H.F. Diané : « Si l’écriture ne prenait pas une telle place dans ma vie, j’aurais été jazzman »

Par le 27 février 2015

« Le Jazzman du Misanthrope » est un livre que vous ne trouverez dans aucune librairie. Pourquoi ? Car son auteur, H.F. Diané, a choisi le format numérique pour être publié. Ce jeune écrivain de 26 ans, originaire du Congo, a sorti son deuxième ouvrage au mois de janvier. Avec plus d’une « centaine d’histoires en stock », l’écriture est pour lui plus qu’un métier : une raison d’être.

Haut Courant : Tout d’abord, résume-nous l’histoire du « Jazzman »
En 1941, Egmond Parker, un pianiste de jazz noir américain, rêve de faire fortune. Il a une liaison avec une fille blanche, Fiona-Amaryllis, ce qui à l’époque était interdit par les lois ségrégationnistes. Qui plus est, cette fille est déjà fiancée. Tiraillée entre les deux hommes, elle choisit de s’enfuir en Suède, pays dont elle est originaire. Egmond, fou amoureux de Fiona-Amaryllis, décide de tout plaquer pour la suivre. Son bateau arrive en France, à Bordeaux, où il rate de peu la correspondance pour Göteborg. Il rencontre Aleksandre qui l’invite à rejoindre une ville prospère du Sud de la France qui ne connaît pas la guerre, Jefferson. Il accepte et découvre une ville riche, dirigée par le fortuné Lewis D. Whalbourg, qui vit reclus dans sa folie. Egmond devient son pianiste et découvre petit à petit son histoire…

Comment t’est venue l’idée de ce livre ?

Tout a commencé en 2005-2006 après avoir vu le film Aviator avec Leonardo Di Caprio. Ce film retraçait l’histoire d’Howard Hughes, un milliardaire américain, cinéaste, aviateur, homme à femmes… Au milieu de sa vie, il a sombré dans une espèce de folie. Il a commencé à vivre reclus dans son immense château avec ses majordomes, et cela jusqu’à la fin de sa vie. Il est passé du stade d’homme le plus adulé d’Amérique dans les années 40-50 à celui d’un vieillard mort seul dans sa demeure. Au moment où les brancardiers arrivent, on retrouve un vieil homme avec des longs cheveux, des ongles longs, avec vingt kilos en moins, tout rabougri. Et ça, ça a été ma premier source d’inspiration.
Par la suite, « Gatsby le magnifique », le livre de mon auteur préféré Francis Scott Fitzgerald, m’a beaucoup marqué. J’ai été frappé par l’histoire, son aspect romantique et je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien entre le personnage de Gatsby et Howard Hughes.
Mon livre est un hommage à « Gatsby le magnifique », il adopte le même schéma : un personnage de l’extérieur qui rencontre un homme immensément riche et qui raconte son histoire. Il traite de l’enrichissement, de l’Amérique toute puissante, de l’homme qui se perd dans sa vie à cause d’un amour perdu.

Ton livre recouvre plusieurs thèmes. Le jazz est notamment très présent. On pourrait même en ressortir une bande-son ! Que représente pour toi cette musique ?

Depuis tout petit, j’ai toujours eu une relation particulière avec le jazz. Quand j’étais au Congo, j’étais sensible à certaines mélodies, à certains instruments de musique et je n’arrivais pas à poser un nom dessus. Avec l’âge, j’ai fini par comprendre que c’était du jazz. Plus le temps passait, plus j’imprimais cette musique et j’ai fini par l’adopter. Au point que cela devienne aujourd’hui une véritable religion pour moi ! Au réveil, j’écoute du jazz et pareil quand je vais me coucher. Si l’écriture ne prenait pas une telle place dans ma vie, je pense que j’aurais été jazzman.

Le héros principal, Egmond Parker, fait souvent mention de sa couleur de peau. En quoi était-ce important d’appuyer sur ce trait ?

Avant j’avais une vision un peu utopiste de cette époque, des premières heures du jazz. Avec le temps, j’ai fini par réaliser, en lisant les biographies des grands jazzmen, qu’eux-mêmes n’étaient pas à l’abri du racisme. Par exemple, lorsqu’ils partaient en tournée, ils devaient aller dans les motels malfamés, réservés aux Noirs. A Las Vegas, ils chantaient dans des 5 étoiles, des hôtels huppés mais ils n’avaient même pas le droit d’y rester après leur représentation. C’est terrible.
Et plus je progressais dans l’écriture du livre, plus j’ai réalisé que j’avais tendance à m’éloigner un peu de cet aspect racial des choses à l’époque. Puis je me suis dit qu’il fallait que le lecteur baigne dans cette époque sans idéalisme. Je voulais qu’il soit vraiment confronté à ça, ce qu’était la vie d’Egmond Parker, la vie de dix millions de Noirs à ce moment-là.

De qui t’es-tu inspiré pour le personnage d’Egmond Parker ?

Nat King Cole, mon chanteur de jazz préféré. Et, curieusement, il y a beaucoup de gens qui m’ont dit en lisant l’histoire qu’Egmond Parker, c’était moi.

Qu’en penses-tu ?

