« The Cut – la blessure » : une odyssée arménienne

Après cinq ans d’absence, « The Cut – la blessure » marque le retour au premier plan du réalisateur germano-turc Fatih Akin. Ce dixième long métrage aborde un sujet peu traité et délaissé par le cinéma : celui du génocide du peuple arménien en 1915. A travers l’odyssée d’un père de famille à la recherche de ses filles jumelles, il rouvre une page noire de l’Histoire turque dont les cicatrices ne sont pas fermées.

Retour aux origines

Ce film est le troisième volet de la trilogie sans thème du réalisateur. Ainsi, après « l’Amour » (Head On, 2004), « la Mort » (De l’autre côté, 2007), The Cut – la Blessure constitue « le Diable ». Cette œuvre renoue avec l’archétype des personnages torturés qui ont fait le succès de Fatih Akin. Perdus, en quête de leur identité (comme Çahit Tomruk, alcoolique paumé après le décès de sa femme dans Head On), ou à la recherche d’une personne perdue de vue (Nejat Aksu et Charlotte dans De l’autre côté), déracinés (tels les immigrés italiens de Solino) et plongés dans la tourmente (souvent au travers de road movies tels que Julie en Juillet, De l’autre côté, Head On), ils luttent éperdument avec leur destin.

Après avoir fait une « pause récréative » avec la comédie Soul Kitchen en 2009, Akin retourne vers un thème dramatique en s’emparant de la cause arménienne. Il met en scène une famille arménienne de Mardin (Turquie, près de la frontière syrienne) qui va être balayée par les évènements de 1915. Nazaret (Tahar Rahim), un forgeron, père de famille, est soudainement réquisitionné par l’armée turque pour effectuer des travaux forcés avec ses coreligionnaires. Séparé de sa femme et de ses jumelles, il va survivre bon-an mal-an dans un désert harassant de caillasses et de chaleur. Au bout d’une année, refusant de se convertir à l’islam, les forçats vont être exécutés par des prisonniers de droit commun agissant sous la contrainte de l’armée ottomane.
Nazaret réussit à échapper à cette terrible exécution. Mutilé au cou, il devient muet et se lance dans une quête effrénée : retrouver les survivantes de son foyer. Il entame alors une odyssée de sept années qui le mènera de la Turquie, au Liban, en passant par Cuba, et plusieurs régions des États-Unis (Floride, Minnesota, Dakota du Nord).

The Cut - La blessure

Chronique d’une violence universelle et intemporelle

Akin reste fidèle à un de ses fils rouges : la violence. Son utilisation permet de mettre en exergue les réactions de solidarité face aux atrocités perpétrées par l’envahisseur venu d’Anatolie. Même si dans sa course, Nazaret reçoit l’assistance de déserteurs de l’armée, d’Arabes sous le joug ottoman, de la diaspora arménienne, il va se heurter à une brutalité égale du Moyen Orient aux États-Unis. Opprimé à Mardin, il va subir la sauvagerie des fermiers du Mississippi à la gâchette facile, et la barbarie des cow-boys du Dakota qui, après maintes brimades, finiront par le passer à tabac et le laisser pour mort. Les actes du génocide, occultés notamment en Turquie, sont rappelés au gré du parcours de Nazaret : bagnes, exécutions de masse sommaires, déportations, viols, esclavagisme, camps de réfugiés… Des exactions prémonitoires de celles à venir en Europe en 1945 et qui renvoient également à une actualité brûlante dans cette région du Moyen-Orient (le massacre des Yézidis, des Chrétiens d’Orient, de Chiites par les milices de Daesh). Symbole de ces conflits oubliés, Nazaré le héros du film est muet la majeure partie du film.

