GRAND ENTRETIEN – Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti  «Pour comprendre une société, il faut regarder les individus qui sont en marge »

Ils sont inséparables, depuis 2004, le couple franco-turc a réalisé ensemble une dizaine de films. Une complémentarité et un soutien mutuel à l’origine d’une filmographie riche qui s’interesse aux exclus et aux rapports entre les genres.

Pour cette 40 ème édition de Cinemed, vous présentez Sibel en compétition long métrage, quel lien entretenez-vous avec le festival ?

Guillaume Giovanetti : C’est la troisième fois que nous sommes présents à Cinemed. La première fois c’était pour les bourses d’aide au développement avec Nour en 2006 et puis il y a trois ans pour Sibel. C’est le premier festival à nous avoir fait confiance et donné de l’argent pour un long métrage.

Çagla Zencirci : Cinemed nous a offert du soutien concret, financier pour un projet qu’on a pu développer. C’est excellent. On adore le festival parce qu’ils ont compris qu’un réalisateur, il faut qu’il mature. C’est en faisant des films qu’il acquiert de l’expérience. Quand vous recevez ce soutien, vous avez la liberté d’avancer en tant que réalisateur de manière indépendante.

Dans Sibel, vous traitez de l’exclusion d’une jeune femme muette et du manque de solidarité qu’elle subit au sein de son village en Turquie.

CZ : Avec ce personnage féminin rejeté par la société dans son intégralité, on voulait montrer le manque de solidarité entre les femmes, une entraide qui est absente. Il y a une vraie violence qui existe, une forme de compétition entre les femmes. A l’inverse, les deux personnages masculins que nous avons créés, n’interfèrent pas dans les décisions de notre personnage principal. Ils la laissent totalement libre de ses choix, mais la soutiennent dans le chemin qu’elle souhaite entreprendre. C’est ce genre d’homme que l’on veut voir dans la vraie vie.

Est-ce un film politique ?

CZ : Nous ne nous sommes jamais définis en tant que réalisateurs politiques. Notre vie est politique, on ne peut pas s’en débarrasser. Mais on a toujours utilisé la politique comme un décor. On a essayé de voir quels sont les effets des politiques menées sur nos personnages qui ont toujours été des exclus. Nous pensons que pour comprendre une société, il faut regarder les individus qui sont en marge. Là vous avez une idée très très claire de la société en elle même.

Est ce pour cela que vous avez réalisé Ata en 2008, pour montrer les difficultés d’intégration, en France cette fois ?

GG: Nous avions rencontré par hasard un homme de la communauté ouïghoure (turcophone musulmane de l’Ouest de la Chine) il y a une quinzaine d’années en France. Il était sans papiers, dans un processus d’exclusion avec des difficultés pour parler le français. Nous nous sommes inspirés de son histoire. Le film traite de la rencontre entre ce personnage ouïghour, qui n’a par défaut rien à voir avec la société française, et une jeune Turque venue en France pour des raisons amoureuses, pas du tout pour des raisons politiques ou économiques. Son fiancé la laisse au début du film, elle se retrouve seule dans un pays étranger complètement désemparée.

C’est cette marginalité commune qui va rapprocher les deux personnages ?

GG : Oui, c’est la rencontre de deux individus qui n’ont à priori rien en commun. Ils découvrent que leurs deux langues se ressemblent, qu’ils peuvent communiquer. On a cherché à illustrer les difficultés d’intégration d’un certain nombre de personnes qui viennent de l’extérieur de la société française. Cela donne naissance à une resolidarisation de personnes qui sont dans la même situation. On voit des groupes se créer, des manières de fonctionner autres qui n’ont vraiment rien à voir avec la société française. Ce qui va favoriser le communautarisme. C’est un court métrage réalisé il y a dix ans, mais il a encore une actualité énorme. Les choses n’ont pas beaucoup changé.

Votre prochain film sera-t-il de nouveau un projet en commun ?

CZ : Oui, cela fait 15 ans que l’on travaille ensemble. Nous n’avons pas d’oeuvre séparée. On a appris à travailler ensemble. On ne peut pas faire de films seuls, on ne sait pas comment faire.

