Pourquoi cette crise de la presse en France ?
Je partirais d’un constat : j’ai l’impression que nous nous trouvons aujourd’hui et depuis quelques années dans la même situation où la presse se trouvait dans les années 60. C’est-à-dire que la presse imprimée d’information générale est aujourd’hui defiée par un séisme et se sent agressée par celui-ci parce qu’elle voit arriver de nouveaux médias. J’ai un peu le sentiment qu’elle vit cette incursion comme une agression, comme un sacrilège, comme une concurrence d’autant plus redoutable que l’on ne cesse d’en vanter les mérites.
Si on se rappelle ce qui s’est passé dans les années 60, on a vu arriver tour à tour la radio puis la télévision. Il y a eu des évènements symboliques qui ont marqué cette arrivée : l’utilisation que le général De Gaulle en a faite pour s’adresser directement aux Français, court-circuitant ainsi ceux qui avaient pris le pouvoir ; c’est l’élection de Kennedy en Novembre 1960 dont tout le monde a cru qu’elle était due à la télévision. Par conséquent la presse s’est senti véritablement défiée sur son propre terrain puisqu’elle voyait arriver deux nouveaux venus et qu’elle ne savait pas très bien comment réagir à cette double arrivée.
La crise aujourd’hui est donc causée par l’arrivée de nouveaux médias…
Si la presse imprimée se trouve dans la même situation où elle était il y a un demi-siècle, c’est qu’elle a un peu tendance à idéaliser le passé. Elle prête une oreille un peu trop complaisante à tous les gourous qui vantent aujourd’hui les mérites de la révolution numérique comme une information en continu, une information enrichie, une information personnalisée, une information qui est capable d’un grand écart entre l’infiniment petit et l’infiniment grand. Une information dont on sait qu’elle est accessible partout avec des terminaux qui sont de plus en plus divers. L’imprimé en a rêvé, Internet est en train de le faire.
Quelles pourraient être les solutions ?
Il y a deux scénarios : le premier c’est le pessimisme pour la presse imprimée, un scénario catastrophe. Elle prêterait une oreille trop complaisante à tous les férus d’Internet. Par exemple, le livre de Philip Meyer The Vanishing Newspaper il y a 2 ans annonçait clairement l’année de disparition définitive de la presse imprimée toutes catégories confondues pour 2040. Inutile de dire qu’un livre comme celui-ci a produit un effet catastrophique, a conduit certains journaux à plier bagage, c’est-à-dire à se rapatrier complètement sur Internet.
Le deuxième scénario c’est celui de la convergence entre l’information imprimée et l’information numérique, chacune pouvant cultiver ses atouts et ses handicaps respectifs. Ce scénario de la complémentarité a pour lui les enseignements de l’Histoire car dans l’univers des médias, c’est presque une loi que le nouveau ne remplace jamais l’ancien. La télévision n’a pas tué le cinéma au contraire, mais l’a plutôt sauvé. On sait très bien aussi que la radio n’a pas vidé les salles de concert, elle contribue plutôt à les remplir. Par conséquent pourquoi le numérique devrait-il remplacer définitivement l’imprimé ?
Aucun de ces deux scénarios ne se réalisera pour autant. Ce n’est ni le Titanic, ni la solution-miracle pour la presse. J’ai beaucoup plus envie de parier qu’entre les deux il y aura une palette de solutions, une palette de formules parce qu’aujourd’hui il y a une multiplicité de modes de distribution et celui-ci entraîne inévitablement une multiplicité de modes de consommation et de production mais aussi de modèles économiques.
Que prévoyez vous pour l’avenir ?
C’est le public, le lecteur qui en dernier ressort va trancher entre l’imprimé, le numérique ou la combinaison des deux. Le secret de l’avenir est dans les attentes, les valeurs et la curiosité de ceux auxquels on s’adresse et non du côté des ingénieurs, ceux qui forgent les outils parce qu’ils sont fascinés par leurs dernières inventions et ne peuvent donc qu’en vanter les mérites. Les recettes qui marcheront à Montpellier ne seront pas les recettes qui marcheront à Lyon ou a Paris. Ce qui marche pour Libération ne marchera peut-être pas pour le Figaro ou le Monde. Ne nous laissons pas impressionner par des scénarios qui ne se réaliseront pas, ne nous laissons pas fasciner par les prouesses du numérique .
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