Pour sa troisième édition, le festival a retenu le thème « Orient et Occident ». Financé par la Région et en partenariat avec le réseau culturel Terre catalane et le centre Lo Cirdoc, l’ensemble des manifestations est avant tout le fruit du travail de près de cinquante artistes, unifiés tant par le label Trob’art Productions que par leur amour commun de la mélodie et du verbe.
Les jongleurs de mots présenteront plus de quarante concerts, dans des langues et avec des instruments aussi variés que méconnus : bombarde, chalémie, vielle ou harpe… Les chantres de l’amour courtois feront vibrer cloîtres et ciels dans les cinq départements du Languedoc-Roussillon. Aubades et sérénades seront jouxtées de conférences et d’expositions sur l’art de trobar et plus largement sur le Moyen-âge de notre région. Des rencontres pédagogiques sont également prévues.
La langue, matière première des bardes et ménestrels
Ladino, galicien, langue d’Oïl et langue d’Oc seront mis à contribution. En pleine période d’ébullition entre 1100 et 1130 en Limousin, l’art de trobar se répand en Aquitaine et simultanément en Provence et en Languedoc. La magie linguistique opère ensuite dans le bassin méditerranéen, en Italie puis en Espagne et au Portugal avant de traverser les eaux et les temps.
Bien que son identité s’unifie dans la langue d’Oc, il est dans la nature du troubadour de s’ouvrir à d’autres champs lexicaux et franchir les ponts idiomatiques. Ce qui offre aux héritiers de Guillaume IX de Poitiers des possibilités sonores et sémantiques toujours plus novatrices, comme en témoigne le spectacle Troubadours caravane.
« Trouveurs de mots et de sons uniques »
Entretien avec Gérard Zuccheto, directeur artistique du festival. Troubadour depuis 1981.
Comment définiriez-vous l’entité « troubadour » ?
« D’abord par son étymologie. « Trobar » en occitan signifie trouver au sens d’inventer. Le troubadour trouve des mots, des sons et des mélodies uniques ; il ne se répète pas. Sa poésie peut être chantée ou parlée. Il y a aussi une très forte identité culturelle des troubadours unifiée par la langue d’Oc. Au delà, les troubadours véhiculent des valeurs laïques et humanistes. Leur art est fondé sur la notion essentielle de liberté. Ils portent un regard critique sur la société et sur le pouvoir politique et ils ne connaissent pas la censure. Se moquant des limites géographiques ; ils peuvent se retrouver à n’importe quel endroit du monde pour se rencontrer et échanger leurs interprétations.
Comment cet art du Moyen Âge survit-il à la modernité ?
Il y a aujourd’hui un réel intérêt pour cet art, d’abord pour la rythmique et la modernité des textes et des thèmes abordés. Les sujets sont sociétaux. Concernant l’amour ou plus largement le sentiment amoureux, les troubadours considèrent que les hommes et les femmes sont égaux dans la société et qu’ils doivent donc entretenir des rapports basés sur l’équité. L’homme se demandant d’où il vient trouve des pistes de réponses dans l’art de trobar, qui survit à la modernité. Ce sont les troubadours qui ont inventé le rap, et le slameur Grand corps malade est un troubadour. Il y a à l’heure actuelle une vraie demande à laquelle nous tentons de répondre.
Quelles sont les particularités de ce festival ?
Evidemment les lieux magnifiques où nous nous produisons ajoutent aux représentations une dimension émotionnelle et acoustique exceptionnelle, par exemple le site médiéval de Cabrerolles. Les troubadours font souvent allusion à l’art architectural, pictural, ou sculptural. Par exemple Bernard Marti, « le peintre », ou encore Arnaud Daniel, le « sculpteur de mots et de sons ». On trouve dans l’histoire des troubadours une tradition orale mais aussi manuscrite, comme en témoignent les enluminures. Ici, l’art roman sera à l’honneur et c’est la spécifité du festival, mais ce sont surtout la qualité et la diversité des artistes mobilisés qui participent à la richesse et au caractère atypique de la manifestation. »
Rencontre avec Sandra Hurtado-Ros du duo Erransa
« J’ai eu un coup de foudre mélodique »
Sandra Hurtado-Ros fait partie du duo Erransa avec Véronique Condesse-Bonnevide qui l’accompagne à la harpe. La musicienne chante depuis plus de vingt ans, et cela fait maintenant six ans qu’elle prête sa voix de soprano à l’art de trobar : « J’ai toujours aimé la musique, toutes sortes de musiques. Mais en découvrant l’art de trobar, j’ai eu un coup de foudre mélodique. » Au delà des attraits sonores et sensibles, elle a été attirée par les valeurs transmises par les troubadours : « l’égalité des hommes et des femmes dans leur condition humaine, mais surtout la communion, le fait que différentes cultures puissent ainsi se confronter et s’enrichir dans le partage et la convivialité. » Respect de l’être et respect de la nature sont aux fondements de l’art de trobar.
Lors du festival, Sandra chantera en vieux castillan, en ladino : « L’occitan étant très proche de l’espagnol, c’est comme si je chantais dans ma langue maternelle, et c’est un plaisir. » Les récitals seront donc l’occasion de découvrir le duo Erransa ainsi que les chansons séfarades interprétées par Sandra Hurtado-Ros. Issues de la musique populaire en vogue dans les communautés juives en Espagne avant la chute de Grenade en 1492, ces chants content le quotidien d’un peuple déraciné. A écouter sans modération.