Le 15 décembre 2008, une pétition hors du commun a été mise en ligne sur un site internet turc. ÖzürDiliyoruz.com abrite en effet un texte écrit par quatre intellectuels turcs (Cengiz Aktar, Ali Bayramoglu, Ahmet İnsel et Baskın Oran) : « Ma conscience ne peut accepter que l’on reste indifférent à la Grande catastrophe que les Arméniens ottomans ont subie en 1915 et qu’on la nie. Je regrette cette injustice, et pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes frères et sœurs arméniens et je leur demande pardon. »
Le génocide arménien est un des sujets les plus polémiques et sensibles des relations internationales. Le terme « génocide » est en lui-même déclencheur d’âpres débats entre négationnistes convaincus et défenseurs de la cause arménienne.
La Turquie refuse catégoriquement de reconnaître la moindre responsabilité dans les massacres perpétrés contre les Arméniens en 1915. Pour l’État turc, il n’y a pas eu de génocide.
Mais pour mieux comprendre, il faut revenir cent ans en arrière.
En 1909, ceux qu’on appelle les « Jeunes-Turcs » veulent coûte que coûte moderniser l’empire Ottoman qui est constitué de nombreuses ethnies et religions. A la fin du XIXème siècle, on compte deux millions d’Arméniens, de confession chrétienne.
Les discours des Jeunes-Turcs sont emprunts d’un nationalisme exacerbé. Pour construire un nouvel État, il est nécessaire selon eux de « purifier » la « race » turque. C’est ainsi que commence le génocide des Arméniens d’Asie Mineure.
Dans un premier temps, les Jeunes-Turcs font déplacer les populations arméniennes. Les marches se déroulent dans des conditions épouvantables et sont la cause de nombreux morts.
En Occident, ces événements émeuvent l’opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires. On est en effet en pleine Première Guerre mondiale.
C’est pourquoi, encore aujourd’hui, la plupart des Turcs se refusent à parler d’un génocide.
Comme l’explique Özge, jeune istanbuliote : « Pour les gens, les morts sont le résultat du déplacement, et non pas d’un génocide. D’ailleurs l’argument est souvent de dire qu’il y a eu des morts chez les Turcs aussi ! Mon mari m’a même demandé : Les Arméniens ont-ils fait une lettre d’excuse, eux ? »
Pourtant, les deux tiers de la population arménienne disparaissent pendant l’été 1915.
Les Arméniens n’ont jamais oublié les massacres et se battent depuis lors pour la reconnaissance de ce génocide.
Dans l’actualité récente, ce sont les négociations européennes pour l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne qui ont relancé le débat. En effet, l’UE avait envisagé la reconnaissance du génocide comme une condition pour l’intégration de la Turquie.
Pour les Turcs, c’est une condition hypocrite :
« Les Européens se servent de cette condition comme excuse pour ne pas accepter la Turquie dans l’Europe. Ils savent très bien que le gouvernement turc ne reconnaîtra jamais le soi-disant génocide. » S’exclame Bahar, Française d’origine turque.
Question brûlante : pourquoi la Turquie s’obstine t-elle à nier le génocide, alors que des historiens et des rescapés ont pu prouver catégoriquement son existence ?
Tout d’abord, si l’État turc reconnaissait le génocide, il serait contraint de verser des « dommages et intérêts » aux Arméniens (comme l’Allemagne après la Shoah), ce qui représenterait un coût très lourd pour le pays.
Ensuite, et c’est plus grave, le pays serait sans doute amené à restituer des territoires à l’Arménie, territoires qui avaient été promis aux Arméniens avant le génocide.
Enfin, la négation de ce génocide est un moyen de garder intacte « l’identité nationale » turque, déjà malmenée ces derniers temps par le conflit entre laïcs acharnés et islamistes convaincus.
Le génocide arménien reste donc un sujet plus que tabou pour la Turquie ainsi que pour les puissances internationales. Celles-ci hésitent encore à reconnaître officiellement le génocide, de peur de froisser leurs relations avec l’État turc.
A noter qu’Israël a toujours refusé de reconnaître le génocide afin de conserver les relations privilégiées qu’elle entretient avec cet État, dont la population est majoritairement musulmane.
Cette pétition est donc une première pour la Turquie. Première qui ne semble pas bien vécue par la majorité des Turcs. La classe politique estime qu’une telle initiative sabote la paix nationale.
Malgré tout, il semble que l’impact de cette pétition soit moindre sur la population.
Özge le confirme : « Je ne pense pas que la pétition va faire bouger les choses, il faudrait plutôt former un groupe de réflexion, composé de personnes des deux côtés. Ici, les gens s’en fichent plutôt, ce n’est pas vraiment d’actualité. »
Selon le site Internet d’Europe 1, la pétition a tout de même recueilli 27.000 signatures à ce jour.
Rappelons que la Turquie ne fait pas figure d’exception. D’autres génocides n’ont malheureusement jamais été reconnus par les États fautifs.
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