GG : On a développé nos automatismes, nos façons de faire. C’est un ping pong permanent. Sibel c’est notre dixième film. On a un autre projet en Turquie, toujours avec un personnage féminin au centre, plus urbain, un peu plus âgé cette fois. Le film sera axé sur la question de la famille et du rôle de mère qui est prédestiné pour la femme. C’est un road movie à travers la Turquie, l’histoire d’une femme qui laisse ses enfants à son mari parce qu’elle n’en peut plus. Elle va rencontrer un transexuel qui va lui donner une autre définition de ce que c’est d’être une femme.

Est-ce une manière d’interroger les représentations de genre ?

CZ : Dans notre travail, on essaie de questionner le positionnement de la femme, mais aussi de l’homme, parce que cela va ensemble. Il y a certains critères pour vraiment être considérée comme une femme. Si on ne les respecte pas, soit on n’est pas une femme, soit on est prise pour une folle. Est ce qu’une femme qui dit ouvertement qu’elle ne veut pas avoir d’enfants est totalement acceptée dans n’importe quelle société ? Jamais. Pourquoi elle ne voudrait pas d’enfants ? C’est une femme quand même, elle devrait en vouloir « normalement». Quand vous enlevez tous ces critères la femme évolue d’une tout autre façon, avec beaucoup de courage et sans peur.

GG : Ce sont des problématiques qui reviennent dans beaucoup de nos films. Ca va prendre des formes de questionnement sur l’identité sexuelle comme dans notre film Noor au Pakistan, ou sur le positionnement des femmes comme leader d’un groupe dans Sibel. De façon plus ou moins consciente, on traite aussi beaucoup de l’équilibre au sein du couple. Comment interagir et s’entraider, être solidaires l’un de l’autre ? Quels sont les rôles définis et les rôles à ne pas définir du tout ?

Propos recueillis par Léa Coupau et Camille Bernard

 

« The Cut – la blessure » : une odyssée arménienne

Après cinq ans d’absence, « The Cut – la blessure » marque le retour au premier plan du réalisateur germano-turc Fatih Akin. Ce dixième long métrage aborde un sujet peu traité et délaissé par le cinéma : celui du génocide du peuple arménien en 1915. A travers l’odyssée d’un père de famille à la recherche de ses filles jumelles, il rouvre une page noire de l’Histoire turque dont les cicatrices ne sont pas fermées.

Retour aux origines

Ce film est le troisième volet de la trilogie sans thème du réalisateur. Ainsi, après « l’Amour » (Head On, 2004), « la Mort » (De l’autre côté, 2007), The Cut – la Blessure constitue « le Diable ». Cette œuvre renoue avec l’archétype des personnages torturés qui ont fait le succès de Fatih Akin. Perdus, en quête de leur identité (comme Çahit Tomruk, alcoolique paumé après le décès de sa femme dans Head On), ou à la recherche d’une personne perdue de vue (Nejat Aksu et Charlotte dans De l’autre côté), déracinés (tels les immigrés italiens de Solino) et plongés dans la tourmente (souvent au travers de road movies tels que Julie en Juillet, De l’autre côté, Head On), ils luttent éperdument avec leur destin.

Après avoir fait une « pause récréative » avec la comédie Soul Kitchen en 2009, Akin retourne vers un thème dramatique en s’emparant de la cause arménienne. Il met en scène une famille arménienne de Mardin (Turquie, près de la frontière syrienne) qui va être balayée par les évènements de 1915. Nazaret (Tahar Rahim), un forgeron, père de famille, est soudainement réquisitionné par l’armée turque pour effectuer des travaux forcés avec ses coreligionnaires. Séparé de sa femme et de ses jumelles, il va survivre bon-an mal-an dans un désert harassant de caillasses et de chaleur. Au bout d’une année, refusant de se convertir à l’islam, les forçats vont être exécutés par des prisonniers de droit commun agissant sous la contrainte de l’armée ottomane.
Nazaret réussit à échapper à cette terrible exécution. Mutilé au cou, il devient muet et se lance dans une quête effrénée : retrouver les survivantes de son foyer. Il entame alors une odyssée de sept années qui le mènera de la Turquie, au Liban, en passant par Cuba, et plusieurs régions des États-Unis (Floride, Minnesota, Dakota du Nord).

