Le combat de Fela Kuti, « The Black President »

Par le 28 janvier 2008

Fela Kuti, est mort il y a maintenant 10 ans. Du sida, et de sa lutte contre la corruption au Nigéria. L’arme qu’il a crée : l’Afro-beat. Un groove unique, mix d’afrique et d’occident, de joie et de colère. Un mélange de percussions traditionnelles africaines et funk-soul-jazz des années 1970, notamment joués par James Brown ou The Meters. Le tout, au service d’une lutte sociale et popularisé à partir du Nigeria. Le seul État dans le monde, disposant d’importantes ressources pétrolières à présenter un déficit budgétaire.

"Zombie", album sorti en 1976, et véritable déclaration de guerre à l'armée nigérianne. Il a coûté à Fela la vie de sa mère

Le « cocktail Afro-beat » ne s’est pas fait du jour au lendemain. Mais dès sa naissance, Fela Kuti, était prédestiné à devenir un activiste, issu d’une famille bourgeoise engagée. En 1958, il s’envole pour Londres où il étudie la musique. Il forme un groupe avec des amis nigérians et antillais, le « Koola Lobitos ». Dans des cafés, ils reprennent quelques classiques de jazz en y ajoutant une pincée de « high-life » [[Genre musical originaire du Ghana, et qui s’est répandu dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, Sierra Leone et Nigeria notamment, dans les années 1920]], musique en vogue en Afrique.

Malcom X

En 1969, lors d’une tournée aux États-Unis, le déclic se produit : il rencontre Sandra Smith, une militante noire des « Black Panthers » qui lui expose les idées de Malcolm X. Il retourne au Nigeria transformé. Fela n’a plus d’autre idée en tête que de revendiquer les droits du peuple africain face à la corruption des gouvernants. La rencontre avec le fameux batteur, « Tony Allen », sera l’élément déterminant dans l’apparition de l’Afro-beat. Fela dira de lui : «il sonne comme 4 batteurs ». Un nouveau groupe, « Viva Africa 70 », et un rythme moins jazz, plus proche des rythmes africains. Désormais Fela ne chante plus en yoruba, mais en pidgin, l’anglais du « petit peuple », de manière à être accessible à une bonne partie du public africain. Discours enflammés sous de puissantes percussions, et des cuivres envoûtants. Succès foudroyant. Bien que censuré par les médias d’état.

Le style musical devient un mouvement politique et social. Nous sommes au début des années 1970. Les juntes militaires se succèdent, l’élite et les multinationales se partagent les bénéfices du boom pétrolier, tandis que les ghettos se multiplient dans la périphérie de Lagos. La musique de Fela est le cri des millions d’exclus. Fela, celui qu’on appelle le « Black President », devient l’espoir de tout un continent. C’est plus la belle période du groupe, qui sort une quarantaine d’albums. Parmi les « classiques »: «Open & Close», «Zombie», «Water No Get Enemy», «Shakara»… Au final, 77 albums, 133 chansons.

Candidat aux élections

Très vite, le « Black President » s’attire les foudres du pouvoir militaire qui supporte très mal ses satires. « Zombie » surtout, une déclaration de guerre, ni plus ni moins, que Fela lance à l’armée Nigérienne, lors d’un festival en 1977. Les représailles qui suivent sont terribles. Au cours de la prise d’assaut musclée, la mère de Fela Kuti est défenestrée. La maison, baptisée république du « Kalakuta », où Fela vit avec sa tribu de dissidents, est rasée. « Zombie » marque le début d’une série d’albums sentant bon le règlement de compte. Plus la répression frappe, plus les rimes et les rythmes de Fela traquent, matraquent la dictature.

Fela a aussi du mal à payer ses musiciens qui se mettent en grève. Le groupe se disloque au début des années 80 pour donner naissance à « Egypt 80 ». Les têtes du groupe, dont Tony Allen, ayant quittées le navire, la musique de Fela prend une autre tournure, moins funky, plus world. Car Fela veut s’exporter. Mais il ne démord pas de sa furie envers le pouvoir corrompu. Les tournées qui le mènent en Afrique, en Europe, aux États-Unis, rencontrent partout un accueil triomphal et lui confèrent une notoriété mondiale.

En 1979, Fela fonde son parti, le «Movement Of the People» (M.O.P.) et se déclare candidat aux élections de 1983. Mais en 1981, il est jeté en prison pour possession de cannabis. Les autorités suppriment son parti. On l’enferme plusieurs fois jusqu’en 1986.

g2KbLejO8mY&rel=1

Quatre jours de deuil national

Le rebelle laisse alors le devant de la scène à son fils aîné, Femi Kuti. Il se bat depuis des mois contre le Sida. Les nombreux sévices subits en prison n’ont rien arrangé. Il s’éteint le 2 août 1997, à 58 ans. La nation entière pleure. Les autorités militaires l’ont traqué sans relâche, mais avouent avoir perdu « l’un des hommes les plus valeureux de l’histoire du pays ». Elles décrètent quatre jours de deuil national. Le 12 août, près d’un million de Lagossiens sortent massivement dans la rue pour acclamer celui qui, de la moitié des années 60 à la fin des années 90, a résisté aux coups durs des différents généraux qui se succèdent à la tête du Nigeria.

Si le décès de Fela Kuti en 1997 apparaît comme un drame en Afrique de l’Ouest et sur tout le continent, il est à peine perçu dans le reste du monde. Peu importe, Fela a su passionner et motiver des disciples partout dans le monde, à travers un précepte : « la musique est l’arme du futur ». Son fils Fémi poursuit le combat. En témoigne son dernier «Live at the shrine ». Epoustouflant.

Catégorie(s) :
Étiquettes : ,

Vous avez aimé cet article ? Partagez-le !

à propos de l'auteur

Auteur : Audrey Montilly

Diplômée de l’IUT de journalisme de Lannion, j’ai pu effectuer plusieurs stages. En PQR mais également en télévision, à TV7 Bordeaux. Expérience très enrichissante puisqu’en télévision locale, j’ai pu effectuer des reportages de A à Z, de la prise d’image, au montage, en passant par la rédaction des commentaires. Puis je suis partie un an à Québec. Cours à l’Université Laval et stages, à Radio Canada, au service télévision. Une licence info-com et un master 1 de science politique en poche, j’ai pu intégrer le master 2 journalisme. Entre temps, deux étés à la Dépêche du Midi à Agen, un autre à Ouest-France, à Nantes, en 2007. J’ai longtemps hésité entre la presse écrite et la télévision. Entre l’écrit et l’image. Si j’ai privilégié l’écrit, le web pourrait me permettre d’allier les deux.