Arrêtons-nous aujourd’hui sur le rôle des méchants dans James Bond. Loin d’être anecdotiques, ces derniers font clairement partie du succès de chacun des films. Mais l’intérêt du méchant dépasse bien souvent le simple cadre cinématographique. L’ennemi de l’agent secret est, en quelque sorte, le reflet de l’évolution des peurs et préjugés de la société britannique. Si l’on fait état du statut des méchants dans James Bond, le constat est saisissant : chacun d’entre eux ou presque est lié au contexte géopolitique ou économique du Royaume-Uni.
La menace du « SPECTRE »[[Service pour l’espionnage, le contre-espionnage, le terrorisme, la rétorsion et l’extorsion]]
Certes le premier film, James Bond contre Dr No, relève particulièrement de l’anticommunisme. Un scientifique sino-allemand (Julius No), retranché sur une île, a pour projet de détruire le monde en détournant des missiles. Cela n’est pas sans rappeler la crise des missiles de Cuba de 1962, année de la sortie du film. Cependant, suite à l’apaisement entre les deux blocs dans les années 1960 et 1970, 007 se retrouve confronté aux membres du « SPECTRE ». Cette organisation internationale terroriste vise à détruire les deux superpuissances pour dominer le monde, rien que cela. Ainsi retrouve-t-on l’incontournable Ernst Stavro Blofeld, Polonais d’origine et ennemi juré de James Bond. Le « SPECTRE » est une organisation qui n’est pas liée à un État en particulier. Ses membres sont majoritairement issus du Tiers-Monde. Rappelons que nous sommes en pleine période de décolonisation, et que, dans ce contexte, la société britannique voit son empire se déliter. De fait, le Royaume imagine sa souveraineté menacée. Quoi de plus réconfortant que de fomenter le mythe d’un espion qui corrige à sa manière les atteintes à la souveraineté britannique tout en restant fidèle à sa Majesté… C’est ainsi que l’on retrouve Bond en 1964, dans Goldfinger face à des « Chigroes », un mélange grotesque entre « chinois » et « nègres ». Le « SPECTRE » est en quelque sorte le reflet d’une peur d’un ennemi invisible capable à lui seul de renverser l’ordre établi et l’équilibre fragile installé entre l’URSS et les États-Unis. Une peur clairement teintée de racisme.
Chocs pétroliers et apaisement
Les années 1970 voient l’économie occidentale mise à mal par les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Coïncidence ? Les grands méchants des trois James Bond qui sortiront à cette période sont de riches industriels : Karl Stromberg dans L’Espion qui m’aimait (1977) où 007 fait équipe avec une espionne russe, Hugo Drax dans Moonraker (1979) et Aris Kristatos dans Rien que pour vos yeux (1981). Une des répliques de ce dernier est d’ailleurs assez révélatrice. Bond, après avoir lancé un outil ultramoderne d’une falaise annonce à un gradé russe : « Vous ne l’avez pas, je ne l’ai pas non plus. C’est la détente camarade ! ». Les peurs en Grande-Bretagne sont dorénavant tournées vers l’économique et le cruel militaire à l’accent russe ne semble plus être l’ennemi par excellence, du moins jusqu’à la fin des années 1970.
Le retour du péril rouge
Ronald Reagan est élu président des États-Unis en 1980. Il fait installer un bouclier anti-missile aux États-Unis. La guerre froide est relancée avec un regain des tensions entre les deux blocs. Cette dernière est palpable à l’écran avec les trois nouveaux James Bond : Octopussy (1983), Dangereusement vôtre (1985) et Tuer n’est pas jouer (1987) où à chaque fois, l’ennemi principal est un Russe. Mais en 1989, le mur de Berlin chute et trois ans après l’Union Soviétique n’est plus. James Bond vient de perdre son meilleur ennemi…
Le danger vient de l’intérieur
Cet événement entraîne l’établissement d’un nouvel ordre mondial. L’identité de l’agent secret est mise à mal, car James Bond ne serait pas ce qu’il est sans ses ennemis. La machine s’enraye et peine à retrouver ce qui a fait son succès. Ce n’est qu’en 1995 que sort le nouvel opus, Goldeneye, où le méchant est cette fois un ancien agent britannique devenu terroriste. Voilà le nouveau Némésis de 007, le terroriste originaire de l’Occident devenu traitre en épousant une cause machiavélique. Le terroriste effraie à l’écran comme dans la réalité. Parallèlement, la figure du riche businessman, propriétaire d’une multinationale se développe (Elliot Carver dans Demain ne meurt jamais sorti en 1997.). James Bond retrouve l’image d’un agent luttant pour la sécurité du Royaume et contre l’injustice. Quantum of Solace (2008) se charge quant à lui d’utiliser un terrain neutre, la Bolivie, pour faire référence à la menace du terrorisme islamiste. Un entrepreneur, Dominic Greene (Mathieu Amalric), s’accapare des ressources naturelles (eau et pétrole) tout en entretenant des relations avec des politiciens américains. Tout cela n’est pas sans rappeler les relations entre Ben Laden et Bush d’autant que Greene (green : « vert » en anglais) évoque la couleur de l’Islam.
C’est Javier Bardem qui jouera le rôle du prochain méchant dans Skyfall. Peu d’informations sont disponibles pour l’heure sur le personnage qu’il portera à l’écran. Néanmoins, il est fort à parier qu’une nouvelle fois, James Bond fera face à un homme incarnant ce qui est perçu comme étant le « Mal » par nos sociétés. Un manichéisme qui a permis 50 ans de succès aux romans de Ian Flemming et à ses adaptations cinématographiques.
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