Anne Fraisse : « Presque toutes les universités françaises sont en déficit »

Après des semaines de combat, le 29 novembre dernier, Anne Fraisse, présidente de l’Université Paul Valéry, annonçait le « sauvetage de l’antenne de Béziers ». Nous l’avions interrogée, quelques jours avant, sur les difficultés de l’université, mais aussi, sur la situation de l’enseignement supérieur en France. En ce mardi 7 janvier, jour du vote du budget de l’Université, retour sur cet entretien.

Que représente pour vous l’antenne de Béziers par rapport à l’Université Montpellier 3 ?

Anne Fraisse : L’antenne de Béziers a une dimension sociale. Il y a les mêmes diplômes qu’à Montpellier 3. On sait très bien que les étudiants qui y sont n’ont pas les moyens de venir faire leurs études à Montpellier. Les résultats dans cette antenne sont très satisfaisants. C’est une politique sociale que l’Université ne peut pas assumer à elle toute seule. On ne peut pas parler d’un luxe pour cette université mais il est vrai que proportionnellement, elle nous coûte plus cher que celle de Montpellier.

Cette année, l’Université Paul Valéry c’est un 1,8 million de déficit ?

Cette année oui, mais l’année prochaine, on construit notre budget avec un déficit qui est de 3 millions. Les salaires augmentent, les personnels montent en grade et tout cela pèse sur le budget de l’université. C’est incontrôlable pour l’université.

Les solutions apportées par la ministre ne vous conviennent pas ?

Elle donne des chiffres faux ou tire de mauvaises conclusions des chiffres qu’elle prend. Elle détourne des chiffres dans le sens de la politique qu’elle veut mener. Elle veut rendre responsable les universités de leur déficit : c’est un discours qu’on doit remettre en doute car presque toutes les universités françaises sont en déficit. Ils ont demandé un deuxième audit pour demander ce qu’on peut fermer. Elle dit que les masters ne sont pas mutualisés, c’est faux. Elle explique qu’on avait créé des postes et que c’est la raison de l’augmentation des salaires, c’est faux.
Quand je vois le type d’erreur qu’elle fait sur ce dossier, je ne pense pas que ce soit innocent. Je pense que, très clairement, il y a une volonté de faire entrer les universités dans une politique précise. Depuis le début, les gens pensent que c’est moi qui veut fermer l’antenne de Béziers. C’est paradoxal. La ministre dit qu’elle veut sauver Béziers, moi je dis que je vais fermer Béziers alors qu’en fait, clairement, il faut entendre le contraire. Nous voulons sauver Béziers à condition de le pouvoir. Je ne pense pas que la solution viendra d’une aide ponctuelle à Montpellier 3 sur un budget qui est en déficit structurel. Ce n’est pas une solution ponctuelle qui servira de solution. L’équilibre ne pourra venir que des mesures générales que proposeront le ministère, sinon on sera obligé de fermer Béziers. (NDLR : Le lendemain de l’interview, Anne Fraisse déclarait au Midi Libre que l’antenne de Béziers était sauvée)

Qu’en est-il des autres universités en France ? 1465379_10202575671701149_1974395992_n.jpg

Les autres universités sont dans une situation difficile également contrairement à ce que dit la ministre. Il y en a qui sont dans une situation bien plus grave que nous et il ne faut pas aller chercher bien loin pour en trouver. Le problème c’est que les universités en question ne le disent pas : elles ferment des formations. Nous, nous avons décidé de ne pas le faire discrètement, c’est tout. Les autres universités sont dans le même cas, il ne faut pas se faire d’illusions. Une fois qu’elles ont été « redressées », comme le dit la ministre, évidemment elles sont plus en déficit, sauf qu’elles ont perdu une partie des formations qu’elles assuraient.

« »On ne peut pas a la fois annoncer une politique sociale et mener une politique de restriction de la masse salariale des université »»

Vous en parlez avec les autres présidents d’universités ?

