H.F. Diané : « Si l’écriture ne prenait pas une telle place dans ma vie, j’aurais été jazzman »

« Le Jazzman du Misanthrope » est un livre que vous ne trouverez dans aucune librairie. Pourquoi ? Car son auteur, H.F. Diané, a choisi le format numérique pour être publié. Ce jeune écrivain de 26 ans, originaire du Congo, a sorti son deuxième ouvrage au mois de janvier. Avec plus d’une « centaine d’histoires en stock », l’écriture est pour lui plus qu’un métier : une raison d’être.

Haut Courant : Tout d’abord, résume-nous l’histoire du « Jazzman »
En 1941, Egmond Parker, un pianiste de jazz noir américain, rêve de faire fortune. Il a une liaison avec une fille blanche, Fiona-Amaryllis, ce qui à l’époque était interdit par les lois ségrégationnistes. Qui plus est, cette fille est déjà fiancée. Tiraillée entre les deux hommes, elle choisit de s’enfuir en Suède, pays dont elle est originaire. Egmond, fou amoureux de Fiona-Amaryllis, décide de tout plaquer pour la suivre. Son bateau arrive en France, à Bordeaux, où il rate de peu la correspondance pour Göteborg. Il rencontre Aleksandre qui l’invite à rejoindre une ville prospère du Sud de la France qui ne connaît pas la guerre, Jefferson. Il accepte et découvre une ville riche, dirigée par le fortuné Lewis D. Whalbourg, qui vit reclus dans sa folie. Egmond devient son pianiste et découvre petit à petit son histoire…

Comment t’est venue l’idée de ce livre ?

Tout a commencé en 2005-2006 après avoir vu le film Aviator avec Leonardo Di Caprio. Ce film retraçait l’histoire d’Howard Hughes, un milliardaire américain, cinéaste, aviateur, homme à femmes… Au milieu de sa vie, il a sombré dans une espèce de folie. Il a commencé à vivre reclus dans son immense château avec ses majordomes, et cela jusqu’à la fin de sa vie. Il est passé du stade d’homme le plus adulé d’Amérique dans les années 40-50 à celui d’un vieillard mort seul dans sa demeure. Au moment où les brancardiers arrivent, on retrouve un vieil homme avec des longs cheveux, des ongles longs, avec vingt kilos en moins, tout rabougri. Et ça, ça a été ma premier source d’inspiration.
Par la suite, « Gatsby le magnifique », le livre de mon auteur préféré Francis Scott Fitzgerald, m’a beaucoup marqué. J’ai été frappé par l’histoire, son aspect romantique et je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien entre le personnage de Gatsby et Howard Hughes.
Mon livre est un hommage à « Gatsby le magnifique », il adopte le même schéma : un personnage de l’extérieur qui rencontre un homme immensément riche et qui raconte son histoire. Il traite de l’enrichissement, de l’Amérique toute puissante, de l’homme qui se perd dans sa vie à cause d’un amour perdu.

Ton livre recouvre plusieurs thèmes. Le jazz est notamment très présent. On pourrait même en ressortir une bande-son ! Que représente pour toi cette musique ?

Depuis tout petit, j’ai toujours eu une relation particulière avec le jazz. Quand j’étais au Congo, j’étais sensible à certaines mélodies, à certains instruments de musique et je n’arrivais pas à poser un nom dessus. Avec l’âge, j’ai fini par comprendre que c’était du jazz. Plus le temps passait, plus j’imprimais cette musique et j’ai fini par l’adopter. Au point que cela devienne aujourd’hui une véritable religion pour moi ! Au réveil, j’écoute du jazz et pareil quand je vais me coucher. Si l’écriture ne prenait pas une telle place dans ma vie, je pense que j’aurais été jazzman.

Le héros principal, Egmond Parker, fait souvent mention de sa couleur de peau. En quoi était-ce important d’appuyer sur ce trait ?