Avec le recul, je me dis qu’il y a beaucoup de similitudes ! L’amour du jazz, les chapeaux… Je m’arrêterai là ! (rires)

Pourquoi avoir choisi cette époque ?

L’époque du jazz, c’est la Belle Epoque ! Les poids lourds du jazz comme Art Tatum, Lester Young sont au sommet de leur art. Une nouvelle génération est aussi en train d’émerger.
D’autre part, parce que l’histoire parle de la guerre aussi. On est en 1941, deux ans après le début du conflit, à un moment charnière où l’on va voir les Etats-Unis s’engager après l’attaque de Pearl Harbor.

Justement, la réalité et la fiction se mélangent souvent dans le récit. On y croise même des personnages réels comme Orson Welles ou Henry Ford…

Je pense que le roman historique a cette particularité de s’imprégner de la réalité, de la tourner de telle manière que le lecteur, qui ne connaît pas forcément l’Histoire, vient à douter. A ne plus distinguer le vrai du faux. Je trouvais ça beau aussi. Un roman comme « Ragtime » de E.L. Doctorow m’a inspiré, ça a été comme une révélation. Le but, c’est également que le lecteur fasse cet effort de recherche. De plus, cela renforce l’authenticité du roman.

Les personnages principaux sont tous attirés par des femmes qui leur échappent. Comment voulais-tu retranscrire les relations amoureuses ?

Avant tout, de manière romantique. C’est-à-dire qu’il y ait une espèce d’amour inaccessible. On est en 1941 et l’amour n’est pas du tout pareil que celui de nos jours. Il y avait un aspect beaucoup plus fusionnel, plus fort. On aimait une personne, on s’engageait avec elle pour toute la vie. Ce n’est plus trop le cas aujourd’hui.
Je voulais aussi mettre en avant le côté amour impossible. Aimer une personne sans forcément l’avoir. Les trois personnages principaux se démènent pour acquérir leur amour. Plus ils s’en rapprochent, plus ils s’en éloignent.

Ils ont aussi cette obsession de la richesse, cette quête d’un rang social plus élevé. Cela relate-t-il pour toi cet esprit « American dream » de l’époque ?

Oui. A l’époque et aujourd’hui aussi. Ce concept d’enrichissement rapide se retrouve moins aux États-Unis et plus dans les pays émergents. Ce que je voulais faire passer comme message, c’est cet aspect enrichissement à tout prix au point de renoncer aux valeurs morales. C’est encore d’actualité. On trouve des gens qui rêvent à tout prix de s’enrichir et qui négligent certaines choses.

Notamment leurs origines…

On trouve beaucoup de personnes qui, au lendemain de la guerre, se sont enrichies – les « nouveaux riches » – et qui étaient méprisées par la haute société. Et le seul moyen d’être adopté par cette classe sociale était de cacher un peu ses origines.

Pourquoi avoir fait le choix du livre numérique ?

J’avais essayé de faire publier mon premier roman, « Le Palais des Songes », en 2011. Mais ça n’avait pas pris auprès des éditeurs. Du coup, je me suis inspiré du modèle japonais qui consiste à publier les mangas dans des fanzines qui paraissent chaque mois. Ça a bien pris et j’ai réussi à être présent dans les librairies de Montpellier et notamment Sauramps. Mais il se trouve que je n’ai pas réussi à rentabiliser le fanzine étant donné que c’était moi qui l’imprimais. Je perdais même de l’argent.
Je me suis dit que j’allais basculer vers une version numérique. J’ai vu qu’avec Amazon, ça marchait très bien aux États-Unis et que ça commence à prendre en France grâce aux smartphones et aux tablettes.

Est-ce qu’Amazon t’impose des conditions comme le prix du livre ?

Non, c’est moi qui fixe le prix. Toutefois, il y a une règle non dite qui consiste à fixer le prix du livre d’un auteur débutant à 3€. On touche 70% des ventes et Amazon le reste.

Est-ce un modèle viable pour les auteurs ?

On trouve des auteurs qui vivent de ça. Il suffit d’être présent dans le top 100 d’Amazon pour commencer un peu à rentabiliser son livre. Des auteurs qui lancent leurs livres avec des éditeurs puissants comme Gallimard, Flammarion etc. n’arrivent pas forcément à vivre de ça dans le sens où ils sont obligés d’avoir un travail alimentaire à côté… Grâce à Amazon, ça a un peu changé. Je le conseille aux auteurs débutants car aujourd’hui, certains éditeurs de renom ont tendance à aller fouiner dans le top 100 d’Amazon voir les livres qui marchent bien et leur font signer des contrats.

Tu espères suivre ce chemin-là ?

C’est en réflexion. J’ai eu quelques contacts avec une grande maison d’édition. Ça aurait pu se faire, mais certaines choses ne me satisfaisaient pas : ils pouvaient m’imposer un changement de couverture, de titre, voire une partie de l’histoire ! Au final, on pond une histoire qui ne nous plaît pas forcément.

Comment vois-tu l’avenir ?

Tout dépendra du « Jazzman ». S’il marche, j’aimerais investir mes revenus dans le « Palais des songes » que je voudrais sortir en papier. Être publié en format papier reste mon rêve. Je suis très attaché à ce format.

Propos recueillis par Steve Rivière

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