Bertrand Cantat, l’indésirable

Par le 12 décembre 2017

Quatorze ans après le meurtre de sa compagne Marie Trintignant, l’ex-leader de Noir Désir signe un premier album solo, sorti le 1er décembre. Diffuser Bertrand Cantat, un homme au comportement violent envers les femmes ? La question ne laisse personne indifférent. Reportage au sein d’une radio et d’un grand disquaire.

« Et Snoop Dogg ? Il a tué un mec dans le ghetto ! Et pourtant on passe ses chansons sans se poser de questions ! » « Oui mais là Bruno, c’est différent. » À la radio associative montpelliéraine Divergence FM, la discussion est animée entre le programmateur musical, Bruno Bertrand, et son président, Alain Vacquié. Les avis divergent sur une question : faut-il diffuser ou non Bertrand Cantat ?

Quatorze ans après le meurtre de Marie Trintignant, l’ancien meneur du mythique groupe de rock Noir Désir marque un retour musical et médiatique forcément passionnel avec la sortie, début décembre, d’un premier album – « Amor Fati » – sous son propre nom.

Alain Vacquié poursuit. Selon lui, cette comparaison avec le rappeur américain est maladroite. Dans le cas de Cantat, ce n’est pas une histoire de règlement de compte : « La victime est identifiée. C’était sa compagne et il l’a tabassée à mort ! Même si j’aimais ce qu’il fait, je ne le passerais pas. Diffuser ce type, c’est en faire la promotion. Je ne veux pas donner la parole à un assassin ! » « Et lui rapporter du fric… », complète le programmateur. Silence. « Mais il a purgé sa peine… » « Certes, mais là, il y a un problème de déontologie ». Un problème qui s’inscrit dans un contexte d’une ampleur inédite.

Un nom qui ne passe pas

Le retour en solitaire de Cantat, sur fond d’affaire Weinstein et de libération de la parole des femmes sur les questions de violence et harcèlement sexuel, invite à la réflexion. N’y aurait-il pas une contradiction à valoriser un homme dont la brutalité envers la gente féminine a été avérée, au moment de discours politiques prononcés à la suite de ces révélations en cascade ?

« Dans ce cas, la question doit aussi se poser pour Joey Starr ? » qui a frappé une hôtesse de l’air à Montpellier et a été [condamné à plusieurs reprises à de la prison ferme pour violences conjugales, ndlr], questionne le salarié. « Tu as lu l’interview de Cantat dans Les Inrocks ? Il ose se faire passer pour une victime ! À sa place, je me ferais oublier ! », rétorque Alain Vacquié. « C’est vrai… », concède Bruno Bertrand. Silence. « En fait, c’est toute la difficulté de savoir s’il faut distinguer l’homme de l’artiste, continue-t-il. C’est tellement compliqué de répondre par oui ou par non, d’avoir un avis tranché. C’est un débat sans fin ». Quoi qu’il en soit, concernant Bertrand Cantat, les choses sont claires depuis le début pour le programmateur musical : « Je ne le passerai pas puisque musicalement, je n’aime pas ».

Pratique. Mais si c’était l’inverse ? « Je ne sais pas… Je ferais probablement du cas par cas. Je ne diffuserais pas les chansons dans lesquelles il ferait référence à son crime de façon détournée ». Un potentiel conflit musicalo-éditorial avec le président de la radio ? Non car « je garde mon opinion personnelle pour moi, explique ce dernier. Je n’aurais pas empêché Bruno de le diffuser. C’est à l’appréhension de chacun. Mais il faut se poser la question. »

Ce qui est certain, c’est qu’elle ne se pose pas pour Noir Désir : « Aucun problème ! ». Les deux hommes sont au diapason. « Noir Désir, ce n’est pas Bertrand Cantat », un nom synonyme de violence. Un nom qui ne passe pas. Le noeud du problème.

Et côté disquaires, les cas de conscience ont-ils été similaires ? Direction la Fnac de Montpellier.

« Oui, je me suis posé la question »

Rayon musique. Le rockeur ne figure ni dans les « Nouveautés », ni dans les « Idées cadeaux ». Peut-être sera-t-il parmi « Les 10 albums de l’année sélectionnés par les disquaires de la Fnac » ? Bingo. Il faut tout de même balayer du regard les deux étages du présentoir avant de tomber sur la pochette aux nuances sombres. Sur une étiquette descriptive du produit – qui a été cachée derrière celle de U2 – un paragraphe de quelques lignes : « Bertrand Cantat effectue un retour très attendu avec ce nouvel album solo (…). Cet opus, qui n’échappera pas à la polémique, met le doigt sur plusieurs sujets politiques ».

Un aveu implicite de la légitimité du débat ? « Oui je me suis posé la question, avoue, un peu hésitante, l’une des deux responsables du rayon musique qui préfère conserver l’anonymat. Ou je ne mets pas du tout l’album, ou bien je le mets en rayon, mais pas surexposé. Là, il est simplement à la vente » [La Fnac ne donne aucune consigne nationale quant à la disposition des rayons de chaque magasin et laisse carte blanche à ses vendeurs, ndlr]. Sourire gêné, un hochement de tête, comme si elle en avait déjà trop dit. « Mais je ne dirai rien de plus, je suis désolée ».

On retrouve également l’album au rayon «Variétés françaises ». L’unique place qu’il y occupe à la cinquième rangée est loin d’être avantageuse. Pour Cantat, tourner une page noire de sa vie par la grâce du public ne reste pour l’heure qu’un simple désir.

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à propos de l'auteur

Auteur : Sounkoura-Jeanne Dembele

De Besançon à Francfort, de Francfort à Montpellier, de Montpellier à Carhaix et Quimper, ailleurs et ici, les frontières et la distance n’ont jamais représenté quelconques barrières dans la poursuite de mon rêve d’enfance : celui de devenir journaliste. Pas encore sortie du confort bisontin, je me suis tout d’abord tournée vers des études de Langues étrangères appliquées, anglais, allemand et chinois. Mais à la suite de ces trois années d'insouciance, j’ai réalisé que ce qu’il manquait à mon CV, était l’expérience. Éprise de l’Allemagne après y avoir passé la dernière année de mon cursus, j’ai décidé d’y rester, avec l’objectif de concilier perfectionnement linguistique et découverte de la sphère journalistique. Cinq mois passés au sein du pure-player lepetitjournal.com/francfort ont ainsi scellé mon appétence et ma passion pour la plume. En plus d’en ressortir fermement convaincue de vouloir continuer sur cette voie, j’en suis ressortie riche d’une véritable expérience de terrain. Quelques mois plus tard, je pose mes valises à Montpellier pour y suivre des études de science politique. Curieuse compulsive et toujours partante pour découvrir le monde médiatique dans sa pluralité, je m’adonne une nouvelle fois à la presse locale à Midi Libre et m’essaye à la radio associative au sein de Radio Campus Montpellier durant toute une année. À ce jour, je partage mon temps entre théorie en Master 2 Journalisme et empirisme à travers mon contrat de professionnalisation au quotidien Ouest-France. Apprendre et transmettre, découvrir et faire découvrir d’autres réalités, mettre en lumière des personnes restées dans l’ombre, s’enrichir et enrichir intellectuellement,... aujourd’hui, je saisis tout le sens des mots de Bernard Pivot : « Le journaliste est un interprète de la curiosité publique ».