Avant j’avais une vision un peu utopiste de cette époque, des premières heures du jazz. Avec le temps, j’ai fini par réaliser, en lisant les biographies des grands jazzmen, qu’eux-mêmes n’étaient pas à l’abri du racisme. Par exemple, lorsqu’ils partaient en tournée, ils devaient aller dans les motels malfamés, réservés aux Noirs. A Las Vegas, ils chantaient dans des 5 étoiles, des hôtels huppés mais ils n’avaient même pas le droit d’y rester après leur représentation. C’est terrible.
Et plus je progressais dans l’écriture du livre, plus j’ai réalisé que j’avais tendance à m’éloigner un peu de cet aspect racial des choses à l’époque. Puis je me suis dit qu’il fallait que le lecteur baigne dans cette époque sans idéalisme. Je voulais qu’il soit vraiment confronté à ça, ce qu’était la vie d’Egmond Parker, la vie de dix millions de Noirs à ce moment-là.

De qui t’es-tu inspiré pour le personnage d’Egmond Parker ?

Nat King Cole, mon chanteur de jazz préféré. Et, curieusement, il y a beaucoup de gens qui m’ont dit en lisant l’histoire qu’Egmond Parker, c’était moi.

Qu’en penses-tu ?

Avec le recul, je me dis qu’il y a beaucoup de similitudes ! L’amour du jazz, les chapeaux… Je m’arrêterai là ! (rires)

Pourquoi avoir choisi cette époque ?

L’époque du jazz, c’est la Belle Epoque ! Les poids lourds du jazz comme Art Tatum, Lester Young sont au sommet de leur art. Une nouvelle génération est aussi en train d’émerger.
D’autre part, parce que l’histoire parle de la guerre aussi. On est en 1941, deux ans après le début du conflit, à un moment charnière où l’on va voir les Etats-Unis s’engager après l’attaque de Pearl Harbor.

Justement, la réalité et la fiction se mélangent souvent dans le récit. On y croise même des personnages réels comme Orson Welles ou Henry Ford…

Je pense que le roman historique a cette particularité de s’imprégner de la réalité, de la tourner de telle manière que le lecteur, qui ne connaît pas forcément l’Histoire, vient à douter. A ne plus distinguer le vrai du faux. Je trouvais ça beau aussi. Un roman comme « Ragtime » de E.L. Doctorow m’a inspiré, ça a été comme une révélation. Le but, c’est également que le lecteur fasse cet effort de recherche. De plus, cela renforce l’authenticité du roman.

Les personnages principaux sont tous attirés par des femmes qui leur échappent. Comment voulais-tu retranscrire les relations amoureuses ?

Avant tout, de manière romantique. C’est-à-dire qu’il y ait une espèce d’amour inaccessible. On est en 1941 et l’amour n’est pas du tout pareil que celui de nos jours. Il y avait un aspect beaucoup plus fusionnel, plus fort. On aimait une personne, on s’engageait avec elle pour toute la vie. Ce n’est plus trop le cas aujourd’hui.
Je voulais aussi mettre en avant le côté amour impossible. Aimer une personne sans forcément l’avoir. Les trois personnages principaux se démènent pour acquérir leur amour. Plus ils s’en rapprochent, plus ils s’en éloignent.

Ils ont aussi cette obsession de la richesse, cette quête d’un rang social plus élevé. Cela relate-t-il pour toi cet esprit « American dream » de l’époque ?

Oui. A l’époque et aujourd’hui aussi. Ce concept d’enrichissement rapide se retrouve moins aux États-Unis et plus dans les pays émergents. Ce que je voulais faire passer comme message, c’est cet aspect enrichissement à tout prix au point de renoncer aux valeurs morales. C’est encore d’actualité. On trouve des gens qui rêvent à tout prix de s’enrichir et qui négligent certaines choses.

Notamment leurs origines…

On trouve beaucoup de personnes qui, au lendemain de la guerre, se sont enrichies – les « nouveaux riches » – et qui étaient méprisées par la haute société. Et le seul moyen d’être adopté par cette classe sociale était de cacher un peu ses origines.

Pourquoi avoir fait le choix du livre numérique ?