Le pont, thème de prédilection

En cette année de commémoration du centenaire du génocide arménien (1,2 million de victimes), Fatih Akin ne pouvait réaliser meilleur pont entre deux nations qui continuent de se haïr 100 ans après. Si Julie en Juillet (2000) et De l’autre côté (2007) tentaient de rapprocher la Turquie de l’Europe au moment de sa candidature à l’entrée dans l’U.E, The Cut essaye d’établir une passerelle entre l’Histoire occultée de son pays d’origine et celle des Arméniens. En mettant en lumière la cruauté et la réalité de ces tueries de masse, il met les Turcs face à un pan de leur passé qu’ils récusent encore et toujours. Ne jetant pas d’huile sur le feu, il tente de tisser un lien de complicité et de fraternité avec les Arméniens en donnant la part belle aux personnages turcs résistants. Il dénonce le rôle prépondérant de l’armée de l’Empire, essayant de colmater les brèches en semant la terreur sur un immense territoire peuplé de minorités.

The Cut - la blessure

Trouvailles et art du clin d’œil

A regarder la composition cosmopolite de la distribution, pas forcément issue de la communauté arménienne, il était possible de s’interroger quant à la crédibilité des interprètes à tenir leur rôle. Ce défi est brillamment relevé par le réalisateur qui cantonne son héros, joué par Tahar Rahim, dans un rôle de muet. La chanteuse marocaine Hindi Zahra effectue quant à elle ses premiers pas devant la caméra et s’exprime surtout à travers son chant. Pas avare de violence, Fatih Akin offre quelques respirations bienfaitrices au spectateur dans sa plongée dans l’effroi. Ainsi, le truculent Simon Abkarian fait une apparition rafraîchissante, apportant soutien et un peu d’humour dans un univers implacable. Akin donne également une petite scène muette à son acteur fétiche Moritz Bleibtreu (L’Engrenage, Julie en Juillet, Solino, Soul Kitchen). Par un clin d’œil subtil, il rend hommage à un autre centenaire : celui de Charlie Chaplin en incluant un passage du Kid (1921) au cœur du récit. The Cut achève une trilogie, débutée il y a onze ans, et ouvre un nouvel horizon dans l’œuvre d’Akin désormais plus internationale que germano-turque. Un film à ne pas manquer en ce début d’année.

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Özür diliyorum, « Nous leur demandons pardon »

Une pétition lancée par des intellectuels Turcs relance un vieux débat douloureux sur le génocide arménien de 1915.

Le 15 décembre 2008, une pétition hors du commun a été mise en ligne sur un site internet turc. ÖzürDiliyoruz.com abrite en effet un texte écrit par quatre intellectuels turcs (Cengiz Aktar, Ali Bayramoglu, Ahmet İnsel et Baskın Oran) : « Ma conscience ne peut accepter que l’on reste indifférent à la Grande catastrophe que les Arméniens ottomans ont subie en 1915 et qu’on la nie. Je regrette cette injustice, et pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes frères et sœurs arméniens et je leur demande pardon. »

Le génocide arménien est un des sujets les plus polémiques et sensibles des relations internationales. Le terme « génocide » est en lui-même déclencheur d’âpres débats entre négationnistes convaincus et défenseurs de la cause arménienne.
La Turquie refuse catégoriquement de reconnaître la moindre responsabilité dans les massacres perpétrés contre les Arméniens en 1915. Pour l’État turc, il n’y a pas eu de génocide.
Mais pour mieux comprendre, il faut revenir cent ans en arrière.
En 1909, ceux qu’on appelle les « Jeunes-Turcs » veulent coûte que coûte moderniser l’empire Ottoman qui est constitué de nombreuses ethnies et religions. A la fin du XIXème siècle, on compte deux millions d’Arméniens, de confession chrétienne.
Les discours des Jeunes-Turcs sont emprunts d’un nationalisme exacerbé. Pour construire un nouvel État, il est nécessaire selon eux de « purifier » la « race » turque. C’est ainsi que commence le génocide des Arméniens d’Asie Mineure.
Dans un premier temps, les Jeunes-Turcs font déplacer les populations arméniennes. Les marches se déroulent dans des conditions épouvantables et sont la cause de nombreux morts.
En Occident, ces événements émeuvent l’opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires. On est en effet en pleine Première Guerre mondiale.
C’est pourquoi, encore aujourd’hui, la plupart des Turcs se refusent à parler d’un génocide.
Comme l’explique Özge, jeune istanbuliote : « Pour les gens, les morts sont le résultat du déplacement, et non pas d’un génocide. D’ailleurs l’argument est souvent de dire qu’il y a eu des morts chez les Turcs aussi ! Mon mari m’a même demandé : Les Arméniens ont-ils fait une lettre d’excuse, eux ? »
Pourtant, les deux tiers de la population arménienne disparaissent pendant l’été 1915.

