L’arrivée du numérique suscite la colère des dernières radio libres

Par le 16 mars 2009

La TNT bien installée, c’est maintenant au tour de la radio de passer à l’ère numérique. Résistantes ou peu enthousiastes, les radios libres contestent les choix techniques de l’Etat. Au banc des accusés, le T-DMB, un système de diffusion que la Corée est pour l’instant la seule à utiliser.

L’Eko des Garrigues trouve le son RNT « peu convainquant ». Radio Clapas s’indigne de ce qu’elle nomme « une machine à nous exclure ». Divergences FM critique le choix du CSA « rien moins qu’absurde » pour une norme de diffusion que les Coréens et les Français seront les seuls à utiliser (le T-DMB ou Diffusion multimédia numérique terrestre). Alors qu’est prévu courant 2009 l’ouverture des candidatures dans le pourtour montpelliérain, la Radio Numérique Terrestre (RNT) suscite une forte hostilité dans le milieu associatif local.

Déjà mise en place dans plusieurs pays de l’Union Européenne, l’idée avancée par le gouvernement l’année dernière est pourtant séduisante à plus d’un titre. Stopper son émission de radio favorite pour la reprendre quelques minutes ou plusieurs heures plus tard, afficher des images ou du texte en plus d’un son de meilleure qualité, autant d’arguments qui plaident en faveur du numérique quand les bons vieux postes accumulent la poussière et les parasites. Mise en place d’ici 2012, la RNT devrait cohabiter avec les ondes radio classiques au moins jusque 2020, comme le font actuellement la TNT et l’analogique pour la télévision.

Ce passage de flambeau a beau augurer monts et merveilles, il ne fait pas que des heureux. Les radios de catégories A, dites associatives, dénoncent depuis le début l’accompagnement de l’Etat, lacunaire, et des aides pour l’instant inexistantes. Les conditions d’exercice et les contraintes d’accès au numérique sont pourtant draconiennes : l’obligation pour les radios associatives de trouver un prestataire (ce qui met fin à l’autodiffusion) et de se regrouper à plusieurs en SARL, de même que le pari du système de diffusion coréen (D-TMB) au détriment de la norme en vogue (DAB) ; deux signes annonciateurs d’ « un bulldozer auquel seuls les gros survivront » selon Jean Paul Gambier, membre de Radio Clapas.

Alors que leurs ressources pourraient diminuer, les radios associatives se préparent donc à de nouveaux coûts. Le président de la fédération des radios associatives ne se prive d’ailleurs pas de comparer l’idée du CSA de créer des collectifs à une : « incitation commerciale à former des groupes. » « Nous on n’est pas dans les affaires, on fait du lien social, renchérit-il. On tourne à 80% au bénévolat, pourquoi on devrait créer une société privée ? »

Membre actif de Radio Clapas, Jean Paul Gambier déplore le choix du D-TMB, initialement conçu pour la télévision, au seul motif des données associées. L’ajout de la vidéo rapprocherait un peu trop les médias audio et télé à son goût: « la radio avec de l’image, ce n’est plus vraiment de la radio. » S’il admet qu’« on ne peut pas être contre une révolution qui se fera de toutes façons sans nous », Jean Paul Gambier préférerait « passer au numérique autrement. »

« Les gros de la radios visent le monopole »

Constat que partage l’Eko des Garrigues, membre du collectif anti-RNT Radios en lutte. Le chef d’antenne Stéphane Tosi craint « de devoir se rééquiper, de trouver un prestataire puis un partenariat avec d’autres radios. » Au risque d’un impact sur la programmation, et à terme « la mort de la station. » Dans ce climat d’incertitude économique, l’attribution de la norme coréenne ferait presque rire. Là dessus, Stéphane Tosi a une explication toute faite : « Passer de la FM au numérique franco-coréen, c’est changer tous les postes radio, de la voiture au réveil. Il fallait relancer l’économie d’une façon ou d’une autre. Avec ça, c’est parti pour.» Jean Paul Gambier y voit plutôt un coup des lobbys : « Parce que les gros de la radio visent le monopole, ça arrangerait beaucoup de monde si on disparaissait.»

Des choix techniques discutables

Les choix techniques ne sont pas seuls à être montrés du doigt. Leur mise en application pourrait bien poser problèmes. Alors qu’un émetteur FM comme celui de la Paillade couvre un rayon d’environ 30km, il faudra 4 ou 5 antennes T-DMB pour desservir la même superficie en 2012. Quant aux fréquences utilisées, Gilles Gouget met en doute leur innocuité sur le corps humain : « efficaces ni à l’intérieur ni à l’extérieur », le directeur de la station Divergences FM assure que les nouvelles antennes devront « mettre le paquet pour espérer atteindre la chaîne Hi-Fi numérique du salon familial.»

« Précipité, hâtif », Gilles Gouget ne cache pas sa perplexité sur le dossier numérique. «Personne n’est prêt pour le T-DMB, pas même les constructeurs d’autoradios » soutient mordicus cet inconditionnel de la FM. Passer par le réseau Wifi, ou exploiter au mieux la technologie RDS, utilisée pour afficher les noms des stations sur huit caractères, en désespoir de cause les radios associatives se replient sur des options moins coûteuses que le numérique terrestre, sans toutefois vraiment y croire.

Selon un représentant de la radio ouvertement anti-RNT Canal Sud, cité par notre confrère le Canard Enchaîné, le passage au numérique coûterait à chaque station candidate quelques 17 222 € par an. Avec moins de 40 000 € de budget annuel pour L’Eko des Garrigues, 110 000 pour Divergences FM et quarante de plus chez Radio Clapas, dont plus de la moitié part en masse salariale, le calcul est vite fait. L’appréhension des directeurs d’antenne associative à tendre la main au progrès n’en paraît que plus logique. La marche forcée de l’Etat, que plus discutable.

Article paru sur midilibre.com le 15 Mars 2009

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à propos de l'auteur

Auteur : Romain Gouloumes

Faire dans l’originalité, laisser libre cours à sa plume, ne pas suivre les pas d’un autre, une tâche plus difficile qu’il n’y paraît. Dans une impossible mini-biographie de quelques lignes, d’abord, davantage encore dans l’impitoyable jungle du journalisme qui compte une petite quarantaine de milliers de collègues pour autant de concurrents. Dans ce contexte de guerre totale, hautcourant.com est un peu la première bataille de la bleusaille, une tranchée médiatique de la première chance où l’actu mondiale côtoie le quotidien montpelliérain. Quant à moi, le signataire parmi d’autres, je ne vous en dirai pas plus. Mon devenir ou mes aspirations, tout reste encore à définir, à peaufiner à grands renforts de panzer psychologique. Affaire à suivre donc, la plume au poing et du vitriol plein la tête.