Qu’est-ce que l’identité gitane ? Y en a t-il une ? Qu’est-ce qu’être une femme gitane aujourd’hui en Espagne ? Quels rapports entretiennent les gitanes avec la « société » dans laquelle les gens du voyage sont censés être inclus ? Voilà quelques unes des principales questions posées dans ce reportage tourné par Meritxell De la Huerga.
Désireuse d’aborder les problématiques liées aux identités gitanes d’un point de vue féminin, la réalisatrice parvient en moins d’une heure à mettre en relief la complexité de ces cultures trop souvent marginalisées. Au fil des témoignages, le spectateur se confronte à la déconstruction de nombre de préjugés sans pour autant échapper aux contradictions inhérentes à toute réflexion sur les identités.
Gitana Soy from Meritxell de la Huerga on Vimeo.
« On nait gitan, on se fait gitan, on se reconnaît gitan »
« Les arabes, les juifs, les gitans » tout individu a tendance à généraliser et donc à simplifier les spécificités des communautés ou entités qu’il perçoit comme des ensembles homogènes. Généralisations culturelles, cultuelles ou identitaires, souvent maladroites, parfois très réfléchies sont en tout cas rarement positives. On apprécie dans ce documentaire, la volonté de respecter les différents points de vue sans tenter d’imposer une vision uniforme de l’identité, des identités devrait-on dire.
L’Espagne d’aujourd’hui compte environ 700 000 gitans dont la plupart sont sédentarisés. Contrairement à leurs situations en France, les gitans espagnols sont parvenus à s’organiser dès les années 1960 pour revendiquer leurs droits, à la fois en tant qu’individus, mais aussi en tant que communauté. Comme l’explique la réalisatrice Meritxell de la Huerga : « je voulais savoir à quel moment de leur Histoire ces femmes se trouvaient et quelles étaient leurs perceptions de ce moment ». Si chacune des protagonistes donne son avis sur ce que signifie être gitane aujourd’hui, toutes semblent d’accord sur l’impossibilité de parler d’une culture gitane uniforme. On comprend qu’il s’agit d’avantage de cultures plurielles qui se comprennent et se reconnaissent comme faisant partie d’une grande communauté.
« En ce moment il y a plus de gitanes que de gitans à la fac »
A travers la question des identités transparaît celle de l’évolution des droits de ces femmes. Dans l’imaginaire collectif, s’il existe, leur condition rime souvent avec soumission, grossesses précoces et déscolarisation. Or, comme en attestent les témoignages recueillis, les choses ont beaucoup évolué depuis les années 90 et la naissance du féminisme gitan. Scolarisation dans le supérieur, partage des tâches, premier enfant plus tardif, lutte contre le machisme et émancipation individuelle sont des combats qui avancent de plus en plus. Comme en témoigne l’une des protagonistes : « En ce moment, il y a plus de gitanes que de gitans à la fac et l’accès aux études supérieures permet un enrichissement mutuel énorme entre gitans et non gitans ».
Loin de se rabaisser à une narration idyllique, le reportage aborde aussi des questions polémiques comme celle du «rite du mouchoir* ». Sans tomber dans le sexisme, on perçoit également dans les discours la prise de conscience des hommes et leur implication dans ce processus d’émancipation collective. C’est grâce à ces différents regards que l’on comprend la complexité de ces questions, trop souvent niée au profit d’un regard simpliste et réducteur.
Quand intégration rime avec uniformisation
Le troisième grand thème abordé dans ce reportage concerne le rapport des communautés gitanes à la société à laquelle ils sont censés appartenir. On y perçoit le problème préoccupant de l’inclusion dans une société où l’intégration sous-tend trop souvent l’uniformisation culturelle. On assiste également au combat toujours actuel d’une reconnaissance des communautés gitanes comme élément constitutif de la société par l’État et les personnels politiques. Enfin, c’est la volonté de faire en sorte que les médias parlent d’autre chose que de drogue, de vol, de pauvreté ou de saleté lorsqu’ils évoquent les gens du voyage qui transparait ici. Comme l’explique la réalisatrice : « je voulais montrer des regards divers, valoriser ces cultures en évitant d’avoir un regard trop ethnocentré », dans un contexte de généralisation abusive, voilà un pari réussi.
*Le rite du mouchoir est un rite qui se déroule lorsqu’un mariage est décrété dans une communauté gitane. Lorsque la fille se marie on fait appel à une femme âgée considérée comme digne de respect pour pratiquer le diklo (mouchoir) pour attester de la virginité de la fille.
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