De fil en aiguilles, ces messieurs tricotent

Par le 31 octobre 2009

Le tricot a le vent en poupe. Pourtant, les préjugés sont nombreux. Le tricot, une affaire de grand-mère ? Point du tout ! Il est devenu une activité très prisée, à l’image de l’ensemble des loisirs créatifs. Nombreux sont ces messieurs qui s’essayent aux plaisirs de la maille. En France et ailleurs.

Les chiffres sont surprenants. Plus d’un Français sur deux a déjà tricoté. Les femmes, auxquelles cette activité est généralement associée, sont évidemment plus nombreuses. Selon une étude Ipsos, 76% d’entre-elles ont déjà flirté avec l’aiguille. Toutefois, selon cette même étude, les hommes sont 30% à déclarer avoir déjà expérimenté le tricot, et 51% à désirer apprendre.

Est-ce un fait nouveau ? Une nouvelle tendance des pays occidentaux ? Non. Dès ses origines, le tricot était une affaire d’hommes. Il en est de même pour la plupart des techniques textiles,souvent difficiles telles que le tissage ou la broderie. Ce sont les marins et les explorateurs qui ont importé le tricot de contrée en contrée et se sont transmis cet art. Encore aujourd’hui, dans certaines sociétés, ce sont les hommes qui s’attèlent à cette tâche. Les hommes de l’île de Taquilé au Pérou notamment.

En France, sur le continent américain, dans les pays anglo-saxons, dans les pays de l’Europe du Nord, nombreux sont les « tricoteurs ». Les clubs, les cours, les sites, les blogs, les forums sur le tricot gérés et tenus par des hommes fleurissent. Mentionnons, à titre d’exemples, le site américain Menwhoknit.com ou le blog québécois intitulé « Le gars qui tricote, à vos aiguilles messieurs ! » Le monde du tricot a également ses « grands ». Nous connaissons tous Yves Saint-Laurent ou Christian Lacroix, chefs de file de la Haute Couture. Mais connaissez-vous Kaffe Fassett ou Jared Flood ? Pourtant, ce sont de vraies stars chez les « tricotins » ! Le premier est reconnu internationalement pour ses créations textiles : tricots, tapisseries à l’aiguille, patchworks, étoffes imprimées, etc… Le second, designer, est un véritable touche-à-tout new-yorkais.

Pourquoi cette activité devient-elle tendance chez les messieurs occidentaux ? Plusieurs explications sont possibles. D’abord, les vertus du tricot sont réputées apaisantes et dé stressantes. Un véritable atout lorsqu’il s’agit d’arrêter de fumer par exemple. 86% des Français jugent que tricoter permet de se détendre. Vincent, tricoteur, raconte : « Comment m’est venue l’envie de tricoter ? C’est une longue histoire… Une amie est venue me voir avec son cadeau de Noël : un début d’essai de tricot. Sa grand-mère voulait lui transmettre ses connaissances avec un argument de poids : ‘Pendant que tes mains seront occupées à tricoter, tu n’iras plus fumer !’ Cette amie m’a mis au défi de l’accompagner dans son sevrage tabagique grâce au tricot ! Résultat ? Elle ne tricote plus (moi si!) et fume toujours autant (moi aussi !) ». Pour Guy Charbonneau, un autre adepte du tricot « c’est très zen, ça me relaxe énormément. ».

Le goût pour le tricot est souvent apparenté à une activité artistique. Guy, chanteur lyrique, le souligne : « Je suis quelqu’un de créatif. J’aime expérimenter, inventer, créer. J’aime avoir des vêtements originaux et uniques. J’aime partir de rien et créer des choses magnifiques, ça me fascine. ». Néanmoins, les tricoteurs ne sont pas tous des artistes à l’origine : du rugbyman jurassien à l’avocat new-yorkais, toutes les catégories sociaux-professionnelles sont touchées. Vincent, jeune cadre manager dans l’informatique, mentionne que ce qu’il aime dans le tricot, c’est « son aspect mathématique ! Le plaisir le plus grand c’est de dire dans une soirée entre amis : c’est moi qui l’ai fait (surtout si le vêtement est bien taillé et joli)… et là : des regards ébahis ! » Il n’est pas le seul : « Mon plaisir ? Le plaisir du beau travail bien fait, avec des finitions parfaites et des techniques un peu compliquées. J’aime la technique ! Et le plaisir d’offrir un cadeau fait soi-même. » affirme François, autre tricoteur. Le tricot serait donc pour ces hommes un plaisir avant tout. Mais aussi un héritage familial, un retour à la tradition.

Cette tendance est très en vogue dans les enquêtes d’opinion, notamment chez les jeunes, un retour à la tradition et aux valeurs. Ainsi, le tricot est considéré comme un symbole de transmission des valeurs familiales. Et de fait, pour 76% des Français, il s’agit d’une activité conviviale d’échange, de partage et de transmission des savoirs. Il faut dire que le tricot semble bien passer par une initiation familiale. « J’étais tellement fasciné par tout ce que ma mère faisait avec simplement deux aiguilles et de la laine que je lui ai demandé de m’enseigner » raconte Guy. Le tricot serait donc un moment privilégié d’enfance. « Ma maman et mes grand-tantes tricotaient, alors je voulais faire pareil et j’ai appris quand j’étais tout petit, vers 4-5 ans. Je faisais alors du point mousse, des écharpes pour mon singe en peluche » ajoute François. Selon le sociologue Gérard Mermet, c’est la transmission d’un savoir passant par une initiation familiale (à 63 % par la mère, 33 % par la grand-mère), comme la cuisine également devenue l’un des loisirs préférés des Français. Il insiste aussi sur l’une des motivations fondamentales : « Se créer sa propre identité, se singulariser dans un monde d’uniformité », en se faisant son « petit truc perso ». Tricoter permettrait ainsi d’affirmer sa personnalité. Un engouement qui témoigne aussi d’une certaine lassitude pour des produits fabriqués en masse. Aujourd’hui, les gens cherchent à se différencier en portant quelque chose d’original, d’unique, de fait maison.