J’avais essayé de faire publier mon premier roman, « Le Palais des Songes », en 2011. Mais ça n’avait pas pris auprès des éditeurs. Du coup, je me suis inspiré du modèle japonais qui consiste à publier les mangas dans des fanzines qui paraissent chaque mois. Ça a bien pris et j’ai réussi à être présent dans les librairies de Montpellier et notamment Sauramps. Mais il se trouve que je n’ai pas réussi à rentabiliser le fanzine étant donné que c’était moi qui l’imprimais. Je perdais même de l’argent.
Je me suis dit que j’allais basculer vers une version numérique. J’ai vu qu’avec Amazon, ça marchait très bien aux États-Unis et que ça commence à prendre en France grâce aux smartphones et aux tablettes.

Est-ce qu’Amazon t’impose des conditions comme le prix du livre ?

Non, c’est moi qui fixe le prix. Toutefois, il y a une règle non dite qui consiste à fixer le prix du livre d’un auteur débutant à 3€. On touche 70% des ventes et Amazon le reste.

Est-ce un modèle viable pour les auteurs ?

On trouve des auteurs qui vivent de ça. Il suffit d’être présent dans le top 100 d’Amazon pour commencer un peu à rentabiliser son livre. Des auteurs qui lancent leurs livres avec des éditeurs puissants comme Gallimard, Flammarion etc. n’arrivent pas forcément à vivre de ça dans le sens où ils sont obligés d’avoir un travail alimentaire à côté… Grâce à Amazon, ça a un peu changé. Je le conseille aux auteurs débutants car aujourd’hui, certains éditeurs de renom ont tendance à aller fouiner dans le top 100 d’Amazon voir les livres qui marchent bien et leur font signer des contrats.

Tu espères suivre ce chemin-là ?

C’est en réflexion. J’ai eu quelques contacts avec une grande maison d’édition. Ça aurait pu se faire, mais certaines choses ne me satisfaisaient pas : ils pouvaient m’imposer un changement de couverture, de titre, voire une partie de l’histoire ! Au final, on pond une histoire qui ne nous plaît pas forcément.

Comment vois-tu l’avenir ?

Tout dépendra du « Jazzman ». S’il marche, j’aimerais investir mes revenus dans le « Palais des songes » que je voudrais sortir en papier. Être publié en format papier reste mon rêve. Je suis très attaché à ce format.

Propos recueillis par Steve Rivière

« De l’autre côté du mur » : Berlin nid d’espions !

Quatre jours avant la commémoration du 25e anniversaire de la chute du mur de Berlin sortait en salle le film De l’autre côté du mur réalisé par Christian Schwochow, qui revient sur la fracture Est-Ouest. Un quart de siècle est passé depuis le 9 novembre 1989 et l’Allemagne n’a pas fini de panser ses plaies. Celles-ci restent bel et bien ouvertes à en croire la récurrence du thème dans son paysage cinématographique. En témoignent notamment les réussites populaires telles que Good bye Lenin (2003) de Wolfgang Becker, La vie des autres (2006) de Florian Henckel von Donnersmarck et enfin Barbara (2012) de Christian Petzold. Difficile en effet de faire abstraction de la mémoire collective de la quarantaine d’années passées sous le « rideau de fer » – selon la célèbre expression de Winston Churchill – marquées par des relations américano-soviétiques sur le fil du rasoir.

Chronique d’un laborieux passage à l’Ouest :

De l’autre côté du mur se déroule dans le Berlin des années 1970, divisé en secteurs d’occupation. La capitale est une enclave en territoire soviétique et le théâtre d’incessantes intrigues entre les services secrets occidentaux et ceux de la terrible STASI (Staatsichereit : service de sécurité intérieure) de la RDA pilotée par l’URSS. Dans ce décor, Nelly, jeune veuve d’un scientifique russe, et son petit garçon Alexei quittent Berlin-Est pour émigrer à Berlin-Ouest. Ils passent de l’autre côté du rideau de fer, non sans mal, via le fameux check-point Charlie, où occidentaux et communistes se toisent en chiens de faïence. Jusqu’alors le scénario est assez proche à tout point de vue avec le Barbara de Christian Petzold. Le film de Christian Schwochow se démarque quand Nelly et Alexei atterrissent dans un centre d’hébergement d’urgence de Berlin-Ouest tenu par les Américains. Afin d’obtenir le passeport pour vivre à l’Ouest, il leur faut montrer patte blanche et paraître dociles lors des interrogatoires des services secrets américains sur leur vie antérieure de l’autre côté du mur. Nelly entame un marathon administratif durant lequel elle se retrouve confrontée au passé qu’elle tente d’oublier. Mais l’intrigante personnalité de son ex-compagnon russe, Vassili Batalov, va resurgir et constituer un handicap à l’obtention du précieux sésame pour le monde occidental…