Il est facile d’opposer les uns aux autres : les universités de lettres contres les autres, les grandes universités contre les petites. Chacun va défendre un peu son pré-carré. Oui la CPU, la conférence des présidents d’universités a une volonté d’agir collectivement mais c’est un peu difficile c’est pour ça que les mesures qu’on porte sont essentiellement sur la compensation du GVT (NDLR : Glissement Vieillissement Technicité) sur l’état décideur-payeur, c’est à dire que quand l’état prend une décision, qu’il ne la fasse pas payer par les universités et qu’il affiche la vérité des prix.
On n’arrête pas de nous dire qu’on a des budgets en augmentation. En fait les prélèvements se font après budget. Le ministère annonce un budget en augmentation et après il fait des prélèvements. Le derniers en ligne c’était un prélèvement pour le redressement des finances de l’état et un prélèvement en journée de carence qui était trois fois ce que les universités avaient voté.
Il faut arrêter de dire une chose et son contraire. On ne peut pas a la fois annoncer une politique sociale et mener une politique de restriction de la masse salariale des université. Même si celle-ci peut être justifié en disant que tout le monde doit faire des économie sur les fonctionnaire. Mais on ne peut pas pratiquer cette politique et la cacher sous un habillage social. Et c’est ça qui enrage les universités. On leur explique qu’elles sont privilégiées, que dans les autres ministères c’est pire mais en même temps on les met dans une situation ou elles ne peuvent pas assurer les enseignements et la recherche.

En 2012, pendant la campagne présidentielle, vous écriviez une lettre au candidat François Hollande, aujourd’hui qu’est-ce que vous lui diriez ?

La même chose, qu’il prenait un héritage avec un gros passif et que le seul moyen de l’assumer c’est d’être vraiment à gauche. Or il mène une politique, sous couvert d’une politique sociale, qui est la même.

Soutenez-vous les étudiants de Paul Valéry lorsqu’ils bloquent l’Université ?

Je ne soutiens pas le blocage ça je l’ai toujours dis. C’est un procédé inefficace, il n’y a pas de discussion, et de plus ceux-ci sont souvent récupérés sans véritable dénonciation de problème précis, mais sur une sorte de refus général d’une politique menée.
Il n’y a pas eu de situation de ce type depuis 5 ans. Ce qui fait que les étudiants qui sont dans le mouvement sont des novices. Que ce soient les bloqueurs et les non-bloqueurs.

Quelle serait alors la solution pour manifester leur mécontentement ?

Certainement pas le blocage, je leur ai dit. Mais dès lors que l’on a parlé de Montpellier 3 au national le problème a été réglé. Le problème c’est qu’ils se nuisent eux-mêmes, à leurs propres résultats. Le ministère ne cédera pas parce que Montpellier 3 est bloqué.

Quelle issue voyez-vous à tout cela ?

La solution ne peut pas être individuelle. Si le Ministère donne à une antenne, il va devoir donner à tout le monde. Toutes les antennes et toutes les universités ont des problèmes. Vous avez entendu parler de Versailles-Saint Quentin qui est en cessation de paiement ? Ils sont obligés d’avancer l’argent. Là ils se rendent compte qu’il doivent dégager des fonds. A Versailles ils ont beau dire que c’est un prêt, au final ils dégagent des fonds pour payer ces fonctionnaires. Il est temps qu’ils arrêtent cette politique là qui a des conséquences extrêmement néfastes.

Vous gardez espoir?

Cette année avec les annonces du Ministère, oui sûrement. Mais le problème se reposera l’année prochaine. Il faut des solutions durables si l’on veut garder l’antenne de Béziers dans des conditions décentes. Nous on a un projet pour Béziers. Aujourd’hui quand il y a des fermetures de Masters ou Licences, c’est essentiellement dans le domaine des Sciences et Lettres. Il y a trop de diplômes dans ces domaines-là, on est obligés de fermer des filières.

A quoi ressemblera Paul-Va l’an prochain ?