The Cut - La blessure

Chronique d’une violence universelle et intemporelle

Akin reste fidèle à un de ses fils rouges : la violence. Son utilisation permet de mettre en exergue les réactions de solidarité face aux atrocités perpétrées par l’envahisseur venu d’Anatolie. Même si dans sa course, Nazaret reçoit l’assistance de déserteurs de l’armée, d’Arabes sous le joug ottoman, de la diaspora arménienne, il va se heurter à une brutalité égale du Moyen Orient aux États-Unis. Opprimé à Mardin, il va subir la sauvagerie des fermiers du Mississippi à la gâchette facile, et la barbarie des cow-boys du Dakota qui, après maintes brimades, finiront par le passer à tabac et le laisser pour mort. Les actes du génocide, occultés notamment en Turquie, sont rappelés au gré du parcours de Nazaret : bagnes, exécutions de masse sommaires, déportations, viols, esclavagisme, camps de réfugiés… Des exactions prémonitoires de celles à venir en Europe en 1945 et qui renvoient également à une actualité brûlante dans cette région du Moyen-Orient (le massacre des Yézidis, des Chrétiens d’Orient, de Chiites par les milices de Daesh). Symbole de ces conflits oubliés, Nazaré le héros du film est muet la majeure partie du film.

Le pont, thème de prédilection

En cette année de commémoration du centenaire du génocide arménien (1,2 million de victimes), Fatih Akin ne pouvait réaliser meilleur pont entre deux nations qui continuent de se haïr 100 ans après. Si Julie en Juillet (2000) et De l’autre côté (2007) tentaient de rapprocher la Turquie de l’Europe au moment de sa candidature à l’entrée dans l’U.E, The Cut essaye d’établir une passerelle entre l’Histoire occultée de son pays d’origine et celle des Arméniens. En mettant en lumière la cruauté et la réalité de ces tueries de masse, il met les Turcs face à un pan de leur passé qu’ils récusent encore et toujours. Ne jetant pas d’huile sur le feu, il tente de tisser un lien de complicité et de fraternité avec les Arméniens en donnant la part belle aux personnages turcs résistants. Il dénonce le rôle prépondérant de l’armée de l’Empire, essayant de colmater les brèches en semant la terreur sur un immense territoire peuplé de minorités.

The Cut - la blessure

Trouvailles et art du clin d’œil

A regarder la composition cosmopolite de la distribution, pas forcément issue de la communauté arménienne, il était possible de s’interroger quant à la crédibilité des interprètes à tenir leur rôle. Ce défi est brillamment relevé par le réalisateur qui cantonne son héros, joué par Tahar Rahim, dans un rôle de muet. La chanteuse marocaine Hindi Zahra effectue quant à elle ses premiers pas devant la caméra et s’exprime surtout à travers son chant. Pas avare de violence, Fatih Akin offre quelques respirations bienfaitrices au spectateur dans sa plongée dans l’effroi. Ainsi, le truculent Simon Abkarian fait une apparition rafraîchissante, apportant soutien et un peu d’humour dans un univers implacable. Akin donne également une petite scène muette à son acteur fétiche Moritz Bleibtreu (L’Engrenage, Julie en Juillet, Solino, Soul Kitchen). Par un clin d’œil subtil, il rend hommage à un autre centenaire : celui de Charlie Chaplin en incluant un passage du Kid (1921) au cœur du récit. The Cut achève une trilogie, débutée il y a onze ans, et ouvre un nouvel horizon dans l’œuvre d’Akin désormais plus internationale que germano-turque. Un film à ne pas manquer en ce début d’année.

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Erdoğan : Le stratège turc

Beaucoup de personnes se disent inquiètes aujourd’hui du modèle choisi par de nombreux gouvernements issus du Printemps arabe. Un modèle politique qui selon certains est directement inspiré du gouvernement turc de l’AKP (parti pour la justice et le développement, au pouvoir depuis 2002). Si du coté occidental on s’alarme de cette voie manifestement « islamique », ces craintes ne semblent pas pleinement justifiées.

Les déclarations du premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, sont souvent abruptes. Criminalisation de l’avortement, création de nouveau cours de religion pour les écoliers, débat sur le retour de la peine de mort en Turquie, sont les exemples d’un discours « islamiste » dénoncé par l’opposition.

