« J’ai semé de l’ail et des fèves entre les pieds de vigne », explique sans ciller François Ducrot. Ces propos étonneraient plus d’un viticulteur. Depuis deux ans, ce vigneron de 34 ans expérimente la permaculture dans la vigne. Celle-ci s’étend sur 24 hectares, à la porte du bourg de Lansargues, dans l’Hérault.
En 2006, François Ducrot intègre l’Enclos de la Croix. Deux ans plus tard, avec le propriétaire, François Frézoul, ils passent en agriculture biologique. L’idée «d’une agriculture plus durable et plus respectueuse de l’environnement » motive les deux hommes. Pour aller plus loin, ils se tournent vers le concept de la permaculture. «Pour moi, la permaculture c’est des techniques agricoles qui permettent une agriculture permanente et résiliente », explique l’intéressé. Allier permaculture et vigne demande de repenser le fonctionnement du vignoble. Un long cheminement que François Ducrot présente au chaud, dans la boutique du domaine. Un abri opportun au vu des trombes d’eau qui tombent en cascade, ce dimanche matin de janvier. S’aventurer dans la vigne, c’est un bon rhume assuré à la sortie de la visite. On ne verra donc pas les premiers arbres plantés il y a quatre ans, au cœur du domaine, afin de diversifier l’écosystème du lieu.
« On est cartésiens »
La diversification des cultures est un des principes clés de la permaculture. Elle fait partie du cheminement « cartésien » imaginé par le vigneron. En effet, il n’y a pas de philosophie de vie ou d’éthique proclamées dans la permaculture du viticulteur qui préfère se définir comme un environnementaliste plutôt qu’un écologiste. « On n’est pas des babacools qui fument de la moquette. On est plutôt cartésiens », ajoute-t-il. Il ne suit pas à la lettre les préceptes des « fondateurs » de la permaculture, qui y voient un système basé sur trois principes éthiques : prendre soin de la Terre, prendre soin de l’Homme et gérer équitablement les ressources. C’est dans les techniques agricoles qu’il faut chercher l’influence de la permaculture sur sa vigne.
Les arbres s’invitent en vigne
Les giboulées qui tombent ce matin-là sont une aubaine pour le vigneron. « Avec la sécheresse, la pluie est plus que la bienvenue ! » se réjouit-il. Mais le terrain sec et compact empêche l’eau de pénétrer en profondeur dans le sol. Avec leurs racines, les arbres « ouvrent » le sol et aident la terre à garder la précieuse eau. Et ils ont bien d’autres avantages : « Le vers de grappe et sa « transformation », le papillon sont les ennemis jurés de la vigne. Qu’est ce qui les mange ? Les oiseaux et les chauves-souris ! Mais où ils vivent ces animaux ? Dans les arbres ! Donc on plante des arbres. »
Mais pas n’importe lesquels, des cormiers, pour leur grande taille, appréciés des chauve-souris, et pour leur valeur : « C’est du bois d’œuvre qui se vend très cher !».
Pour financer ces travaux, le domaine a touché des subventions: 5000€ de la région Occitanie et 15 000 avec la fondation AccorHotels. Ces grands arbres apporteront aussi de l’ombrage aux plantations. « On a rajouté des abricotiers dans les rangs de vigne pour remplacer les pieds perdus. Là, il n’y a pas d’explication. C’est juste qu’on aime bien les abricots ». Peut-être pas si cartésien notre viticulteur finalement.
Mais revenons à nos moutons …« C’est pour éviter de passer la tondeuse au tracteur et ça enrichit la terre de leurs excréments », reprend l’intéressé. Ils descendent des Cévennes en hiver, pour pâturer dans la vigne, lorsqu’elle a perdu sa feuille et son raisin. Le domaine a dû s’adapter à ces nouveaux arrivants en installant 3km de clôture. Mais une petite brèche peut s’avérer fatale : « Une fois, notre potager a subi de gros dégâts et certains oliviers aussi ». Le viticulteur apprécie tout de même ces bêtes blanches et regrette qu’elles « ne puissent pas venir cette année, il n’y a pas d’herbe à cause de la sécheresse».
Le cheval, lui, pourra se déplacer. Le voisin Richard Sabde, vient labourer la moitié de la vigne, 12,5 hectares, au printemps et en hiver. « Cela permet un travail de précision. Nous perdons beaucoup moins de pieds et la terre n’est pas tassée comme elle le serait avec un tracteur. » Cette technique de labour est un investissement important, puisqu’elle nécessite trois fois plus de temps qu’un passage de tracteur.
« On fait des expérimentations »
Si pour les arbres, le Domaine de l’Enclos de la Croix s’est inspiré de pratiques déjà existantes dans l’agroforesterie, l’ail et les fèves sont des innovations maison. « On espère que l’ail va repousser certains ravageurs de la vigne, tout comme les fèves et ceci fera un revenu supplémentaire pour le domaine. » Ces plantations devraient permettre de diminuer l’utilisation du cuivre qui sert à contrer les éventuelles maladies. « En effet, le cuivre limite le développement de champignons qui sont très bons pour le sol ». Et un sol équilibré, c’est une vigne en bonne santé.
Un plus pour la communication
« Dans une bouteille, c’est 50% de vin et 50% d’image », explique François Ducrot, au début de la conversation. La permaculture, en plus de rendre la vigne résiliente et durable, donne une valeur ajoutée à son vin. « Jusqu’ici, dans la région, on avait du bon vin mais une mauvaise communication. On essaye d’apporter la seconde ». Même si ça n’est pas dit explicitement, le pari fou de la permaculture est aussi un pari pour permettre à son vin de se démarquer.
De la « vraie » permaculture ?
Certains spécialistes ont du mal à qualifier les pratiques du Domaine comme de la permaculture. Joint par téléphone, Christian Dupraz chercheur en agroforesterie à l’INRA et conseiller régional écologiste, définit la permaculture comme « un système d’agriculture, qui permet des rendements intensifs sur une petite surface, en associant les cultures, sans utiliser d’engins motorisés, qui s’applique surtout au maraîchage». Lui-même précise qu’il n’est pas spécialiste sur le sujet, avant d’ajouter : « En permaculture, il faut environ une personne pour s’occuper d’un hectare et demi ». Ceci ne correspond donc pas exactement au Domaine de l’Enclos de la Croix, qui s’étend sur 24 hectares et qui utilise encore des engins motorisés. Mais la pratique de l’élevage, l’utilisation du cheval et les associations de cultures se rapprochent, tout de même, de l’idée générale de la permaculture.
« On verra dans cinq ans »
Quatre ans après la plantation des premiers arbres, il est encore trop tôt pour constater une évolution majeure sur la qualité du sol ou du raisin. Mais François Ducrot est loin de désespérer : « Ça prend du temps à se mettre en place, mais je suis persuadé que ça va payer ! ».
Les espoirs naissent dans le jardin : «Nos tomates du potager en permaculture sont magnifiques ! ». Pour la vigne, il va falloir attendre quatre à cinq ans, le temps que les arbres poussent et que l’équilibre s’installe.
De l’entrée du Domaine, on devrait alors apercevoir des feuillus de toutes tailles au milieu des rangs de vignes. Et à scruter de plus près, on pourra sentir les plantes aromatiques qui accompagneront ail et fèves entre les pieds de raisins. Espérons qu’à ce moment-là, le soleil se joigne à la visite.