CINEMED – Danielle Arbid : « « Peur de Rien » vous fait prendre conscience de ce qu’est un étranger»

Par le 10 février 2016

Présenté en avant-première lors du Cinemed, Peur de Rien raconte le parcours initiatique de Lina. À 18 ans elle quitte le Liban pour venir étudier à Paris, en quête de liberté. La réalisatrice, Danielle Arbid, recontrée lors d’une conférence de presse, évoque son œuvre qui sortira en février en France.

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Ce film est un récit autobiographique. Pourquoi ce choix ?

Chaque film est un récit autobiographique. Mais c’est plus complexe que ça. C’est un récit semi-autobiographique, parce que je prends des éléments de ma vie, ensuite je les réécris. Je fantasme le souvenir.
Je me suis basée sur la première impression que j’ai eue de la France quand je suis arrivée, avant qu’elle ne s’efface avec les années. C’était important pour moi de me rappeler de ces moments, comme pour confirmer ma vie en France, de raconter cette première fois. C’est comme quand on raconte un premier amour. C’est le temps qui enjolive les choses et qui les efface.
Le film de Desplechin est autobiographique ndlr : [Trois souvenirs de ma jeunesse], Valérie Bruni-Tedeshi lorsqu’elle filme en Italie, ça l’est aussi ndlr : [Un château en Italie]. Moi je pars de quelque chose d’intime pour aller au plus intime chez le spectateur. C’est le chemin parcouru et quand c’est réussi cela renvoi aux souvenirs du spectateur.


Le film se déroule en 1993 et votre personnage principal découvre la politique à travers des skinheads, des royalistes mais aussi des militants d’extrême-gauche. Or les situations décrites semblent très actuelles… Qu’est ce qui a changé en 20 ans ?

Je voulais que mon film soit actuel par la musique, je ne voulais pas qu’elle soit datée. J’utilise du rap, du rock, de la musique électronique. C’est pareil pour les décors. Du coup le film parle beaucoup aux jeunes d’aujourd’hui et donne cette impression que rien n’a changé. Je suis contente d’avoir réussi à faire passer un message universel et ne pas cantonner mon propos aux jeunes qui arrivent en France.

Concernant la politique, je trouve que cela a changé. Il y a toujours la gauche et la droite bien entendue. Mais la gauche est moins de gauche aujourd’hui qu’en 1990. Et la droite est plus de droite. Mon personnage trouve plus un idéal en France, mais les gens descendent toujours dans la rue. C’est ce que je trouve fantastique en France, c’est cet élan populaire pour défendre quand il faut quelque chose d’important, tous ensemble. C’était une découverte magnifique. Au Moyen-Orient et au Liban, on a très peu vécu ça. C’était basé sur la communauté et les religions mais il n’y avait pas ce « tous ensemble ».


Dans votre film, Lina a surtout envie d’être libre, d’être libre loin de sa famille pour pouvoir vivre pleinement sa vie. Un message universel pour la jeunesse ?

Oui, je pense qu’ils se reconnaissent dans son envie de liberté, dans les rencontres qu’elle fait, dans les cours qu’elle prend, dans les profs qui enseignent. Ce que je voulais avant tout, ce n’était surtout pas faire un film sur une immigrée mais plutôt sur une jeune fille. Je ne voulais pas rendre son parcours exceptionnel mais que cela parle à tout le monde, que ce soit compassionnel.


Quelles sont vos références cinématographiques sur ce film ?

Mes références sur ce film précisément, c’était bien évidemment Fassbinder qui m’accompagne dans ma carrière de cinéaste, par sa liberté, son côté « rentre-dedans » qu’il a cultivé de film en film. Cette force là et cette humanité profonde. Je trouve qu’il était plus humain et compassionnel que subversif. Je me suis également beaucoup basée sur des photos et particulièrement sur Olivia Bee, photographe américaine qui photographie des jeunes autour d’elle. Manal Issa (qui joue Lina), n’a jamais joué avant, je lui ai montré des films de jeune fille comme Rosetta des frères Dardennes, les films de Truffaut aussi.

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D’ailleurs cette jeune actrice est lumineuse. Comment s’est passée la rencontre avec elle et comment avez-vous dirigé cette actrice non-professionnelle ?

Je trouve ça génial. J’aime beaucoup diriger des acteurs non professionnels et les mettre face à des acteurs professionnels, je trouve que ces derniers réajustent leur jeu. Ils jouent moins et sont obligés de vivre un truc vrai. Ils sont constamment confronté au fait que la personne en face d’eux ne joue pas.

Manal, je l’ai choisie parmi 700 filles. J’ai cherché large, des universités françaises jusqu’au Liban. C’était le fait d’être jeune et étranger qui m’intéressait. La rencontre avec Manal a été comme une évidence. Elle est tellement libre. Elle est ingénieure de formation, je l’ai trouvé par hasard lors d’un casting. Elle ne voulait pas du tout devenir actrice à la base. On l’a trouvé en faisant nos recherches avec Facebook. Les premiers résultats étaient vraiment impressionnants.