Les Arméniens n’ont jamais oublié les massacres et se battent depuis lors pour la reconnaissance de ce génocide.
Dans l’actualité récente, ce sont les négociations européennes pour l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne qui ont relancé le débat. En effet, l’UE avait envisagé la reconnaissance du génocide comme une condition pour l’intégration de la Turquie.
Pour les Turcs, c’est une condition hypocrite :
« Les Européens se servent de cette condition comme excuse pour ne pas accepter la Turquie dans l’Europe. Ils savent très bien que le gouvernement turc ne reconnaîtra jamais le soi-disant génocide. » S’exclame Bahar, Française d’origine turque.

Question brûlante : pourquoi la Turquie s’obstine t-elle à nier le génocide, alors que des historiens et des rescapés ont pu prouver catégoriquement son existence ?
Tout d’abord, si l’État turc reconnaissait le génocide, il serait contraint de verser des « dommages et intérêts » aux Arméniens (comme l’Allemagne après la Shoah), ce qui représenterait un coût très lourd pour le pays.
Ensuite, et c’est plus grave, le pays serait sans doute amené à restituer des territoires à l’Arménie, territoires qui avaient été promis aux Arméniens avant le génocide.
Enfin, la négation de ce génocide est un moyen de garder intacte « l’identité nationale » turque, déjà malmenée ces derniers temps par le conflit entre laïcs acharnés et islamistes convaincus.
Le génocide arménien reste donc un sujet plus que tabou pour la Turquie ainsi que pour les puissances internationales. Celles-ci hésitent encore à reconnaître officiellement le génocide, de peur de froisser leurs relations avec l’État turc.
A noter qu’Israël a toujours refusé de reconnaître le génocide afin de conserver les relations privilégiées qu’elle entretient avec cet État, dont la population est majoritairement musulmane.

Cette pétition est donc une première pour la Turquie. Première qui ne semble pas bien vécue par la majorité des Turcs. La classe politique estime qu’une telle initiative sabote la paix nationale.
Malgré tout, il semble que l’impact de cette pétition soit moindre sur la population.
Özge le confirme : « Je ne pense pas que la pétition va faire bouger les choses, il faudrait plutôt former un groupe de réflexion, composé de personnes des deux côtés. Ici, les gens s’en fichent plutôt, ce n’est pas vraiment d’actualité. »
Selon le site Internet d’Europe 1, la pétition a tout de même recueilli 27.000 signatures à ce jour.
Rappelons que la Turquie ne fait pas figure d’exception. D’autres génocides n’ont malheureusement jamais été reconnus par les États fautifs.

Özür diliyorum, « Nous leur demandons pardon »

Une pétition lancée par des intellectuels Turcs relance un vieux débat douloureux sur le génocide arménien de 1915.

Le 15 décembre 2008, une pétition hors du commun a été mise en ligne sur un site internet turc. ÖzürDiliyoruz.com abrite en effet un texte écrit par quatre intellectuels turcs (Cengiz Aktar, Ali Bayramoglu, Ahmet İnsel et Baskın Oran) : « Ma conscience ne peut accepter que l’on reste indifférent à la Grande catastrophe que les Arméniens ottomans ont subie en 1915 et qu’on la nie. Je regrette cette injustice, et pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes frères et sœurs arméniens et je leur demande pardon. »