Berlin-Ouest un eldorado incertain :

Loin des clichés manichéens classiques pro-Ouest, le film De l’autre côté du mur rétablit un certain équilibre dans la perception des deux camps antagonistes. Le réalisateur tend à montrer que les Alliés aussi savaient faire preuve de rudesse et de bureaucratie kafkaïenne. Ainsi, l’univers des personnages est avant tout ce centre d’hébergement, s’apparentant plus à un camp de prisonniers qu’à un centre de vacances. Les aspirants à une nouvelle vie y sont soumis à rude épreuve : promiscuité, lourdeurs administratives, intimidations, pressions, etc… Le camp s’avère être un précieux centre de renseignements pour les services secrets américains qui profitent de ce transit de population pour soutirer des informations aux personnes en rétention sur le camp adverse. Finalement, les migrants retombent dans un macrocosme semblable à celui qu’ils abhorrent et viennent de quitter : celui de la RDA et de son effrayante STASI. Mêmes interminables interrogatoires, interrompus par la secrétaire portant le café (à l’Est comme à l’Ouest !), mêmes formulaires à remplir, mêmes attestations à produire, un véritable calvaire bureaucratique. Une fois les barrières administratives franchies les « Ossis » (surnom des habitants de la RDA, dérivé du mot « Öst » : Est) sont confrontés à la difficulté de s’insérer dans le monde professionnel, leurs diplômes méprisés par les « Wessis » (habitants de l’Ouest, dérivé du mot « West »). Face à ces obstacles, certains migrants en viennent même à retourner à l’Est.
Ce climat de suspicion perpétuelle entraîne Nelly, chimiste à l’esprit pourtant rationnel, dans une logique de paranoïa aiguë qui va l’amener à se méfier de tout le monde, y compris de ses amis. Le réalisateur Christian Schwochow rend bien compte de cette ambiance oppressante en optant pour de longs plans serrés dynamiques sur les personnages. Seul écueil, cette technique efficace finit par peser sur le spectateur.

Nelly et Alexei en partance pour Berlin-Ouest

Un film criant d’actualité :

En plus de commémorer le quart de siècle de la chute du mur, De l’autre côté du mur met en exergue des actualités brûlantes : celle de l’asymétrie de développement toujours visible entre Est et Ouest, et plus largement la rupture entre l’Occident et la Russie poutinienne. Le film souligne en creux cette fracture germanique fratricide, toujours perceptible, à travers le parcours heurté de Nelly. En effet, malgré des efforts financiers colossaux consentis par l’Allemagne (80 milliards d’euros), les cinq « Länder » de l’Est, formant l’ex-RDA, peinent encore économiquement : bas salaires, taux de chômage élevé, faible attraction économique. Preuve que l’on n’efface pas ainsi 43 années d’occupation communiste.
Durant la période du rideau de fer, Berlin a cristallisé les rivalités Est-Ouest et été le théâtre d’opérations retentissantes comme lors du blocus de la ville de 1948 à 1949, passages clandestins des check-points, échanges de prisonniers… De quoi alimenter l’imaginaire des scénaristes. De l’autre côté du mur restitue à merveille cet implacable univers de la Guerre Froide où l’activité d’espionnage entre services secrets étrangers faisait partie du quotidien. Les fans de John Le Carré ou de Graham Greene retrouveront ici la litanie de pratiques propres aux services de renseignements : chantages, filatures, dossiers personnels, pressions psychologiques, dénonciations, cadavres factices, accidents dissimulés, vrai-faux agent infiltré, etc. Impossible de savoir à qui se fier. Des agissements qui semblaient appartenir à un passé révolu et qui, malheureusement, reviennent sur le devant de la scène sur fond de crise ukrainienne et de révélations d’écoutes (affaire Edward Snowden). Signe que le schisme entre Occidentaux et Russes est loin d’avoir trouvé son dénouement.

