Juge Bruguière : les mémoires d’un magistrat exemplaire

Par le 3 décembre 2009

Mercredi 2 décembre 2009, à la salle Pétrarque de Montpellier, le juge Bruguière était présent pour la dédicace de son livre, «Ce que je n’ai pas pu dire», suivie d’une conférence-débat. Son public était au rendez-vous, avide de révélations et d’en savoir plus sur le premier vice-président de la section d’instruction « lutte anti-terroriste » du tribunal de grande instance de Paris. Tout un programme…

« Moi je n’ai jamais eu peur » commence le juge Bruyère, à l’évocation des risques du métier. Dès le début le ton est donné, l’homme est un héros, un cowboy de la lutte anti-terrorisme, même pas peur. Et pour cause, il est parfois surnommé « Lucky Luke » en raison du Magnum 357 qu’il avait l’habitude de porter sur lui. Et c’est en héros qu’il est accueilli dans la salle majoritairement composée de ses admirateurs. Moyenne d’âge la cinquantaine bien pesée. Chacun a acheté son livre et l’a fait dédicacer. Certains commencent déjà à le dévorer avec avidité.

Le juge Bruguière arrive sur l’estrade. Silence. Petit rappel bibliographique du parcours hors norme de cet homme, par Guillaume Neau, responsable de la communication du Service Départemental de la Sécurité Publique. Il anime le débat secondé par Jean-Marc Aubert, journaliste à La Gazette de Montpellier.

Né en 1943, cet homme est prédestiné à devenir juge. Une évidence plus qu’une vocation. Il l’avoue lui même « rien ne me prédisposait sinon les gènes ». Onze générations de magistrats, c’est dire si les gènes sont profondément juridiques dans la famille. Et la justice, le juge Bruguière en connaît un rayon. Il a instruit des centaines d’affaires, toutes plus médiatiques les unes que les autres. Parfois il passe outre un principe fondamental : la présomption d’innocence. Il accuse dans son livre, le non moins médiatique maître Vergès, d’avoir un statut d’agent au sein du groupe terroriste mené par Carlos alors que l’affaire n’a pas été instruite. Il réplique «Maitre Vergès est étrangement silencieux, il sait que j’ai les sources, j’ai pu avoir accès à plus de 10 000 documents du KGB, après la chute du mur.» Autre adage de Mr le juge : « Qui ne dit mot, consent. »

Du démantèlement d’un réseau de cartes grises illégales, mettant en cause un directeur départemental de la police, en passant par le proxénétisme et notamment l’arrestation de Mme Claude, le juge Bruguière finit par en venir au Terrorisme en 1982, suite à la fusillade de la rue des rosiers. Il ne lâchera plus son thème de prédilection pendant 30 ans, dont 27 sous la protection de gardes du corps. En 1986, à son initiative, la Division nationale anti-terroriste (DNAT) du parquet de Paris est créée. Il travaille en étroite collaboration avec les services de renseignements français et développe une stratégie de pointe pour prévenir les attentats. Il se plaît d’ailleurs à rappeler que sa méthode est enviée par tous les plus grand pays, et qu’il est maintenant mandaté par l’Union Européenne pour poursuivre aux États-Unis une enquête sur les flux par lesquels transite le financement des organisations terroristes. Pour lui, la totalité de l’appareil répressif doit être au soutien de la prévention, pour qu’il n’y ait plus d’antinomie entre ces deux données. Il ajoute « depuis 1996, il n’y a pas eu d’attentats en France. C’est la résultante de cette stratégie que j’ai conduite avec d’autres acteurs… ». Un attentat par an environ aurait été déjoué par la DNAT.

« Les terroristes utilisent la stratégie de la peur, et la menace reste élevée. Il suffit d’écouter les propos de Brice Hortefeux pour se rendre compte qu’elle est toujours présente ». Murmures d’inquiétude dans l’assemblée. La stratégie de la peur semble bien fonctionner. Des groupes salafistes d’Algérie qui ont fusionné avec une branche d’Al Quaida, en passant par la menace iranienne ou pakistanaise, sans oublier un petit tacle au système judiciaire allemand « trop laxiste, chez qui le terrorisme n’existe pas et qui se soucie plus de la protection des droits civils que de la défense de son territoire », on en arrive enfin au 11 septembre 2001, la date clef de l’ouvrage du juge Bruguière.

Car le 11 septembre, le juge Bruguière l’avait pressenti. Deux mois avant l’effondrement des twins towers, il alerte les plus hautes autorités du gouvernement américain, qui préfère le rassurer. « Le 11 septembre n’est pas un accident, mais un phénomène occulté et pas compris par les États-Unis, qui aurait pu être évité. » Dans une interview accordée au Globe and Mail, il admet que « le Canada est le pays occidental où il est le plus facile d’immigrer », et que de nombreux terroristes y trouvent refuge en toute impunité. Les questions fusent dans la salle : « Pensez-vous que Ben-Laden soit toujours vivant ? », « On dit qu’il serait peut-être dans les territoires tribales, du coté des tribus pachtouns, qu’en pensez-vous ? ». « Je pense qu’il est vivant, et se cache dans les zones tribales du Pakistan, sans doute chez les pachtouns, qui ont un sens profond de l’accueil et sont fermement fondamentalistes et anti-occidentalistes.» Il ajoute « Ben Laden ne rêve que d’une chose, le drapeau islamiste au fronton de la Maison Blanche. »

