À Montpellier, les cigarettes de contrebande font un tabac

Le marché parallèle de la cigarette prospère dans la capitale héraultaise. La proximité avec les pays limitrophes et la flambée du prix du tabac contribueraient à l’expansion d’un phénomène qui s’est généralisé dans toute la France.

« Vous vendez des clopes ? » Quelque part à Montpellier, un vendredi soir, aux alentours de 22 h 30, dans une épicerie de nuit. Sans hésiter, le tenancier s’éclipse dans l’arrière boutique et en ressort quelques minutes plus tard. Dans sa main, un paquet rouge et blanc, floqué du logo « Malboro ». « Ça fera 8€. » « Pourquoi aussi cher alors que c’est de la contrefaçon ? » « Dans ce cas là, je te le fais à 9€. » C’est ce qui arrive lorsque le marché échappe à tout contrôle de l’État. L’unique règle, c’est qu’il n’y en a pas. Le tarif – pourvu qu’il reste attractif – s’établit selon le bon-vouloir du revendeur. Une scène qui n’a rien d’exceptionnel. Ici, la vente sous le manteau est devenue chose commune.

Un trafic à ciel ouvert

Gambetta, Figuerolles, les Arceaux,… les vendeurs à la sauvette y fleurissent, même s’il est « compliqué de quantifier réellement l’ampleur du trafic », selon Myriam Soula, adjointe à la direction régionale des douanes de Montpellier. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à s’installer aux abords des commerces pour vendre leurs marchandises à 5€, allant parfois jusqu’à alpaguer directement les passants.

Une forme d’impunité récente qui ulcère le président de la confédération des buralistes, Philippe Coy, également buraliste à Pau (Nouvelle-Aquitaine) : « Là où il y a des clients, il y a du business. Dans les grandes métropoles comme Montpellier, la contrebande est particulièrement développée, due essentiellement à la proximité géographique avec Andorre. Là où les cigarettes sont presque deux fois moins chères, la tentation de s’y fournir est forte et les trafiquants en tirent profit pour revendre la marchandise une fois en France et engranger d’importants bénéfices ».

De cette situation, deux types de trafic se dessinent : « Il y a d’un côté les organisations criminelles, très bien structurées avec assez de matériel et de personnel pour effectuer des transferts réguliers entre les pays » , explique Myriam Soula. Parallèlement, on retrouve un trafic de fourmis, individuel, non-criminel ».

Les douanes montpelliéraines constatent une augmentation des saisies de cigarettes par rapport à l’année dernière. Il est toutefois « difficile d’établir une véritable corrélation avec l’augmentation progressive du prix du tabac » dont la dernière s’est appliquée le 13 novembre dernier. Mais pour Philippe Coy, il ne fait aucun doute : « En 2003, les cigarettes issues du marché parallèle [achetées dans un pays tiers, sur internet ou dans la rue, ndlr] ne représentaient que 0,3% de la consommation. Aujourd’hui, elles en représentent 30%. Ces hausses de tarif ont projeté le consommateur sur ces marchés parallèles. Il cherche à se fournir ailleurs pour préserver son droit à l’achat. Ce qui engendre un manque à gagner annuel de deux à trois milliards d’euros pour l’État et le réseau des buralistes ».

« La lutte contre le tabagisme ne doit pas passer par une chasse aux buralistes »

À en croire le président de la confédération des buralistes, les choses ne vont que « s’accentuer » avec le dernier projet gouvernemental de faire passer le paquet à 10€ à l’horizon 2020.

La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, voit dans cette hausse un effet dissuasif pour lutter contre le tabagisme, « une vraie maladie » selon ses mots dans les colonnes du Parisien-Aujourd’hui en France : « C’est une façon de faire baisser le nombre de fumeurs, justifie-t-elle. « […] Il faut une prise de conscience ».

Une hérésie, selon Philippe Coy, qui ne fera que favoriser davantage la contrebande et mettre en difficulté les débits de tabac : « Depuis les augmentations successives, le nombre de fumeurs n’a pas diminué. Au contraire, il stagne depuis des années. Oui, le tabagisme est un problème de santé public mais il ne faut pas que cela passe par une chasse aux buralistes dont 5 000 à 6 000 d’entre eux ont mis la clé sous la porte en dix ans ».
Le marché parallèle entrainerait également des enjeux sanitaires : « Le tabac est un produit dangereux, ce n’est pas une boîte de petits pois. On ne peut donc pas le laisser circuler librement entre les pays membres. Pire lorsqu’il s’agit de contrefaçon car les cigarettes ne répondent à aucune norme de fabrication et de stockage. Elles constituent de fait des produits encore plus dangereux pour la santé du consommateur. »

Après négociations avec l’épicier de nuit, les cigarettes seront finalement obtenues pour 7€. Une affaire pour la cliente à une heure où un paquet conventionnel se vend à 10€ dans un bar. Une affaire pour le grossiste dont les 3€50 de bénéfice iront directement dans sa poche. « Un fléau qui s’est répandu comme une tâche d’huile » pour Philippe Coy, selon qui, « la rue commence petit à petit à prendre le monopole du tabac ».