La faïence montpelliéraine à l’honneur

La faïence traditionnelle de Montpellier s’expose jusqu’au 12 juin prochain au sein du musée Albert Ciurana de la faculté de pharmacie. L’occasion pour François Siffre, dernier artisan à faire perdurer cette tradition, de présenter des pots d’apothicaires en collaboration avec le musée Fabre.

À la recherche de la communauté juive du Moyen Âge

Ce week-end, Haut Courant vous propose une série consacrée aux mystères. Aujourd’hui, la présence juive à Montpellier. Elle remonterait à la création de la ville en 985 et est attestée dès 1121. À la veille d’une troisième campagne de fouilles archéologiques au cœur du centre historique, retour sur le passé médiéval de la ville et de son lien avec la communauté juive.

Philippe Secondy : «L’extrême droite est historiquement ancrée dans le Midi »

Docteur en Science Politique et chargé de cours à l’Université Montpellier I, Philippe Secondy a comme spécialité l’étude de l’extrême-droite dans la région. Il est notamment l’auteur de « La persistance du Midi Blanc – L’Hérault (1789 – 1962) » (aux Presses Universitaires de Perpignan) et a participé à l’ouvrage collectif « Extrême droite et pouvoir en Europe » dirigé par Pascal Delwit et Philippe Poirier (Éditions de l’université de Bruxelles).

Du Mur de la honte à la liberté

1989-2009, voilà 20 ans que le Mur de Berlin est tombé. Un souvenir marquant que les Berlinois vont commémorer avec liesse ces prochains jours. Hautcourant.com se rend sur place pour couvrir l’évènement et mieux comprendre ce tournant de l’Histoire. Dès dimanche, retrouvez notre dossier spécial anniversaire de la chute du Mur.

« Sortir couvert » a toujours été à la mode

Jusqu’au 30 avril 2009, l’histoire du préservatif en France est exposée à la Maison de la prévention de Montpellier. L’occasion de se rappeler que la capote existe depuis plusieurs siècles. Longtemps condamnée par les autorités morales et politiques, ses modèles et usages ont évolué en même temps que les mœurs.

Saviez-vous que Louis XIV utilisait des préservatifs de luxe, fourrés de soie et de velours? Une quinzaine de panneaux sur l’histoire du préservatif en France est exposée à la Maison de la prévention de Montpellier jusqu’au 30 avril. Une expo qui se veut grand public, ludique et parfois franchement humoristique !

On apprend ainsi qu’au XVIè siècle, les capotes étaient faites en boyau animal et maintenues par un ruban de tissu. Au XVIIIè siècle son essor est lié au libertinage pour se protéger davantage des maladies sexuellement transmissibles que des grossesses non désirées. Paradoxe de l’usage, il est pourtant réutilisable. Et le mode de contrôle est des plus artisanal. Des gravures de l’époque nous montrent Casanova entouré de donzelles en train de soufller dedans pour vérifier qu’il n’est pas troué ! Combattu par l’Église catholique, il se vend sous capes, emballé dans… de faux paquets de chocolat.

La politique nataliste après la première guerre mondiale pousse les pouvoirs publics à interdire sa promotion jusqu’en 1987, date à laquelle il est enfin autorisé d’en faire la publicité mais seulement contre les MST. Jusqu’à 6 mois de prison et 5 000 francs d’amendes, c’était cher payé de se protéger ! La règlementation n’empêchera pas la diffusion de modèles variés (formes et couleurs) dans les années 1950.

Et puis pour rappeler que le préservatif est un compagnon de route, des capotes « Saddam Hussein » sont remises aux GI’s américains pendant la guerre du Golf qu’ils utilisent dans les bordels… et pour protéger les canons du sable! Avec la commercialisation de la pilule en 1967, il est peu à peu relégué au second plan des moyens de contraception. Les « années Sida », le préservatif féminin ou l’apparition de modèles gadgets, pas toujours aux normes d’ailleurs, remettent la capote au goût du jour.

