Créé par décret, le logiciel Edvige permet de ficher les mineurs dès l’âge de treize ans.

La création du fichier Edvige (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) a suscité hier de nombreuses réactions, dans le milieu politique mais aussi associatif et syndical. Le Syndicat de la magistrature (classé à gauche) a annoncé qu’il examinait « toute forme d’action juridique pour empêcher sa mise en œuvre. »

Ce fichier informatique, crée par un décret publié le 1er juillet au Journal officiel, permettra aux agents de la Direction centrale de la sécurité publique de collecter des informations sur les personnes « ayant exercé ou exerçant, un mandat politique, syndical ou économique » ainsi que celles qui ont un rôle « institutionnel, social ou religieux significatif. »

« En clair, tous les citoyens ayant un jour souhaité s’investir pour leur cité », s’insurge le Syndicat de la magistrature. Ce logiciel autorisera la collecte de « données à caractère personnel » de tout individu ou organisation « susceptibles de porter atteinte à l’ordre public. »

En plus des informations ayant trait à l’état civil de la personne, de ses coordonnées physiques, téléphoniques et électroniques, le décret donne la possibilité de cataloguer « les données fiscales et patrimoniales » des individus soupçonnés. Qu’ils aient des antécédents judiciaires ou non.

Évoquant « les mutations affectant la délinquance juvénile », le gouvernement justifie l’inclusion des mineurs âgés de plus de treize ans dans ce fichier, et ce en dépit de l’excuse de minorité. Jusqu’à présent, les mineurs pouvaient être fichés mais seulement en cas d’infractions.

Selon la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ce catalogage nécessite « l’adoption de garanties renforcées. » Quant au principal syndicat d’éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (SNPES-PJJ/FSU), il dénonce une « conception sécuritaire du gouvernement. »

De son côté, la Ligue des droits de l’homme accuse le logiciel d’incompatibilité avec l’État de droit, le qualifiant de « redoutable extension du fichage politico-policier des citoyens. »

La gauche a également exprimé son indignation, notamment la LCR, qui a estimé que le fichier n’était que l’un des éléments de « l’espionnage généralisé de la population. »


« Contraire à la Convention des droits de l’enfant »

« Un joli nom pour une mesure plus que préoccupante », lâche spontanément l’avocate montpelliéraine Dorothée Le Fraper du Hellen. Mais l’heure n’est pas à la plaisanterie. La spécialiste en droit européen des droits de l’homme est inquiète. Le texte du décret est ambigu lorsqu’il désigne ceux qui pourront être fichés sur Edvige : « les personnes susceptibles de porter atteinte à l’ordre public. »

Les notions de susceptibilité et d’ordre public sont floues. L’avocate annonce un danger potentiel d’atteinte à la vie privée de façon générale, mais elle s’inquiète principalement du sort fait aux mineurs de plus de treize ans.

Sans doute parce qu’elle préside l’association L’avocat et l’enfant, elle est en mesure de constater la mise en place d’une « logique de sanction et de répression qui tend à vouloir considérer les mineurs comme des majeurs. » L’application des peines planchers aux mineurs de plus de seize ans, et maintenant la possibilité de collecter des informations sur les mineurs de plus de treize ans, pousse la magistrate à avouer : « On ressent une volonté de baisser la majorité pénale. »

Me Le Fraper du Hellen s’interroge sur l’utilisation qui sera faite du fichier informatique. D’après l’avocate, Edvige est en contradiction avec la Convention internationale des droits de l’enfant qui estime que le degré de maturité du mineur diffère de celui de l’adulte, et lui donne droit à une législation spécifique.

D’un point de vue national, le fait que des mineurs de plus de treize ans soient concernés va à l’encontre de l’esprit de l’ordonnance de 1945 qui fait primer l’éducatif sur le répressif, le pédagogique sur le punitif. Si la mesure alarme aussi au sein de la magistrature, elle ne passera pas non plus inaperçue aux yeux des philosophes sensibilisés à cette problématique depuis le Surveiller et punir de Michel Foucault.