Le président de la République, Nicolas Sarkozy, a annoncé le 5 janvier 2009, lors de la rentrée solennelle de la Cour de Cassation, la suppression du juge d’instruction au profit de la création d’un juge de l’instruction, dessaisi du pouvoir d’enquête.
L’annonce de la suppression du juge d’instruction a provoqué un tollé dans le milieu judiciaire, pourquoi ?
Dominique Rousseau : On fait passer le pouvoir d’enquête d’un juge indépendant, le juge d’instruction, à un juge dépendant, les procureurs. Les procureurs, des magistrats du Parquet, dépendent du pouvoir exécutif par leur mode de nomination, le déroulement de leur carrière et leur statut. Avec ce projet de réforme, le rôle du juge de l’instruction serait de contrôler la manière dont le procureur mène l’enquête, notamment sur le respect des droits des victimes et des accusés. Le ministre de la Justice s’affirme comme le chef des Parquets. Par conséquent, il aura son mot à dire sur la manière dont est menée l’enquête c’est-à-dire qu’il pourra demander d’accélérer une enquête ou la ralentir en fonction des circonstances politiques économiques et sociales.
Les magistrats du Parquet sont-ils soumis à la pression de l’exécutif aujourd’hui?
Oui, par exemple dans l’affaire de Tarnac. Le procureur a affirmé que Julien Coupat et sa compagne étaient des terroristes et faisaient partie d’un groupe d’ultra gauche. Il a mené toute son enquête conformément à l’appréciation portée a priori par le gouvernement. C’est une conduite politique de l’enquête.
On justifie souvent cette réforme en pointant du doigt le rôle du juge d’instruction dans l’affaire Outreau, cette objection est-elle fondée ?
Je comprends cette objection mais elle oublie une chose : le juge d’instruction dans l’affaire Outreau a mené son enquête à partir de la saisine du Procureur. Et le procureur fait une enquête préliminaire qui conduit à des éléments forts qui montrent qu’ils ont commis des actes de pédophilie. L’affaire Outreau montre qu’il est difficile pour un juge, indépendamment de sa qualité, d’enquêter à charge et à décharge. C’est une situation schizophrénique. C’est pour ça que confier l’enquête au procureur n’est pas en soi une mauvaise chose, c’est une régression si on ne donne pas l’indépendance au Parquet.
Le problème d’indépendance a été soulevé par la Cour européenne en juillet 2008. Comment le président de la République peut espérer aller jusqu’au bout de sa réforme ?
L’arrêt de la Cour européenne dit que le procureur, ne peut pas être considéré comme faisant partie de l’autorité judiciaire, parce qu’il dépend du pouvoir exécutif. Le gouvernement devra tenir compte de cette contrainte européenne. L’indépendance du Parquet est le préalable à la réforme. Le moyen serait de donner au Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir de nommer les membres du Parquet.
Que vont devenir les droits de la défense ?
L’annonce du président était très générale. Nous devons exiger que les avocats puissent être informés dès la première heure, avoir accès au dossier et qu’ils aient connaissance des faits qui sont reprochés à leur client. Ce n’est pas le cas actuellement pour la quasi-totalité des affaires. [NDLR : dans près de 96% des affaires le juge d’instruction n’est pas saisi, le parquet mène l’enquête, la défense n’a pas accès au dossier]. Tant que le procureur mène l’enquête, les droits de la défense sont inexistants. Il faut rétablir une égalité des parties entre le Procureur qui attaque et l’avocat qui défend.