Bon anniversaire Claude Lévi-Strauss

L’anthropologue français Claude Lévi-Strauss a 100 ans. A cette occasion, retour sur l’un des plus grands penseurs du XXe siècle, sur un humaniste qui a su apporter les clefs théoriques pour une compréhension de la vie sociale

Il y a de ces êtres humains qui sortent de l’ordinaire. Il y a des ces penseurs qui marquent une époque. Il y a de ces génies qui n’accèdent à la reconnaissance qu’une fois décédés. Trop peu sont ceux qui peuvent être discutés de leur vivant, honorés ou déshonorés pour leurs travaux. Claude Lévi-Strauss est de ceux là, il a aujourd’hui 100 ans.

Une vie pour comprendre

Claude Lévi-Strauss est avant tout un homme qui aime l’être humain. Un siècle d’existence dont une bonne partie consacrée à l’analyse de ses congénères résidant au fin fond de la forêt amazonienne. Anthropologue de génie, il a apporté aux sciences humaines une vision nouvelle sur ces peuplades du bout du monde trop souvent qualifiées de « barbares » par les explorateurs qui ont pu danser avec l’amazone. « Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie » leur répondait-il. De toute manière, ces voyages et ces explorateurs, il les haïssaient, reprise du célèbre incipit de son best seller « Tristes Tropiques » paru en 1955. « Ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité ». Une haine de ces voyages qui ne parvenaient qu’à saisir du bout du doigt ces cultures, sans jamais réussir à rentrer en profondeur dans leur constitution et leur fonctionnement. Des explorateurs qui colonisaient plus qu’ils apprenaient. Des explorateurs qui ne pouvaient se détacher de leur culture propre pour comprendre le différent.
Le différent, c’était sa raison de vivre, c’était son métier. « L’anthropologie est une discipline dont le but premier, sinon le seul, est d’analyser et d’interpréter les différences ». C’est en ces termes qu’il qualifiait sa science dans « Race et Histoire ». Faire des « barbares » des individus, étudier la « pensée sauvage » plutôt que la « mentalité primitive » qui, renvoyait selon lui, à une domination colonialiste savante. Il a fait de ces sociétés lointaines, un objet de compréhension du monde, un laboratoire d’étude de l’analyse de la vie sociale.

Reconnaissance unanime

Ses études, ses réflexions ont donné naissance à des publications, de nombreux livres, un courant issu de la linguistique : le structuralisme. Ce courant anthropologique suppose que la structure sociale génère des pratiques et des croyances propres aux individus qui en dépendent, de manière inconsciente. Elémentaire et pertinente, elle inspira entre autres Deleuze, Foucault ou encore Bourdieu.
Des travaux qui restent unanimement reconnus pour leur rigueur et leur précision. Décoré de la Grand-croix de la légion d’honneur, il fut également nommé commandeur des arts et des lettres. En 2008, ses écrits font leur entrée dans la prestigieuse collection de la bibliothèque de la Pléiade, à côté de ceux de Malraux, Gide ou Yourcenar.
Une récompense dont il ne se soucie guère, préférant dénoncer les dérives actuelles de nos civilisations.

Triste monde

Fuyant la France pour New York pendant la guerre, il assista aux prémices de la folie des hommes, il dénonça la transformation du monde. « L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat. » Phrase bien contemporaine. Elle a en vérité plus de cinquante ans. Ce monde qu’il aime tant semble au fur et à mesure se gangrené, ses terrains d’études favoris disparaître. « Vue du dehors, la forêt amazonienne semble un amas de bulles figées, un entassement vertical de boursouflures vertes, on dirait qu’un trouble pathologique a uniformément affligé le paysage fluvial ». Une maladie crée par l’homme qui finira par rendre ses tropiques bien tristes.

Un hommage à sa mesure

L’académicien est aujourd’hui centenaire. L’hommage qui lui sera rendu sera vraisemblablement à la hauteur de son œuvre, de sa carrière. Le quai Branly à Paris lui consacrera une journée le 28 novembre en proposant chaque heure une visite guidée à travers les 1500 objets qu’il a ramené de ses périples. Des films choisis par l’écrivaine Catherine Clément retraçant sa vie seront également diffusés tout au long de cette journée. Les nombreuses photographies qu’il a rapportées seront exposées.
Un hommage à sa mesure, humble, loin des strass et des paillettes, qu’il a toujours fuies.