Lorsqu’on lui parle d’affaires dans lesquelles il serait suspecté d’avoir commis quelque bavures, il répond secret d’instruction et procédure en cours. Pour n’en citer que quelques-unes : les moines de Tibérine, dans laquelle il aurait fait obstruction à certains témoignages attestant l’implication de l’armée algérienne dans le massacre. Les attentats de Karachi, dans laquelle il a orienté son enquête vers des réseaux islamistes, Al Quaida en tête, alors que certains rapports remis par la Direction des Constructions Navales auraient pu l’orienter dès 2002 vers une affaire politico-financière. Sans oublier l’instruction contestable et l’ordonnance du 17 novembre qui a suivi, sur les massacres au Rwanda. Ses méthodes jusqu’au-boutistes ont provoqué le courroux du gouvernement rwandais qui dans un communiqué a mis en cause les autorités françaises : « Sous prétexte de l’indépendance judiciaire, le juge Bruguière, en coopération avec d’autres organes de l’État français, a organisé la négation du génocide et le révisionnisme. ». Le porte-parole du Tribunal Pénal International du Rwanda, Everard O’Donnell, aurait même laissé entendre des doutes quant à l’indépendance du juge. Lorsqu’on lui demande s’il a toujours conservé son indépendance, s’il n’a jamais subit de pressions politiques ou médiatiques, il rétorque « l’indépendance, c’est comme le courage, ça se prend ! ».

Et de conclure par une comparaison d’actualité entre la grippe A et le terrorisme en affirmant que le point commun entre les deux phénomènes « c’est le sentiment des gens de quelque chose de diffus, qui n’arrive qu’aux autres. Il est difficile de faire prendre conscience des risques qu’on ne voit pas. C’est la perception globale d’un risque potentiel qu’il faut modifier. Aujourd’hui le virus est mutant… ». Comparaison intéressante pour quelqu’un qui reproche aux terroristes la stratégie de la peur, mais soutient ouvertement le gouvernement Sarkozy, avec son discours sécuritaire pendant la campagne, ou la vaccination massive orchestrée par Mme Bachelot, basée sur une stratégie alarmiste.

Enfin ne vous avisez surtout pas de lui reprocher son étiquette UMP, ou sa candidature illégale et malheureuse aux élections législatives de 2007 qui lui a valu une sanction du Conseil supérieur de la magistrature, le contraignant à démissionner en juin 2007. Il vous répondra avec un aplomb désarmant « Quand c’est à gauche c’est parfait et quand c’est à droite ça va pas ! ». Alors amateurs de la langue de bois, ruez-vous dans les librairies pour acheter un livre qui aurait du s’appeler « Ce que je n’ai pas voulu dire ».

Catégorie(s) :
Étiquettes :

Vous avez aimé cet article ? Partagez-le !

à propos de l'auteur

Auteur : Camille Garcia

« Avec le temps va tout s’en va », disait le grand Ferré... Tout, sauf cette envie de journalisme qui me tiraille déjà depuis longtemps. Le chemin fut sinueux et peu conventionnel avant d’intégrer ce master métiers du journalisme. Cinq longues années à errer entre une première année de droit, puis un master 1 LEA Europe qui aura eut le mérite de me faire franchir les frontières du territoire français pendant deux ans. Après un passage à Liverpool chez les quatre garçons dans le vent que sont les Beatles ou une épopée andalouse chez le roi Boabdil et sa divine Alhambra de Granada, me voilà en territoire Héraultais. « L e journalisme, c’est bouché » me disait déjà à l’époque Mme François la conseillère d’orientation en troisième. « Les journalistes, tous des fouineurs » ajoutait Mr Chabrier mon cher et tendre voisin. C’est dire si journaliste est une vocation, un sacerdoce qui demande avant même de pouvoir l’exercer une grande ténacité et une grande volonté pour s’opposer aux nombreux pessimistes voire détracteurs de la profession. Et pour continuer avec la morosité ambiante, maintenant, c’est la crise de la presse, la mort des journaux, le lecteur n’achète plus, ne fait plus confiance aux journalistes... Mais alors pourquoi vouloir se lancer dans une bataille déjà perdue ? Ma réponse est simple et courte : je ne me vois pas faire autre chose et c’est une histoire de passion et de passionnés. Je crois que c’est à nous futurs journalistes de reconquérir nos lecteurs, de revaloriser l’information, de la diversifier, de la rendre originale et pluraliste en répondant aux besoins du lectorat sans oublier de susciter chez eux l’envie de s’informer, d’en savoir plus. Alors même si les journalistes précaires se ramassent à la pelle comme les feuilles mortes du grand Prévert, tant pis! Je reste convaincue qu’après l’automne vient le printemps et qu’une nouvelle génération de journalistes, la nôtre, aura sa place. Satanée optimisme quand tu nous tiens !