Certification ‘bio’ : soûlant mais indispensable !

Par le 22 janvier 2015

Sans eux, impossible d’apposer l’ « eurofeuille », le nouveau logo ‘bio’, sur une bouteille de vin. Très éloigné des clichés ‘bio’, les organismes certificateurs vérifient des normes et constatent des procédures à travers un pointilleux plan de contrôle. Un cauchemar pour les producteurs ? Haut Courant est allé enquêter auprès des vignerons.

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« Il y a du spirituel dans le vin »

Ancienne journaliste à Libération, Catherine Bernard se reconvertit en 2005 dans la viticulture. Elle acquiert 3 hectares de parcelle en Languedoc-Roussillon, et décide d’obtenir la certification ‘agriculture biologique’. Dans son livre paru en 2011, (Dans les vignes : chroniques d’une reconversion, Edition le Rouergue, 2011) elle écrit : « Un jour, me suis-je dit, […] des clients me demanderont de justifier mes pratiques culturales et vinicoles. Chose inconcevable pour mes voisins de vigne […], je paie un organisme de certification pour me faire contrôler, voire sanctionner en cas d’écart, assez cher par surcroît ». Pourtant, si son négoce de vin nécessite que ses acheteurs aient la preuve de sa certification biologique, Catherine Bernard refuse que des logos soient apposés sur ses bouteilles : « Le ‘bio’ n’est pas un marché. Ce sont des principes, des valeurs. » Le mot est lâché et à valeur de précepte éthique : « Il y a du spirituel dans le vin ». Par-delà, la référence artistique à Kandinsky, c’est un cri d’amour adressé au monde du vin. Mais aussi un cri d’alarme. Pour la néo-vigneronne, le vin est trop souvent réduit à n’être que matière inanimée et atomes. Un simple produit commercial de consommation courante. Pourtant, « le vin, c’est du vivant » et l’agriculture biologique « une relation à la terre, à l’esprit » scande-t-elle effarée que la réalité soit beaucoup plus amère. Trop amère à son goût avec des certifications qui font perdre à cette «philosophie» son « bon sens ». A l’entendre, les organismes certificateurs ne font que « constater des normes, des process’, des traçabilités » et « se réfugient simplement derrière des techniques ». Un univers kafkaïen où la machine administrative a dévoré la terre et les hommes.

Des aides faméliques, un dédale administratif.

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Tout commence par une novlangue ésotérique dont seule l’administration a le secret et qui rebute les non-initiés. SAB-C, anciennement nommé MAE 214-D ou MAE-CAB jusqu’en 2010, c’est l’acronyme du dossier de Soutien à l’Agriculture Biologique – volet Conversion. Un dossier qu’il faut déposer auprès de la DDTM (la Direction départementale des territoires et de la mer) pour obtenir les aides à la reconversion. «Pour convertir mes vignes à l’agriculture biologique, je vais toucher 350 euros par hectare pendant 5 ans puis plus rien.» Pour Catherine Bernard, cela équivaut à une aide de 1050 euros par an, intégralement subventionnée par l’Union Européenne. Pas vraiment la panacée. Surtout que, comme le précise la néo-vigneronne, «cette aide rembourse la facture de l’organisme certificateur». Ce qui est, selon elle, «stupide» car, comme indiqué sur le site conversionbio.org, ces aides ont pour vocation première, à «sécuriser le passage en ‘bio’ en compensant (en partie) les différences de marges brutes constatées lors de la période de conversion, quand les productions conduites dans le respect de la règlementation ‘bio’ ne peuvent pas encore être vendues en tant que « produits biologiques » certifiés ». Mais le parcours administratif du vigneron ne s’arrête pas là. Pour pouvoir être éligible à cette aide financière, il faut s’être notifié auprès de l’Agence Bio. Il faut aussi qu’il se soit engagé (contrat et attestation d’engagement) au préalable auprès d’un des huit organismes de contrôle et certification des produits issus de l’agriculture biologique (Ecocert, Agrocert, Certpaq bio, Bureau Veritas – Qualité France, Certisud, Certis, Bureau Alpes Contrôle, Qualisud). Le choix de l’organisme est à la discrétion du vigneron. Il se fait généralement à partir d’un appel d’offre envoyé aux différents organismes certificateurs – dimension économique et financière – mais aussi au nom des principes et valeurs défendus par chacun d’entre eux – dimension éthique.

Des contrôles surprises… pas vraiment inopinés.

Le choix de l’organisme de certification fait, un contrôleur va effectuer une visite d’habilitation, premier contrôle qui vient autoriser, ou non, l’utilisation du nouveau logo européen ‘eurofeuille’. Cette visite initiale sera suivie par une série d’audits renouvelés une à deux fois par an. Procédure quasi-automatisée, le contrôleur de l’organisme certificateur examine dans un premier temps l’ensemble des factures des intrants, mais aussi la production, la transformation, la fabrication, le conditionnement, l’étiquetage et le stockage. Loin d’être anodines, ces procédure de contrôle sont représentatives de la conception européenne du ‘bio’. Catherine Bernard explique qu’à ses débuts elle entreposait ses produits dans les locaux d’un voisin qui ne produisait pas ‘bio’. Ce « mélange des genres » l’a privée de son agrément ‘bio’ la première année. Ses produits sont aujourd’hui stockés dans des locaux indépendants mais la démarche la surprend toujours : « M’est venu l’idée tordue qu’il ne doit pas être non plus trop difficile de volontairement masquer des entorses au règlement » écrit-elle dans son livre.