Cependant, il semble qu’une autre lecture soit possible. « Erdoğan est affublé d’islamiste alors que sa politique s’approcherait plus du puritanisme à l’américaine », déclare un professeur de l’université Galatasaray. « Lorsqu’il demande aux familles de faire au minimum trois enfants, on le traite d’islamiste rétrograde. Mais cela peut aussi être analysé comme une volonté de prévenir le vieillissement de la population et les problèmes que cela a engendré en Europe ».
Les États-Unis ont connu une période où l’alcool était illégal, en Turquie il est seulement surtaxé. Il y a toujours les pro-life [[mouvement pour l’interdiction de l’avortement aux Etats-Unis]] qui ont un combat similaire et s’appuient sur les mêmes arguments. Cette tendance religieuse n’est pourtant pas décriée avec la même force.

La criminalisation de l’avortement n’a pas eu lieu. Mais par une déclaration provocante, le débat engendré a permis au chef du gouvernement de cerner les différentes opinions, les arguments contre et les opposants. « Il y reviendra peut-être, mais d’ici deux ou trois ans. Erdoğan fait trois pas en avant et deux et demi en arrière. Il ne revient jamais vraiment à la position de départ », continue le professeur. « Il semble qu’il tente de créer une génération puritaine, religieuse », ajoute-t-il.

Aydin, étudiant en science politique, se dit proche de mouvement de la gauche politique. Son discours est plus tranchant : « Erdoğan parle beaucoup, mais agit peu ». Selon lui, le premier ministre a les mains liées. L’héritage laïque de Mustafa Kemal est encore très important. De même, certains des excès de l’Etat, comme l’emprisonnement d’étudiants dans des conditions douteuses, amènent à une repolitisation des jeunes. D’où une opposition de plus en plus forte de la part de ces derniers.

Néanmoins cette voie politique fait peur. Erdoğan avance ses pions de manière audacieuse et cela lui réussi pour le moment, mais c’est un jeu risqué. « Si cela continue dans ce sens, nous partirons vivre à l’étranger. Nous ne voulons pas vivre dans un pays similaire à l’Iran. » confesse Kivanç, fonctionnaire et père de famille.

Istanbul entre dans le cercle des capitales européennes de la culture

Le 16 janvier 2010, Istanbul est devenue l’une des trois capitales européennes de la culture. Entre cérémonies festives et animations artistiques, ce pôle culturel annonce de nombreux projets durant l’année et révèle son patrimoine et son histoire. Cette désignation a également une dimension politique pour un pays dont le processus d’adhésion à l’Union Européenne, entamé en 2005, est refusé par plusieurs États membres comme la France et l’Allemagne.

« Il existe un décalage entre le discours de la Turquie et la réalité de ses relations avec Israël »

Barah Mikaïl, spécialiste du Moyen Orient est chercheur à l’IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques). Il revient sur les récentes critiques émises par la Turquie contre l’offensive de Gaza menée par Israël, son allié dans la région, en décembre 2008. Le Premier Ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a par ailleurs créé l’évènement lors du dernier forum économique de Davos de janvier 2009. Ce dernier avait alors dénoncé l’attitude de l’Etat hébreu en présence de Shimon Peres, Président d’Israël.

Les violentes critiques du Premier Ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, à l’encontre d’Israël marquent-elles un tournant dans les relations israélo-turques, réputées bonnes jusqu’à présent? Barah Mikaïl, chercheur à l'IRIS et spécialiste du Moyen Orient

Concrètement rien n’a changé. Les relations entre les deux pays se maintiennent tant sur un plan économique, politique que militaire. Il existe un décalage entre le discours turc et la réalité de ses relations avec Israël. Ce n’est pas en outre, la première fois qu’un dirigeant turc utilise un ton osé envers Israël. En 2004, alors que l’Etat Hébreu avait engagé une opération musclée contre les Palestiniens, la réaction de la Turquie avait été très violente. La tonalité des récentes déclarations s’inscrit donc dans la continuité du discours des officiels turcs.

Comment expliquez-vous la position d’Erdogan ?

Il paraît évident que le Premier Ministre est en phase avec son opinion publique. De là à affirmer qu’il agit à des fins électoralistes, puisque des élections municipales doivent avoir lieu en mars 2009, je n’en suis pas certain. Il faut comprendre que cette guerre a eu un impact émotionnel très fort en Turquie, comme dans tout le Moyen Orient d’ailleurs. Les images diffusées à la télévision, notamment par Al Jazeera, ont beaucoup choqué. Erdogan peut donc adopter une posture morale avec un discours virulent, car la situation a Gaza est jugée par tous inacceptable.