Toutefois, malgré cet attrait naissant des hommes envers le tricot, peu d’entre eux avouent pratiquer cette activité. « Je crois que ces hommes sont inquiets de l’image qu’ils vont projeter. Peut-être seront-ils perçus comme n’étant pas de vrais hommes ? Mettront-ils leur virilité en péril ? Cependant, cette activité n’a absolument rien à voir avec le fait d’être un homme ou pas. À mon avis, la société en général a aussi du chemin à faire. Un homme qui tricote n’est pas nécessairement gay, ni efféminé. Quand j’étais jeune, je n’aurais jamais osé avouer que je tricotais, on aurait ri de moi et on m’aurait traité de tapette. Aujourd’hui, je me fiche pas mal de ce que les gens pensent. Il faut quand même démontrer une certaine audace pour pouvoir tricoter en public et ce ne sont pas tous les hommes qui sont prêts à le faire » avoue Guy, notre chanteur lyrique. Un aveu qui pourrait être le signe d’une évolution des mentalités.

Après l’appropriation des activités traditionnellement masculines par les femmes(bricolage, jardinage…), nous assistons actuellement à une acceptation de la part de féminité chez les hommes, qui n’hésitent à être coquets, à être des pères attentifs. Les activités sont aujourd’hui de moins en moins sexuées, et les hommes n’ont presque plus honte d’avouer qu’ils pratiquent ou pratiqueraient volontiers le tricot. Comme quoi, tous les hommes ne se tournent pas, pour se détendre, vers le sport national: le foot!

Catégorie(s) :
Étiquettes : , , , , , , , ,

Vous avez aimé cet article ? Partagez-le !

à propos de l'auteur

Auteur : Julie Derache

« Un photographe est un funambule sur le fil du hasard, qui cherche à attraper des étoiles filantes » (Querrec) Diplômée du Master 2 Métiers du journalisme, je suis passionnée à la fois par les lettres, l’écriture et par la photographie. J'aime à reprendre les mots d'Eric Valli : « La photographie est avant tout, pour moi, la rencontre, la découverte, l’apprentissage d’autres mondes. Et le partage. C’est parce que ce métier est avant tout humain qu’il me passionne. » Ces propos résument tout. Mes expériences professionnelles, mes rencontres, mes passions, et surtout pourquoi j’ai choisi d’être à la fois journaliste et photographe. Amoureuse des mots, des livres, des images et des rencontres, j’ai toujours eu à cœur de comprendre le monde et de défendre ce que je crois être des causes justes. Curieuse, j’ai toujours voulu acquérir le plus de connaissances et d’expériences possibles dans divers domaines. Ainsi, mes multiples cheminements, atypiques bien souvent, se sont constamment éloignés des sentiers battus. Jeune, je me suis engagée par le biais d’une action pour la protection de l’environnement soutenue par PPDA, Roger Gicquel, Robert Hossein, entre autres. Grâce à cela, j’ai appris les bases du métier de journaliste, son éthique, et surtout à me dépasser pour aller vers l’autre. Ensuite, mon baccalauréat littéraire en poche, je me suis dirigée naturellement vers des études d’Histoire. Après ma licence, je suis allée voir ce qui se passait ailleurs, au Québec. M’intéressant à l’investigation et voulant m’immerger dans l’histoire du pays qui m’accueillait, j’y ai écrit un essai sur la femme amérindienne chrétienne en Nouvelle France dirigé par Paul André Dubois (Université Laval), explorant ainsi la culture et l’environnement des Premières Nations. A mon retour, je me suis vraiment lancée dans le journalisme. D’abord en intégrant le Master 1 Science Politique et le Master 2 Métiers du Journalisme, puis en faisant des stages dans le monde de la presse comme du photojournalisme. Notamment à l'Agence Vu, au sein de la rédaction locale, de la rédaction Culture/Magazine de Midi Libre et de celle de Polka Magazine où j’ai notamment eu la chance de pouvoir publier une première photographie commandée par Alain Genestar. Au sein du Master, j'ai également rédigé un mémoire intitulé « Au delà des clichés. Des évolutions du photojournalisme et de l'avenir d'une profession » sous la direction d'Edwy Plenel. A ce jour, je le retravaille en vue de le publier. Pour conclure, je pourrai vous dire, en reprenant les mots de Cédric Gerbehaye : « Je fais de la photo parce que j’ai des convictions », en ajoutant que pour moi le journalisme, c'est à la fois les mots et l'image, et que mon objectif est de faire des reportages pour documenter ce dont on ne parle pas, pour rendre compte, pour témoigner en prenant le temps, en analysant, en assumant sa subjectivité.