Mercredi 18 octobre 2017, le Sénat a définitivement adopté par 244 voix pour et 22 contre, le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Cette nouvelle loi antiterroriste doit se substituer à l’état d’urgence au 1er novembre. Ceci constitue-t-il un recul pour nos droits ?
Nous avons posé la question à Katarzyna Blay-Grabarczyk, maître de conférence en droit public à l’université de Montpellier et membre de l’Institut de droit européen des droits de l’homme (IDEDH).
- Une nouvelle loi antiterroriste entre en vigueur au 1er novembre. Pensez-vous qu’elle sera plus efficace que l’état d’urgence pour lutter contre les attentats ?
Non je ne pense pas. L’état d’urgence n’a pas empêché les attentats de Nice. Il a donné des moyens incontrôlés aux autorités : au moment de la COP 21, des militants écologistes ont été assignés à résidence alors qu’ils n’avaient aucun lien avec la lutte contre le terrorisme.
Je trouve que c’est très bien de sortir de l’état d’urgence car on ne peut pas y rester. Mais à quel prix la population veut accepter sa sécurité ? La sécurité passe-t-elle par un contrôle absolu ? Notre vie doit-elle être entièrement contrôlée au nom d’une sécurité ultérieure ? C’est aussi comme ça que procédaient certains Etats totalitaires. On est sur une ligne rouge. Tout est une question de curseur.
- Pourquoi le gouvernement veut faire entrer l’état d’urgence dans le droit commun ?
Le gouvernement fait entrer dans le droit commun ce qui relevait auparavant de l’exception. La question est de savoir si c’est justifié. Il y a d’autres pays, comme l’Italie, où ces mesures existent. On peut être d’accord ou pas. La question est de savoir comment on l’applique. La loi, en tant que telle, si elle est justifiée pour la lutte contre le terrorisme, peut être appliquée, mais à condition de respecter strictement les droits fondamentaux.
- Le texte est-il anticonstitutionnel ?
Non. L’état d’urgence a été jugé en accord avec la Constitution par le Conseil d’Etat en 2015 et 2016. Si les parlementaires de l’opposition ne convoquent pas le Conseil constitutionnel, la loi peut être votée et appliquée même si elle est anticonstitutionnelle. Mais il n’y aucune raison que les députés de l’opposition ne fassent pas appel au Conseil constitutionnel.
- En tant que juriste, que pensez-vous de ce projet de loi ?
Peu importe la décision que prennent les préfets, la justice pourra toujours intervenir en aval. Mais pas en amont. En revanche, en dehors du cadre terroriste, normalement une perquisition doit être ordonnée par un juge qui doit contrôler le processus par la suite. Encore une fois, tout est dans l’encadrement et le contrôle de la mesure. En tant que juriste, je pense qu’il faut à tout prix un contrôle par les juges.
- La définition du « terroriste » ne pose-t-elle pas un problème ?
La notion de « terroriste » est assez indéterminée. Les pénalistes pensent que l’objectif du droit pénal est de punir un délit. Par crainte de la punition, la personne ne commettra pas d’infraction. En matière de terrorisme, ces aspects préventifs et psychologiques ne fonctionnent pas. Le terroriste n’a pas peur de mourir. Les finalités pour lesquelles le droit pénal a été installé ne sont donc pas justifiées. Je pense que le droit n’a pas encore trouvé de solution pour appréhender le phénomène du terrorisme.
- N’y a-t-il pas d’autres moyens pour lutter contre le terrorisme ?
Le texte de loi actuel n’est pas satisfaisant. Mais on n’a pas trouvé autre chose aujourd’hui. Le problème en France, c’est qu’on a tendance à légiférer en urgence. Et on empile tout ça, on bricole à chaque fois. La solution serait de réfléchir à un texte qui passe, mais pas en deux-trois semaines. Il faudrait une réflexion d’envergure pour donner par exemple aux policiers les outils dont ils ont besoin et s’assurer en même temps qu’il n’y ait pas d’abus.