Elle est venue parce que son père lui a dit que mes films sont honteux, que mes films sont interdits au Liban et qu’il ne faut surtout qu’elle vienne faire le casting. Et elle m’a dit que si son père lui avait dit d’y aller, elle ne serait pas venue. Ça témoignait déjà de son caractère, de sa volonté de liberté.


Lorsque Lina revient au Liban pendant le film, on a l’impression que c’est une étrangère dans son propre pays tant elle s’est imprégnée de la culture française. Et l’on sent son envie de retourner en France irrépressible…

Oui tout à fait, c’est parce qu’elle est en conflit. Et quand elle retourne au Liban ce conflit lui saute à la figure. On le voit avec cet aller-retour de 10 minutes. On comprend déjà qui elle est, on comprend plein de choses concernant la place qu’elle cherche. Je pense que le fait de montrer le Liban type le film, lui fait gagner quelque chose, même si cela reste un film ouvert sur la France et la jeunesse.


Pourquoi avoir choisi comme première scène du film une tentative de viol par l’oncle de Lina ?

C’est métaphorique de quelqu’un qui sort de cette société, qui sort de son univers et qui court dans les rues pour rencontrer d’autres personnes. Et parce que c’était violent. Et cette fille, au lieu de raconter pourquoi elle vient d’un pays violent et d’une société violente, chose que j’ai raconté dans mes précédents films, cela pouvait se concentrer dans cette scène.


Ce film décrit un idéal mais aussi un combat, une lutte pour y arriver, peu importe les années n’est-ce pas ?

Absolument. Je l’ai peut-être pressentie inconsciemment parce que je me suis battue pendant 3 ans pour trouver le financement du film [ndlr : environ 1 300 000€ de budget]. On ne comprenait pas pourquoi un étranger peut regarder la France. On me disait implicitement : « Il est là qu’est-ce qu’il veut de plus ? » ou encore « elle ne peut pas être syrienne? ». Ensuite on m’a demandé « Pourquoi les années 90 ? ». C’est effectivement parce que je les ai vécues. C’est un tout ces années-là.

Le film et sa fin vous font prendre conscience de ce qu’est un étranger. Comment il vit et qu’est-ce qu’il cherche. Des vies entières passées en France, ce n’est pas rien. En général les étrangers veulent partager ce rêve fantastique d’une société idéale. Vous avez créé une société qui se rapproche plus de l’idéal et ils veulent apprendre et ils veulent la vivre. C’est ça l’idée. Mais la France vit ce dilemme de la liberté, des droits de l’homme et après au final très peu de gens rentrent dans le pays. Il y a eu 20 000 syriens qui sont rentrés, la moitié sont partis. Tout ce débat sur « est-ce qu’il y a trop d’immigrés? » devient ridicule, il y en a tous les jours. Au Liban il y a 7 millions d’habitants et il y a 1 million de Syriens. En France plus de 65 millions, il y en a 12 000.

Cet idéal de l’histoire culturelle française, qui est tellement riche, c’est ça qui est beau. Et il ne faut pas tomber dans le truc politique et populiste. Les étrangers viennent en France pour assurer un meilleur avenir pour leurs enfants, pour qu’ils soient libres, libres de leurs choix. C’est ça la liberté. Et c’est ce que fait Lina dans le film, elle fait des choix: qui elle veut entendre, qui elle veut aimer. Ce sont des choix humains.

Propos recueillis par Loubna Chlaikhy et Jonathan Rodriguez

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à propos de l'auteur

Auteur : Jonathan Rodriguez

Né en terre Montpelliéraine, le journalisme m’est toujours apparu comme une évidence. Les notions de partage et de curiosité m’ont constamment accompagné dans mon développement. Rendre compte du monde qui nous entoure est mon leitmotiv. Passionné par le cinéma depuis le plus jeune âge - où les douces images de Terrence Malick m’ont bercé – ainsi que par le sport et sa ferveur enivrante, le journalisme me permet à travers ses formats divers et variés de transmettre ses passions, les faire vivre et c’est ce qui est le plus important. La transmission. Ma formation en science politique m’a également permis d’accentuer mon attrait pour la politique, les relations internationales et les questions sociétales. Du nécessaire Mediapart, au collectif revigorant So Press en passant par l’indispensable Monde Diplomatique, toutes ses inspirations me façonnent au quotidien et me confortent un peu plus chaque jour dans mon envie d’être un journaliste. Je me bats pour un journalisme citoyen, ludique, intelligent et accessible. « A quoi est supposé servir un journaliste, selon les canons d’une tradition qui unit règles professionnelles et principes politiques ? Tout simplement à apporter aux gens les informations dont ils ont besoin pour être libres et autonomes. » Edwy Plenel