J’espère à la même chose parce que l’on a une offre de formation et des diplômes qui sont bons, l’Université a maintenant au national et à l’international une bonne réputation.
Mais dans la région c’est très difficile, les gens vivent sur des préjugés envers les universités de Lettres. La région n’aime pas cette université, c’est dommage mais c’est une réalité, il faut vivre avec. Il y a des choses qui changent, nous on travaille avec de nombreux partenaires et notamment économiques, parce que l’université est très axée sur la professionnalisation de ses étudiants ce qui n’est pas le cas de toutes les universités de Sciences Humaines. En même temps, ce sont les mêmes qui disent que c’est une usine à chômage sans avoir vu les chiffres d’insertion professionnelle qui sont tout à fait bons y compris dans la région ou le taux de chômage est très élevé. D’un autre côté, ce sont eux aussi qui quand leurs enfants ne sont pas inscrits à temps viennent vous supplier pour les accepter. C’est quand même deux discours contradictoires.

A l’heure actuelle, mis a part le côté social de l’antenne de Béziers, est-ce problématique de retrouver les même formations là-bas qu’à Montpellier?

Mais que voulez-vous mettre d’autre ? C’est un peu ce que disent le Ministère et le recteur. Mais je pense que c’est une fausse bonne idée. On avait autrefois une seule discipline à Béziers parce que l’on avait pas la place de la mettre à Montpellier. Quand on l’a rapatriée à Montpellier on a eu beaucoup plus d’étudiants. Le fait de mettre une spécialité pour que les gens aillent à Béziers, ça ne marche pas. On peut difficilement proposer autre chose. Par exemple notre licence pro ne marche pas, alors que les licences généralistes ont attiré du monde. Donc après c’est une politique et je pense que cette politique est efficace. On a pas beaucoup d’antennes ici, mais c’est curieux de mettre qu’un seul diplôme d’un côté. Si vous habitez à Mende c’est étrange que tous les étudiants de Mende fassent tous la même chose. Nous on a une antenne qui est une grosse antenne, on a 760 étudiants cette année. La politique c’est de proposer une offre de formation étendue. On a ouvert une formation dans chacun des UFR. Donc il y a un diplôme pour chacun des grands domaines présents sur Montpellier.

Si l’antenne de Béziers venait à fermer, que deviendraient les locaux ?

Ils seront réutilisés pour autre chose, le recteur pourra les utiliser pour une autre Université. Ils ne sont pas notre propriété. C’est aussi une des raisons pour lesquelles ça pose des problème au Ministère de fermer une antenne.

Qu’espérez-vous pour les mois à venir ?

Je pense que le Ministère doit prendre ses responsabilités sans les renvoyer sur les Universités après nous avoir mis dans cette situation. Il faut en faire une question politique parce que c’est une question politique. Il faut remettre en cause la politique actuelle qui est menée sur les universités. Et la solution ne pourra être trouvée qu’au national. Ce n’est pas quelque chose que l’on pourra régler, entre-nous, au local. Même s’il y a des aides possibles. Je pense effectivement que la solution serait que les autres universités investissent le site de Béziers. Mais si c’est pour dire on enlève les formations de Montpellier 3 pour y mettre les formations de Montpellier 1 et 2 je ne suis pas certaine que ce soit franchement utile.

A Montpellier, la mobilisation anti-Darcos ne faiblit pas

Depuis le mardi 9 décembre 2008, les mouvements de contestation contre les réformes prévues par Xavier Darcos, ministre de l’Éducation Nationale, se multiplient. A Montpellier, étudiants, enseignants, parents et lycéens se mobilisent pour défendre un modèle d’éducation remis en question par le gouvernement français.

Les manifestations se suivent et ne se ressemblent pas. Une nouvelle fois les réformes de l’Éducation Nationale sont au cœur des débats. A Montpellier vendredi 12 décembre, ce sont les lycéens qui prennent les rênes de la contestation. Près d’un millier d’entre eux se sont mobilisés pour exprimer leur mécontentement devant les grilles des lycées Mermoz et Clémenceau notamment. Le manque d’organisation et la présence d’éléments perturbateurs extérieurs au mouvement ont néanmoins tendu les rapports entre manifestants et forces de l’ordre. Plusieurs altercations éclatent dès le début du rassemblement. Jets d’œufs et poubelles brulées contre bombes lacrymogènes, l’affrontement tourne vite à l’avantage de la police. Ces évènements ont rapidement mit fin au rassemblement, mais l’escalade et la radicalisation du mouvement stigmatise avant tout l’inquiétude des jeunes pour l’avenir de l’éducation en France.