Le point de vue d’Erdogan est donc partagé en Turquie ?

Il existe un consensus contre l’offensive israélienne parmi l’opinion et dans la classe politique turque. L’attitude du Premier Ministre a ainsi été saluée par l’opposition et parmi elle le MHP, parti d’action nationaliste. Cependant l’armée a son mot à dire en Turquie. Or celle-ci a refusé la levée de la coopération militaire avec Israël comme l’exigeaient certains politiques turcs. Les propos d’Erdogan aussi virulents soient-ils, n’engagent que le pouvoir civil, en aucun cas les militaires.

Comment furent accueillies les déclarations du Premier Ministre turc en Israël ?

Les propos d’Erdogan ont provoqué de violentes réactions. Certains membres du gouvernement n’ont pas hésité à déclarer qu’Israël ne resterait pas les bras croisés. Mais au-delà de la rhétorique, l’Etat hébreu n’a pas intérêt à aller aussi loin. Les relations entretenues avec la Turquie, notamment la coopération militaire, demeurent essentielles. C’est d’ailleurs pour quoi les Israéliens commencent à s’en méfier. Ils se sont ainsi félicités d’avoir refusé un accord avec les Turcs qui aurait pu constituer un moyen de pression contre Israël durant l’offensive. En effet, cet accord aurait permis à la Turquie de pourvoir le pays en conteneurs d’eau douce.

Recep Tayyip Erdogan, Premier Ministre turc (à gauche), quitte avec fracas le débat sur la situation à Gaza lors du forum économique de Davos le 29 janvier 2009. Il a notamment reproché à l'organisateur du débat d'avoir laissé plus de temps de parole à  Shimon Peres, Président d'Israël (à droite).

Les élections israéliennes se sont achevées sans qu’un parti n’ait obtenu la majorité. Les leaders des deux grans partis israéliens, Tzipi Livni pour Kadima (centre), et Benjamin Netanyahu pour le Likoud (droite), ont chacun revendiqué la victoire et cherchent à former une coalition. Existe-il- une différence de vues entre les deux candidats sur l’avenir des relations israélo-turques ?

Ni l’un ni l’autre ne montrent une attitude hostile à la consolidation des relations entre les deux pays. Je ne pense pas qu’un véritable changement interviendra. Quant au conflit israélo-palestinien, les Turcs préféreraient voir arriver au pouvoir Tzipi Livni. De leur point de vue, elle semble plus ouverte aux suggestions turques et moins idéologue que Benjamin Netanyahu. Elle se dit en outre favorable à l’ouverture de négociations avec les Palestiniens, ce qui est positif pour les Turcs.

La sortie du Premier Ministre turc à Davos lors du débat sur la situation de Gaza le 29 janvier 2009

Özür diliyorum, « Nous leur demandons pardon »

Une pétition lancée par des intellectuels Turcs relance un vieux débat douloureux sur le génocide arménien de 1915.

Le 15 décembre 2008, une pétition hors du commun a été mise en ligne sur un site internet turc. ÖzürDiliyoruz.com abrite en effet un texte écrit par quatre intellectuels turcs (Cengiz Aktar, Ali Bayramoglu, Ahmet İnsel et Baskın Oran) : « Ma conscience ne peut accepter que l’on reste indifférent à la Grande catastrophe que les Arméniens ottomans ont subie en 1915 et qu’on la nie. Je regrette cette injustice, et pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes frères et sœurs arméniens et je leur demande pardon. »