A chacun ses petits arrangements…

Blandine Foulaquier, vigneronne à Claret, explique qu’il suffit de dissimuler les produits non-conformes aux cahiers des charges pour ne pas être inquiété. Même si elle se défend de telles pratiques, elle explique que l’utilisation du permanganate de potassium, sans être monnaie courante, n’a pas complètement disparu de la viticulture ‘bio’, en particulier chez les vignerons ayant une petite exploitation. Ce puissant fongicide a pourtant disparu du cahier des charges de l’agriculture biologique depuis 2008 (uniquement pour les arbres fruitiers, les vignes et les oliviers, NDLR). Interrogée sur les raisons qui poussent certains à utiliser un produit non-labellisé ‘bio’, Blandine Foulaquier explique qu’il s’agit d’un « produit curatif » dont l’usage est toléré dans certaines cultures biologiques et pas pour d’autres ce qui constitue, selon elle, « une incohérence administrative ». Quant aux raisons qui rendent possibles de tels écarts, elles sont simples. Certains contrôleurs préviennent de leur arrivée à l’avance « pour ne pas avoir à revenir en cas d’absence du vigneron ». Les contrôlés ont donc tout loisir de dissimuler les preuves embarrassantes et les produits non-conformes. Ce dont se défend Sylvaine Lartigaut, responsable local certification biologique chez Bureau Alpes Contrôle, l’un des huit organismes certificateurs en agriculture biologique : « Hormis de rares cas exceptionnels comme, par exemple, le grand isolement du vigneron, tous nos contrôles sont faits de manière inopinée et sont faits pour empêcher ce genre de pratiques». Fabrice Gougen-Cassou, contrôleur à l’association Certisud, explique quant à lui que les nouvelles normes obligent à de réelles visites surprises.

Les limites de la certification biologique

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Pour Catherine Bernard, ces contrôles « sont une vaste arnaque » et les contrôleurs de Bureau Veritas – Qualité France des « fonctionnaires » qui « ne savent pas reconnaître des désherbants ». Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, les contrôleurs ne vont presque jamais dans les vignes. « Deux fois en 7 ans » confie Catherine Bernard. Et quand ils y vont, « ils font simplement le tour du vignoble et examine les parcelles voisines » rajoute Blandine Foulaquier. Sylvaine Lartigaut confirme que la visite des parcelles sert essentiellement à apprécier la nature et la proximité des cultures voisines. Mais aussi à « vérifier les pratiques culturales » des vignerons. « Les viticulteurs doivent faire du désherbage mécanique (des labours, par exemple NDLR) et non pas chimique. S’ils utilisent du Roundup le contrôleur le constatera immédiatement à cause de la couleur de l’herbe » lance cette dernière pour justifier que la visite des parcelles est indispensable à un contrôle efficace. Catherine Bernard met également en avant les incohérences de la logique ‘bio’ : «Si vous voulez épandre du fumier sur vos terres, celui-ci doit être également ‘bio’. Pour ma part je préfère travailler avec les éleveurs de brebis locaux qui envoient leurs bêtes désherbaient ma terre, même si les animaux ne sont pas estampillés ‘bio’». Ce que dément Sylvaine Lartigaut : « un vigneron peut utiliser du fumier ‘non-bio’ composté. Il ne faut simplement pas qu’il soit issu d’élevage intensif. Il peut également utiliser des animaux qui ne sont pas nourris avec des aliments issus de l’agriculture biologique pour paitre dans ses vignes ». Catherine Bernard explique utiliser des produits culturaux telles que des huiles essentielles, des tisanes et des décoctions pour faire pousser son raisin. Autant de produits qui « n’existent pas dans le cahier des charges de l’agriculture biologique » et dont il faut taire l’usage.

Se faire certifier, une nécessité.

Comme Catherine Bernard, il existe bon nombre de petits vignerons qui, bien que produisant ‘bio’, refusent d’obtenir la certification et non donc pas droit de se revendiquer du ‘bio’. Ce que ne comprend pas Blandine Foulaquier, véritable militante ‘bio’. Si ces idéaux éthiques rejoignent ceux de Catherine Bernard, son mode d’action lui est opposé. Les logos ‘AB’ et ‘Demeter’ (certification agriculture biodynamique) sont apposés sur chacune de ses bouteilles. « Il faut montrer l’exemple, faire du prosélytisme » pour « comptabiliser » et « faire grossir les statistiques ». D’où la nécessité de se faire agréer car « quand ce n’est pas certifié, ça n’existe pas ». La vigneronne explique aussi que beaucoup « ont la trouille » des contrôles et des exigences normatives difficiles à respecter. La certification ou l’irréductible écart entre des normes inflexibles et des récoltes soumises aux aléas des cycles saisonniers.

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