Sifflets et gilets jaunes

Deux jours plus tôt même si l’ambiance est tout autre, la crainte est la même. Mercredi 10 décembre, l’atmosphère est bon enfant dans le cortège. Sifflets à la bouche, casseroles et cuillères en bois à la main, parents, enseignants, étudiants et lycéens étaient particulièrement bruyants. Un gilet jaune sur le dos, comme la plupart des parents d’élèves, Jean-Louis Gély, adjoint aux écoles de la Ville, ironise : « la voiture de l’Éducation Nationale est en panne, on attend la dépanneuse ».

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Dans la plupart des villes de France (Paris, Rennes, Toulouse, Marseille…), la mobilisation à l’appel des principaux syndicats et association de parents d’élèves a été bien suivie. A Montpellier, 2 000 à 3 500 personnes (selon les estimations) ont manifesté de la place du Peyrou à la Comédie.
Outre les 13 500 suppressions de postes dans l’Éducation Nationale prévues pour 2009, les revendications sont multiples. «Nous sommes contre la fermeture des classes dans le primaire, contre la suppression des Rased [réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté], contre les suppressions de postes dans le second degré, contre la réforme des lycées notamment la suppression des SES, contre la dégradation des conditions de travail et la « masterisation » des IUFM », la liste du mécontentement est longue pour Julien Colet, secrétaire de la CGT Éducation 34. Autrement dit, c’est la défense du système éducatif français qui est au centre des préoccupations.

Mardi 9, à la veille de la mobilisation déjà, les parents d’élèves occupaient trois écoles sur quatre autour de Montpellier pour réclamer un investissement supérieur dans l’Éducation. Mardi après-midi, les IUT de la région manifestaient pour protester contre la loi de réforme des universités qui menacerait leur financement. La sanction du directeur de l’école maternelle de Saint-Jean de Védas, Bastien Cazals s’ajoute aux motifs de mobilisation. L’enseignant avait rédigé une lettre à Nicolas Sarkozy pour exprimer son refus de supprimer les Rased et d’appliquer les nouveaux programmes.

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«Nous sommes en résistance»

Au coeur des manifestants, plusieurs élus ont dénoncé la politique du gouvernement. Jean-Louis Gély, venu pour « représenter le soutien de la majorité municipale au mouvement » insiste particulièrement sur la situation des écoles maternelles. « Une menace plane sur cette spécificité française », affirme t-il. « Enfants et parents vont perdre un lieu d’accueil et d’intégration sociale, les enseignants vont devoir faire face à de nouvelles suppressions de postes ». Conséquence : de plus en plus d’enfants en âge d’être scolarisés (3 ans) ne pourront plus être accueillis. Selon Patrick Tolédano, coordinateur académique du SnuiPP (FSU), c’est déjà le cas dans certaines écoles maternelle classées ZEP (zone d’éducation prioritaire). Manifestant également son mécontentement, Jean-Louis Roumegas, élu local et porte-parole national des Verts, rappelle pour sa part que « l’éducation est menacée par des suppressions de poste massive alors que les effectifs augmentent ». « C’est à n’y rien comprendre » conclue t-il.

Mercredi soir, le cortège festif s’est achevé sur un simulacre de vente aux enchères, place de la Comédie. Les manifestants ont procédé en vain à la mise en vente de la laïcité, « pilier de l’ Éducation » ou encore des classes de découvertes. En scandant « nous sommes en résistance dans tous les coins de la France», les manifestants n’entendent pas abandonner la lutte. Prochains rendez-vous: lundi 15 décembre à l’appel des lycéens et jeudi 17 décembre devant l’Inspection Académique pour demander la levée des sanctions contre Bastien Cazals. Toutefois, l’arrivée des congés de noël risque de jeter un coup de froid sur l’élan revendicatif amorcé au début de la semaine.