Le génocide arménien est un des sujets les plus polémiques et sensibles des relations internationales. Le terme « génocide » est en lui-même déclencheur d’âpres débats entre négationnistes convaincus et défenseurs de la cause arménienne.
La Turquie refuse catégoriquement de reconnaître la moindre responsabilité dans les massacres perpétrés contre les Arméniens en 1915. Pour l’État turc, il n’y a pas eu de génocide.
Mais pour mieux comprendre, il faut revenir cent ans en arrière.
En 1909, ceux qu’on appelle les « Jeunes-Turcs » veulent coûte que coûte moderniser l’empire Ottoman qui est constitué de nombreuses ethnies et religions. A la fin du XIXème siècle, on compte deux millions d’Arméniens, de confession chrétienne.
Les discours des Jeunes-Turcs sont emprunts d’un nationalisme exacerbé. Pour construire un nouvel État, il est nécessaire selon eux de « purifier » la « race » turque. C’est ainsi que commence le génocide des Arméniens d’Asie Mineure.
Dans un premier temps, les Jeunes-Turcs font déplacer les populations arméniennes. Les marches se déroulent dans des conditions épouvantables et sont la cause de nombreux morts.
En Occident, ces événements émeuvent l’opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires. On est en effet en pleine Première Guerre mondiale.
C’est pourquoi, encore aujourd’hui, la plupart des Turcs se refusent à parler d’un génocide.
Comme l’explique Özge, jeune istanbuliote : « Pour les gens, les morts sont le résultat du déplacement, et non pas d’un génocide. D’ailleurs l’argument est souvent de dire qu’il y a eu des morts chez les Turcs aussi ! Mon mari m’a même demandé : Les Arméniens ont-ils fait une lettre d’excuse, eux ? »
Pourtant, les deux tiers de la population arménienne disparaissent pendant l’été 1915.

Les Arméniens n’ont jamais oublié les massacres et se battent depuis lors pour la reconnaissance de ce génocide.
Dans l’actualité récente, ce sont les négociations européennes pour l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne qui ont relancé le débat. En effet, l’UE avait envisagé la reconnaissance du génocide comme une condition pour l’intégration de la Turquie.
Pour les Turcs, c’est une condition hypocrite :
« Les Européens se servent de cette condition comme excuse pour ne pas accepter la Turquie dans l’Europe. Ils savent très bien que le gouvernement turc ne reconnaîtra jamais le soi-disant génocide. » S’exclame Bahar, Française d’origine turque.

Question brûlante : pourquoi la Turquie s’obstine t-elle à nier le génocide, alors que des historiens et des rescapés ont pu prouver catégoriquement son existence ?
Tout d’abord, si l’État turc reconnaissait le génocide, il serait contraint de verser des « dommages et intérêts » aux Arméniens (comme l’Allemagne après la Shoah), ce qui représenterait un coût très lourd pour le pays.
Ensuite, et c’est plus grave, le pays serait sans doute amené à restituer des territoires à l’Arménie, territoires qui avaient été promis aux Arméniens avant le génocide.
Enfin, la négation de ce génocide est un moyen de garder intacte « l’identité nationale » turque, déjà malmenée ces derniers temps par le conflit entre laïcs acharnés et islamistes convaincus.
Le génocide arménien reste donc un sujet plus que tabou pour la Turquie ainsi que pour les puissances internationales. Celles-ci hésitent encore à reconnaître officiellement le génocide, de peur de froisser leurs relations avec l’État turc.
A noter qu’Israël a toujours refusé de reconnaître le génocide afin de conserver les relations privilégiées qu’elle entretient avec cet État, dont la population est majoritairement musulmane.

Cette pétition est donc une première pour la Turquie. Première qui ne semble pas bien vécue par la majorité des Turcs. La classe politique estime qu’une telle initiative sabote la paix nationale.
Malgré tout, il semble que l’impact de cette pétition soit moindre sur la population.
Özge le confirme : « Je ne pense pas que la pétition va faire bouger les choses, il faudrait plutôt former un groupe de réflexion, composé de personnes des deux côtés. Ici, les gens s’en fichent plutôt, ce n’est pas vraiment d’actualité. »
Selon le site Internet d’Europe 1, la pétition a tout de même recueilli 27.000 signatures à ce jour.
Rappelons que la Turquie ne fait pas figure d’exception. D’autres génocides n’ont malheureusement jamais été reconnus par les États fautifs.

Özür diliyorum, « Nous leur demandons pardon »

Une pétition lancée par des intellectuels Turcs relance un vieux débat douloureux sur le génocide arménien de 1915.

