« Je ferai mon maximum pour interdire cette vente. » Cyrille Martin, petit-fils de l’artiste peintre Henri Martin et détenteur du droit moral ne cache pas sa colère. Il s’insurge contre la vente, par la maison de vente aux enchères Christie’s, de six peintures décoratives de son ascendant. Le 25 juin à Londres, les tableaux pourraient être vendus séparément, ce qui exaspère Cyrille Martin.
Commandés en 1932 par des patrons d’entreprises, élus de la CCI, à Henri Martin, les six tableaux ornaient, à l’origine, la salle des délibérations. Aujourd’hui, la chambre de commerce ne cache pas se séparer d’une partie de son patrimoine à des fins mercantiles (les six tableaux sont estimés entre 1,2 et 1,8 million de livres sterling). « C’est une démarche économique privée. Nous allons réaménager nos locaux et nous souhaitons reconsidérer notre patrimoine. D’autres tableaux pourraient être cédés au bénéfice de l’économie locale. Il faut faire des choix, nous avons donné 10 millions d’euros pour l’aéroport de Béziers », justifie la direction. Afin de tirer le meilleur prix possible de leurs biens, la CCI a démarché un expert auprès de Christie’s. Un intermédiaire qui selon Cyrille Martin aurait, au départ, tenté de cacher la provenance des tableaux à Christie’s. « C’est absolument faux », rétorque la CCI qui accuse le petit-fils d’Henri Martin de vouloir annuler la vente à Londres afin de récolter de l’argent de la vente. En Grande-Bretagne, le droit de suite existe uniquement pour les artistes vivants. Cyrille Martin récuse cet argument : « Ça n’a aucun sens. Je possède une fortune personnelle, je n’ai pas besoin de ça pour vivre. De toute façon, les droits vont à ma fille. »
La direction des musées de France pourrait saisir son service juridique
L’affaire a débuté lorsque Christie’s a joint le petit-fils du peintre pour authentifier les tableaux. Pour lui, pas de doute possible, il s’agit bien du travail d’Henri Martin. Mais, pas question de délivrer un certificat d’authenticité pour les six tableaux, il en remet un seul pour l’ensemble : « Dès que j’ai vu les photos, j’ai su que c’était un cycle de peintures décoratives. » Cette raison a poussé Cyrille Martin à user de son droit moral pour la toute première fois : « Je m’oppose au démantèlement de l’œuvre. C’est une manière d’agir scandaleuse. En plus, ce décor avait été conçu pour cette région viticole. Il ne devrait pas être envoyé n’importe où. »
Chez Christie’s comme à la CCI, on réfute le fait que les six peintures constituent un cycle. Les deux parties se réfugient derrière le fait que toutes les peintures soient signées. Autre argument : la délivrance par la direction des musées de France d’un certificat de bien culturel autorisant l’exportation des six œuvres et non d’une.
La CCI étant un service d’Etat, cette vente pose également de nombreuses questions d’ordre légales. S’il s’avérait que les œuvres soient un bien public, la chambre de commerce ne pourrait en disposer à son gré. Mais, pour la direction biterroise, il est ici bien question de biens mobiliers privés. La société Christie’s assure avoir vérifié les statuts de la CCI et rien ne permettrait d’empêcher la vente d’un point de vue juridique. De son côté, la direction des musées de France n’écarte pas l’idée de faire appel au service juridique pour s’assurer de la conformité de cette vente.
« C’est une trahison de l’esprit de la commande »
« Il est évident que c’est un cycle ». L’historienne de l’art, Luce Barlangue, est catégorique. Les six tableaux d’Henri Martin, appartenant à la Chambre de commerce et d’industrie de Béziers, constituent un cycle de peintures décoratives. « Pour l’exposition qui va se dérouler au musée Henri-Martin de Cahors, j’ai travaillé sur les décors de ce peintre et particulièrement sur celui de Béziers, l’avant dernier de l’artiste. J’ai été le voir au mois de janvier. » Ce jour-là, à sa grande surprise, l’oeuvre se trouvait démantelée : « Elle avait été totalement dissociée. Elle était présentée comme des tableaux différents. C’est proprement scandaleux. »
Ce sont bien des patrons d’entreprises privées de
la région de Béziers avec des dons privés qui ont commandé l’oeuvre. « Pour moi, la CCI de Béziers a joué sur le fait que le décor n’était pas classé à l’inventaire de la direction des affaires culturelles. S’il avait été répertorié comme monument historique tout aurait été différent. » D’après elle, tout prouve qu’il s’agissait bien d’une seule et même oeuvre même si aucun document officiel ne l’affirme : « Des témoignages de l’époque le prouvent. Il existe même des photos du décor en place ». Luce Barlangue insiste également sur le fait que la présence de cette oeuvre à Béziers constitue un symbole en elle-même : « Idéologiquement, ce n’est pas n’importe quoi. La vendre à l’étranger séparément, c’est une trahison de l’esprit de la commande. C’est l’argent triomphant, il ne faut pas se leurrer. »