Il était là, avec sa canne et son appareil auditif, qui l’emmerde, nous a t-il dit. Malgré tout, c’était peut-être un des plus jeunes, une des personnes les plus vives présentes dans la salle. Nous questionnant d’emblée, « Quoi de neuf? ». L’espace d’un instant nous étions penauds devant celui qui a dirigé l’information à RTL pendant Mai 68. Pas de temps à perdre, l’homme nous met, vingt minutes après son arrivée au devant d’un bouclage virtuel, ne cessant de nous répéter qu’il « (nous) considère déjà comme des journalistes professionnels, alors allez-y, montrez-moi les biscuits que vous avez apportés… ».
Journaliste à Combat et à Libération après des débuts à l’Humanité. Reporter radio pendant la guerre d’Algérie. Auteur de la rencontre entre Brel et Brassens. Le bougre a aussi interviewé Piaf, De Gaulle ou encore Miles Davis. Rencontrer Farkas c’est composer avec des représentations idéales dont on peine à se défaire. Ne le lancez pas sur la musique! Bien qu’il n’ai jamais écrit sur, il a vécu toute sa vie avec…
L’ancien reporter est pourtant un peu, de ceux que l’on appelle des « personnages »; ces Hommes qui portent dans leurs discours tout le poids, le savoir et la sensibilité d’une époque. « Il ne s’agit pas de regarder passer les trains, mais de savoir ce qu’il y a dedans », la leçon, en une phrase, a résonné dans notre petite salle.
On reproche souvent aux journalistes leur immodestie et pourtant, ce qui frappe d’abord chez Farkas c’est sa simplicité. Cette volonté ténue et apparemment irrépressible de transmettre la « fibre », la « substantifique moelle » du métier comme il le vit et le sent dans « ses tripes ». Presse écrite ou radio, pas facile de voir sa préférence…mais une chose est sûre, « l’implication physique » demandée aux journalistes d’aujourd’hui est bien différente de celle de son époque.
« Quoi de neuf Coco? », ironise t-il encore. Reprenant l’expression célèbre et néanmoins pleine de sens de Pierre Lazareff, « l’ensemble du métier et de la posture du journaliste est résumée dans cette phrase qui aura toujours son actualité » ajoute Farkas.
Désarçonnante de prime abord, on ne perçoit la justesse de cette expression qu’en prenant le temps d’écouter l’homme. Comme il l’explique, le journaliste est d’abord cette personne qui a pris le temps de réfléchir au rôle qui doit être le sien dans la société. « Les informations les plus humbles, on doit les traiter comme un coup d’Etat », indique t’il.
« Si vous voulez devenir journaliste, personne ne va vous aider, mais personne ne va vous arrêter! »
Avant de poser les questions aux autres on doit pour ainsi dire se les poser à soi même! On ne devient journaliste qu’en ayant d’abord engagé ce processus d’introspection.
Pour Farkas le rôle du reporter, du soliste comme il l’appelle (complémentaire au chef d’orchestre d’une rédaction) est avant tout celui d’un indigné, d’un loup qui a faim de comprendre, le souci de faire comprendre et la soif de raconter ce qui se passe, avant quiconque!
Il ne loge pourtant pas toute la profession à la même enseigne et déplore ces journalistes qui ne lisent pas, ne connaissent pas l’histoire et sont incapables de mettre en perspective, dans le temps dans l’espace. Il critique les formules toutes-faites qui ancrent les événements du quotidien dans la spectacularisation du « jamais vu » et de « l’inédit », cruel manque de savoir-faire contextuel selon lui.
On en vient au personnage central de son dernier bouquin, Romo Goldèche et la tristement célèbre langue de bois. Ce dernier était comme un mot de passe, un acteur (pas si) imaginaire que les reporters se prêtaient de journal en journal. Première fois que l’on en entend parler. Tantôt « général de guerre libyen, entraîneur de base-ball, voire soldat », il représentait une « sorte de mouvement de résistance face à la dictature de la pensée unique », au temps de la radio militaire en Algérie. « Il faudrait bien un nouveau Romo Goldèche pour contrer les discours convenus des communiquants, à droite comme à gauche, les prisonniers de la petite phrase » ; un certain cynisme, une distance donc, en précisant sourire aux lèvres et souvenirs plein les yeux : « durant les grands reportages, il n’y a que les patrons de presse qui soient concurrents… ».
Le(s) nouveau(x) Romo Goldèche?
Il est rassurant et déroutant à la fois de surprendre ce journaliste d’une autre génération critiquer la soumission de certains professionnels et stars médiatiques et le manque d’humour de certaines rédactions aujourd’hui. Nous racontant cette époque où « on pouvait faire de la bonne info tout en déambulant à poil dans la rédaction pour déstabiliser les collègues » ce qui « semble être plus compliqué aujourd’hui! ». Souvenir d’un temps que nous n’avons pas connu, quand le Nagra, le transistor et la VHF régnaient en maître.
Ce qui est moins drôle aussi dit-il, c’est évidemment que beaucoup de choses ont changé depuis Radio Luxembourg et Combat. Farkas, malgré sa longue carrière, ne porte pourtant pas un regard critique sur la technologie ou la modernité. Il avance ainsi que « C’est une chance pour la nouvelle génération de journalistes de commencer dans le numérique, même s’il est « plutôt sain de ne pas savoir ce que vous voulez faire ».
Quelque soit le support, il faut prendre le temps de se pencher sur les sujets qui nous entourent et respecter les gens qui nous lisent où nous écoutent même s’il faut déranger pour cela. Le fameux devoir d’irrévérence du reporter. Devoir qui n’a peut-être jamais été aussi essentiel dans la période qui est la nôtre. En témoigne la vision objective de Farkas sur le sujet qui résume peut-être à elle seule la bascule entre les générations « Vous allez rentrer dans des boîtes, et malheureusement sans connaître les patrons. Aujourd’hui, des géomètres, des énarques, des financiers dirigent tout, mais sans aucune idée de ce qu’est un papier« …No Comment.
Un cocktail d’auto-dérision, de sérieux et de distance dans l’exercice de son travail, voilà peut-être les principaux enseignements que l’on pourrait tirer de ces échanges à bâton rompu. Échanges avec un homme, avec un journaliste, qui à vécu son métier avec ses tripes et même si, pour reprendre Brassens : « les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux. »
Conseils aux jeunes journalistes…