Le 15 décembre 2008, une pétition hors du commun a été mise en ligne sur un site internet turc. ÖzürDiliyoruz.com abrite en effet un texte écrit par quatre intellectuels turcs (Cengiz Aktar, Ali Bayramoglu, Ahmet İnsel et Baskın Oran) : « Ma conscience ne peut accepter que l’on reste indifférent à la Grande catastrophe que les Arméniens ottomans ont subie en 1915 et qu’on la nie. Je regrette cette injustice, et pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes frères et sœurs arméniens et je leur demande pardon. »

Le génocide arménien est un des sujets les plus polémiques et sensibles des relations internationales. Le terme « génocide » est en lui-même déclencheur d’âpres débats entre négationnistes convaincus et défenseurs de la cause arménienne.
La Turquie refuse catégoriquement de reconnaître la moindre responsabilité dans les massacres perpétrés contre les Arméniens en 1915. Pour l’État turc, il n’y a pas eu de génocide.
Mais pour mieux comprendre, il faut revenir cent ans en arrière.
En 1909, ceux qu’on appelle les « Jeunes-Turcs » veulent coûte que coûte moderniser l’empire Ottoman qui est constitué de nombreuses ethnies et religions. A la fin du XIXème siècle, on compte deux millions d’Arméniens, de confession chrétienne.
Les discours des Jeunes-Turcs sont emprunts d’un nationalisme exacerbé. Pour construire un nouvel État, il est nécessaire selon eux de « purifier » la « race » turque. C’est ainsi que commence le génocide des Arméniens d’Asie Mineure.
Dans un premier temps, les Jeunes-Turcs font déplacer les populations arméniennes. Les marches se déroulent dans des conditions épouvantables et sont la cause de nombreux morts.
En Occident, ces événements émeuvent l’opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires. On est en effet en pleine Première Guerre mondiale.
C’est pourquoi, encore aujourd’hui, la plupart des Turcs se refusent à parler d’un génocide.
Comme l’explique Özge, jeune istanbuliote : « Pour les gens, les morts sont le résultat du déplacement, et non pas d’un génocide. D’ailleurs l’argument est souvent de dire qu’il y a eu des morts chez les Turcs aussi ! Mon mari m’a même demandé : Les Arméniens ont-ils fait une lettre d’excuse, eux ? »
Pourtant, les deux tiers de la population arménienne disparaissent pendant l’été 1915.

Les Arméniens n’ont jamais oublié les massacres et se battent depuis lors pour la reconnaissance de ce génocide.
Dans l’actualité récente, ce sont les négociations européennes pour l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne qui ont relancé le débat. En effet, l’UE avait envisagé la reconnaissance du génocide comme une condition pour l’intégration de la Turquie.
Pour les Turcs, c’est une condition hypocrite :
« Les Européens se servent de cette condition comme excuse pour ne pas accepter la Turquie dans l’Europe. Ils savent très bien que le gouvernement turc ne reconnaîtra jamais le soi-disant génocide. » S’exclame Bahar, Française d’origine turque.

Question brûlante : pourquoi la Turquie s’obstine t-elle à nier le génocide, alors que des historiens et des rescapés ont pu prouver catégoriquement son existence ?
Tout d’abord, si l’État turc reconnaissait le génocide, il serait contraint de verser des « dommages et intérêts » aux Arméniens (comme l’Allemagne après la Shoah), ce qui représenterait un coût très lourd pour le pays.
Ensuite, et c’est plus grave, le pays serait sans doute amené à restituer des territoires à l’Arménie, territoires qui avaient été promis aux Arméniens avant le génocide.
Enfin, la négation de ce génocide est un moyen de garder intacte « l’identité nationale » turque, déjà malmenée ces derniers temps par le conflit entre laïcs acharnés et islamistes convaincus.
Le génocide arménien reste donc un sujet plus que tabou pour la Turquie ainsi que pour les puissances internationales. Celles-ci hésitent encore à reconnaître officiellement le génocide, de peur de froisser leurs relations avec l’État turc.
A noter qu’Israël a toujours refusé de reconnaître le génocide afin de conserver les relations privilégiées qu’elle entretient avec cet État, dont la population est majoritairement musulmane.

Cette pétition est donc une première pour la Turquie. Première qui ne semble pas bien vécue par la majorité des Turcs. La classe politique estime qu’une telle initiative sabote la paix nationale.
Malgré tout, il semble que l’impact de cette pétition soit moindre sur la population.
Özge le confirme : « Je ne pense pas que la pétition va faire bouger les choses, il faudrait plutôt former un groupe de réflexion, composé de personnes des deux côtés. Ici, les gens s’en fichent plutôt, ce n’est pas vraiment d’actualité. »
Selon le site Internet d’Europe 1, la pétition a tout de même recueilli 27.000 signatures à ce jour.
Rappelons que la Turquie ne fait pas figure d’exception. D’autres génocides n’ont malheureusement jamais été reconnus par les États fautifs.