Le génocide arménien est un des sujets les plus polémiques et sensibles des relations internationales. Le terme « génocide » est en lui-même déclencheur d’âpres débats entre négationnistes convaincus et défenseurs de la cause arménienne.
La Turquie refuse catégoriquement de reconnaître la moindre responsabilité dans les massacres perpétrés contre les Arméniens en 1915. Pour l’État turc, il n’y a pas eu de génocide.
Mais pour mieux comprendre, il faut revenir cent ans en arrière.
En 1909, ceux qu’on appelle les « Jeunes-Turcs » veulent coûte que coûte moderniser l’empire Ottoman qui est constitué de nombreuses ethnies et religions. A la fin du XIXème siècle, on compte deux millions d’Arméniens, de confession chrétienne.
Les discours des Jeunes-Turcs sont emprunts d’un nationalisme exacerbé. Pour construire un nouvel État, il est nécessaire selon eux de « purifier » la « race » turque. C’est ainsi que commence le génocide des Arméniens d’Asie Mineure.
Dans un premier temps, les Jeunes-Turcs font déplacer les populations arméniennes. Les marches se déroulent dans des conditions épouvantables et sont la cause de nombreux morts.
En Occident, ces événements émeuvent l’opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires. On est en effet en pleine Première Guerre mondiale.
C’est pourquoi, encore aujourd’hui, la plupart des Turcs se refusent à parler d’un génocide.
Comme l’explique Özge, jeune istanbuliote : « Pour les gens, les morts sont le résultat du déplacement, et non pas d’un génocide. D’ailleurs l’argument est souvent de dire qu’il y a eu des morts chez les Turcs aussi ! Mon mari m’a même demandé : Les Arméniens ont-ils fait une lettre d’excuse, eux ? »
Pourtant, les deux tiers de la population arménienne disparaissent pendant l’été 1915.

Les Arméniens n’ont jamais oublié les massacres et se battent depuis lors pour la reconnaissance de ce génocide.
Dans l’actualité récente, ce sont les négociations européennes pour l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne qui ont relancé le débat. En effet, l’UE avait envisagé la reconnaissance du génocide comme une condition pour l’intégration de la Turquie.
Pour les Turcs, c’est une condition hypocrite :
« Les Européens se servent de cette condition comme excuse pour ne pas accepter la Turquie dans l’Europe. Ils savent très bien que le gouvernement turc ne reconnaîtra jamais le soi-disant génocide. » S’exclame Bahar, Française d’origine turque.

Question brûlante : pourquoi la Turquie s’obstine t-elle à nier le génocide, alors que des historiens et des rescapés ont pu prouver catégoriquement son existence ?
Tout d’abord, si l’État turc reconnaissait le génocide, il serait contraint de verser des « dommages et intérêts » aux Arméniens (comme l’Allemagne après la Shoah), ce qui représenterait un coût très lourd pour le pays.
Ensuite, et c’est plus grave, le pays serait sans doute amené à restituer des territoires à l’Arménie, territoires qui avaient été promis aux Arméniens avant le génocide.
Enfin, la négation de ce génocide est un moyen de garder intacte « l’identité nationale » turque, déjà malmenée ces derniers temps par le conflit entre laïcs acharnés et islamistes convaincus.
Le génocide arménien reste donc un sujet plus que tabou pour la Turquie ainsi que pour les puissances internationales. Celles-ci hésitent encore à reconnaître officiellement le génocide, de peur de froisser leurs relations avec l’État turc.
A noter qu’Israël a toujours refusé de reconnaître le génocide afin de conserver les relations privilégiées qu’elle entretient avec cet État, dont la population est majoritairement musulmane.

Cette pétition est donc une première pour la Turquie. Première qui ne semble pas bien vécue par la majorité des Turcs. La classe politique estime qu’une telle initiative sabote la paix nationale.
Malgré tout, il semble que l’impact de cette pétition soit moindre sur la population.
Özge le confirme : « Je ne pense pas que la pétition va faire bouger les choses, il faudrait plutôt former un groupe de réflexion, composé de personnes des deux côtés. Ici, les gens s’en fichent plutôt, ce n’est pas vraiment d’actualité. »
Selon le site Internet d’Europe 1, la pétition a tout de même recueilli 27.000 signatures à ce jour.
Rappelons que la Turquie ne fait pas figure d’exception. D’autres génocides n’ont malheureusement jamais été reconnus par les États fautifs.