Sur fond de polémique; entre boycott, suspicion de fraude et désintéressement de la population. Le Président Bouteflika a été reconduit sans grande surprise, pour un troisième quinquennat avec 92% des voix. Derrière lui, arrive Louiza Hanoune, présidente du parti des travailleurs (PT) avec 4,22%. Un triomphe qui ne surprend guère la population se préoccupant davantage de ses conditions de vie, de plus en plus difficiles, entre pouvoir d’achat, chômage et insécurité.
Chronique d’une victoire annoncée
Tout a commencé, en novembre 2008 quand le parlement algérien a amendé la constitution pour supprimer la limitation à deux du nombre possible de mandats présidentiels, ouvrant ainsi la voie à un troisième quinquennat d’Abdelaziz Bouteflika. La réforme constitutionnelle a été adoptée à une écrasante majorité lors d’une session conjointe de l’Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation. Le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), parti d’opposition avait dénoncé à l’époque « un coup d’état déguisé ».
«Boycotter devient un acte révolutionnaire»
Le début de la campagne électorale, le 19 mars dernier a été marqué par un événement surprenant : l’appel au boycott par le vieux parti d’opposition, le Front des Forces sociales (FFS) qui a dénoncé le favoritisme de l’administration pour le Président sortant, et notamment la télévision publique (l’Algérie ne possède pas de chaines de télévisons privées). Lors d’un point de presse, donné au siège du parti à Alger, le secrétaire général du FFS, Karim Tabou a regretté la manière avec laquelle s’était déroulée la campagne électorale qu’il a jugée « favorable à un seul candidat, ainsi que le parti pris de l’administration au profit de ce candidat ». Il a également dénoncé « l’état de siège » imposé par la police au local du FFS à Alger, depuis le début de la campagne électorale, empêchant le parti de mener campagne en faveur du boycott.
Le RCD quant à lui a remplacé la bannière nationale par un drapeau noir, symbole « de deuil contre l’absence de la démocratie » .Un geste fort symbolique qui a créé la polémique sur la scène politique algérienne.
Cependant, favori dès le début de la campagne électorale, Abdelaziz Bouteflika, élu en 1999 et réélu en 2004 avec 84,99 espérait une large participation des 20 millions d’algériens inscrits afin d’asseoir sa légitimité. D’ailleurs, lors de ses différents meetings, le Président sortant a appelé les algériens « à voter même contre lui, mais ne pas négliger l’acte de voter » . Dans les rues, les algériens n’étaient guère motivés car ils disaient connaitre le résultat, même six mois à l’avance : « le seul suspense dans ces élections est le taux de participation, c’est incroyable mais c’est une formule typiquement algérienne » lâche Sofiane étudiant en documentation à l’université d’Alger. D’autres, avouaient qu’ils allaient voter par peur de perdre certains droits – une rumeur qui courrait un peu partout en Algérie- « J’ai peur d’avoir plus tard, des obstacles pour certains papiers administratifs ou qu’on exige ma carte de vote si je me présente à un entretien de travail ». Mais certains électeurs avouent avoir voté à contre cœur pour avoir le sentiment d’agir, comme Nadia, manager, vivant à Paris : « j’irai voter pour le moins pire, après tout, Boutef est le seul à avoir de l’expérience parmi les six candidats ».
Jeudi 9 avril : 20 millions d’algériens ont été invités aux urnes, pas d’engouement particulier dans les grandes villes et notamment, Alger, le ciel est gris, les rues semblent désertes, on attend le score et on pense au prix de la pomme de terre qui atteint 120 DA( environ un euro)…
Vendredi 10 avril, à 12h00 heure française, l’annonce officielle du secret de Polichinelle. 92% de voix et 74.11 %, tel est le taux de participation définitif à l’élection présidentielle de ce jeudi 9 avril 2009. Ce taux annoncé par le ministre de l’intérieur dépasse largement toutes les prévisions. Depuis 1995, à l’occasion de l’élection de Liamine Zeroual, les taux de participation aux élections ont rarement dépassé la barre des 60 %.
A 72 ans, Abdelaziz Bouteflika est réélu pour la troisième fois. C’est reparti pour 5 ans ! Dès la veille, on pouvait voir sur les trois chaines de télévisions publiques, des images et des scènes de joie de la population, où on décrit « une fête de la démocratie ». L’opposition est loin d’être d’accord et veut se faire entendre….
L’opposition crie au scandale !
L’opposition représentée par les deux partis, le Front des Forces Socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) parlent de « fraudes et mascarades électorales » .Le RCD a annoncé dans un communiqué qu’il avait mis en place un procédé d’évaluation ciblant des wilayas du grand Sud, des hauts plateaux et du Nord. Prenant un échantillon de 58 centres de vote urbains, périurbains et ruraux, les estimations recueillies à 16h donnent un taux de participation nationale de 16.73%. A titre d’exemple, le taux de participation à Tlemcen ville à 15h était de 13.28%. A la même heure, la ville de Sidi Bellabes (ouest) enregistrait un taux de 17.33%. « Les irrégularités sont massives, multiples et se retrouvent du nord au sud et de l’est à l’ouest, illustrant une stratégie centralisée de la fraude » ». De son côté le ministère de l’intérieur se félicite du bon déroulement des élections en affirmant que « le système électoral garantissant la transparence et le respect des résultats du vote était assuré « . Il a souligné la présence en Algérie d’observateurs de l’Union africaine, de l’Organisation de la conférence islamique, de la Ligue arabe. L’ONU a pour sa part envoyé une « mission de suivi », chargée de faire un rapport au secrétaire général, Ban Ki-moon.
Le paradoxe algérien
L’Algérie est 100 ème (sur 179) dans le classement de l’ONU du développement humain (éducation, santé, niveau de vie…).- 92ème sur 180 au classement de la corruption établi par Transparency Internationl, en septembre 2008. La population algérienne est composée de plus de 70 % de jeunes de moins de trente ans, ces jeunes souffrent de chômage, et la majorité d’entre eux veut quitter le pays d’une manière régulière ou… sur des embarcations de fortune. Ces mêmes jeunes qui ont refusé d’aller voter jeudi en signe de mécontentement ou de ras-le-bol. Ces jeunes qui avec ou sans diplômes se retrouvent souvent avec des contrats précaires s’ils ont la chance de trouver un emploi « mon pays ne m’a rien offert de positif jusqu’à maintenant et n’a fait aucun effort pour moi… », lâche Yazid, un jeune homme « sans papiers » vivant à Paris. Imane, biologiste de formation (avec un bac +5) travaille sans être déclarée comme assistante commerciale dans une petite entreprise de produits para-pharmaceutiques à Oran, où elle touche à peine le SMIC. En Algérie, nombreux sont comme Imane à accepter des emplois précaires pour survivre. Et cela est un énième fléau qui devrait préoccuper le président fraichement réélu.
Par ailleurs, Abdelaziz Boueflkia a certes effacé la dette extérieure du pays, et a mis en place une politique de réconciliation nationale pour lutter contre l’insécurité. Mais le chemin du développement reste long à parcourir. Pour les cinq années à venir, le président devrait être sur tous les fronts en même temps car le quotidien des algériens demeure très difficile, au point que le peuple n’ose plus espérer…
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