellier, on tombe nez à nez avec de drôles d’affichettes en lieu et place des grandes annonces publicitaires au niveau des arrêts de tramway. S’il n’y a plus trace de publicité sur plusieurs arrêts, vous pouvez être sûr que c’est l’œuvre des Désobéissants. « L’année dernière, nous avons remplacé jusqu’à 300 affiches en une soirée», indique Tom*. Tout comme ses trois camarades, il mène la guerre aux panneaux publicitaires mais attention, « sans dégradations ! ». Samedi 10 novembre, de nuit à visage découvert, ils ont décoré les rues de la ville à leur façon pour la sixième fois. Les motivations du groupe : lutter contre l’incitation à la consommation, la pollution visuelle et environnementale, et se réapproprier l’espace public.
Des clés magiques
Pour ce faire ils utilisent « tout un armement », s’amuse Julien, le sourire aux lèvres. Il sort de son sac l’arsenal du petit bricoleur remastérisé version antipub. Clés Allen et clés à pipe (outils de bricolage classiques) taillées sur mesure pour les serrures des panneaux publicitaires. Un vrai travail d’orfèvre ! Certaines clés Allen de six sont trouées en leur centre, « au début on en faisait venir de Paris, parce que ce n’est pas évident à faire, il faut du matériel conséquent », précise Marc.
L’outil artisanal le plus sophistiqué est une clé à pipe avec l’extrémité taillée et un axe en ferraille fixé en son centre à l’aide d’une pâte durcissante. « En 2006, on pouvait encore ouvrir les panneaux avec des clés toutes simples, maintenant c’est plus compliqué, JCDecaux et les autres enseignes publicitaires ont changé les serrures, c’est une vraie course à l’armement ! », ironise Julien. Les panneaux à double affichage lumineux et les sucettes sont les plus protégés. « Ils disposent d’un système électronique qui prévient l’entreprise lorsqu’ils sont ouverts », précise un des activistes. Mais il en faut plus pour arrêter les clés magiques des Désobéissants. Une fois les panneaux ouverts, les annonces publicitaires sont remplacées par des affichettes en tout genre. « Ça peut être de l’art, des messages politiques, des citations, mais ça doit rester pacifiste », explique Tom.
Des poursuites judiciaires ?
Les activistes sont-ils hors la loi ? À cette question, eux-mêmes ne savent que trop répondre … « On a jamais eu de gros problèmes », énonce Tom. « De rares contrôles d’identités et des convocations au commissariat, mais ça ne devrait mener que sur de simples rappels à l’ordre », explique Julien. « JCDecaux a porté plainte contre X deux fois, sans suite. Sinon en général on n’est pas embêté, ils ne voient pas d’intérêt à médiatiser nos actions », ajoute-t-il. Sans précédent jusqu’ici, l’issue d’un procès sur des actions sans dégradations de panneaux est incertaine. Tom précise : «mais à chaque fois on prévient tous les nouveaux participants qu’il y a un risque légal ».
S’ils agissent à visage découvert, les Désobéissants essayent tout de même d’éviter les affres de la justice. « Je n’ai pas trop envie qu’on prenne mon identité », confie Tom. Lorsqu’on les questionne sur le choix d’agir la nuit, après un temps de silence, Marc explique : « on y pas trop pensé, mais si on agissait de jour on se ferait arrêter avant et on ne pourrait pas ouvrir autant de panneaux ».
Les Désobéissants ont réuni une trentaine de personnes sur plusieurs actions. Ils sont conscients qu’ils n’arriveront pas à supprimer toutes les annonces publicitaires de 2m² en ville à eux seuls. Mais Aurélien estime que le combat n’est pas perdu d’avance : « l’idée n’est pas de faire la révolution mais d’agir comme on peut, à notre niveau, plutôt que de rester assis devant la télé. À force de former des gens qui agissent chacun de leurs côtés, on peut espérer qu’un jour JCDecaux sera tellement emmerdé qu’ils puissent plus afficher. »
*Le prénom a été modifié.