« A Terre de Liens, la façon de travailler remet en cause des siècles de propriété privée »

Par le 28 janvier 2014

Être locataire de la terre que l’on cultive, plutôt que propriétaire ? Fondée en 1998, l’association Terre de Liens (TDL) accompagne les citoyens désireux de mener des projets agricoles alternatifs : TDL leur loue les parcelles qu’ils exploitent dans le respect de l’environnement. Haut Courant a rencontré Marie-Laëtitia Melliand, coordinatrice de la Fondation Terre de Liens.

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Haut Courant : Quel est votre rôle au sein de Terre de Liens?

Marie-Laëtitia Melliand: Je suis Coordinatrice de la Fondation Terre de Liens. Issue du Fonds de dotation Terre de Liens, créé en 2009, la Fondation, reconnue d’utilité publique depuis mai 2013, permet à Terre de Liens de recevoir des dons, ainsi que des donations ou legs de capitaux ou de terres.
Actuellement, nous sommes deux salariés au sein de la Fondation, le directeur, Jérôme Deconinck, et moi.
Nos missions sont principalement de faire connaître la Fondation à l’extérieur, de développer la collecte de dons, l’instruction de dossiers de legs ou de donation, la gestion des fermes détenues par la Fondation (rédaction des baux ruraux, la relation avec les fermiers, les travaux sur les fermes…) et plus largement la participation à la construction du mouvement Terre de Liens.

H.C : Les agriculteurs subissent une longue et violente crise économique. Terre de Liens propose-t-elle un modèle pouvant inverser la tendance?

M-L M : Terre de Liens propose à des porteurs de projet de leur mettre à disposition (bail rural) un outil de travail sous forme de terres agricoles et parfois de bâtiments et d’habitation, pour leur permettre une installation agricole sans avoir à s’endetter lourdement, sur une unité de production que nous jugeons économiquement viable.

tdl_bouteilles_c_boudes-gemonet_-2.jpg En très grande majorité, les fermiers de Terre de Liens font le choix de la commercialisation de leurs produits en vente directe ou de circuits courts. Tous sont en agriculture biologique, ce qui permet aussi une meilleure valorisation de leurs produits.
Enfin, un fermier Terre de Liens n’achète pas les terres et les bâtiments qu’il utilise mais restera locataire durant toute sa carrière. Leur endettement est donc moindre, et ils n’ont pas à mobiliser leurs capitaux dans du foncier. C’est d’ailleurs un des freins majeurs à l’installation agricole : trouver du foncier, puis être en mesure de l’acheter. Beaucoup de banquiers ne suivent pas, et s’ils le font, le taux d’endettement du fermier est souvent élevé. En effet, les prix du foncier ne cessent d’augmenter, liés à l’agrandissement, l’urbanisation, la spéculation.

La crise que connaît actuellement le monde agricole est pour nous largement intrinsèque au fonctionnement du modèle agricole moderne, qui pousse à la concentration et à l’agrandissement des exploitations, à l’industrialisation des méthodes de production, au développement des intermédiaires et des circuits de ventes longs, etc.

Pour autant, être fermier Terre de Liens ne prémunit évidemment pas des difficultés économiques.

H.C : En quoi le projet de TDL est-il une remise en cause de la tradition paysanne de rapport à la terre?

M-L M : Le « modèle traditionnel » repose sur la propriété privée. Classiquement, un paysan est souvent propriétaire d’au moins une partie de ses terres, et très souvent de sa maison d’habitation. Une fois sa carrière terminée, il reste bien souvent sur place, continue d’habiter la ferme tout en gardant parfois une parcelle de subsistance pour lui. Cela pose parfois des problèmes de transmission du lieu tant que la maison n’est pas libre ou que le fermier n’arrive pas à franchir le cap psychologique de la transmission. Cela les incite à louer à des agriculteurs déjà en place, donc alimente le cercle vicieux de l’agrandissement.

A Terre de Liens, nos fermiers sont locataires de l’ensemble de l’outil de travail, ferme, terre et bâtiments compris. Ils bénéficient d’un bail à carrière, qui leur garantit de pouvoir rester sur place jusqu’à la retraite.

Là où réside l’originalité du « modèle Terre de Liens », c’est que les fermiers doivent partir lors de leur retraite, et laisser la place au paysan suivant. L’ancien locataire doit donc avoir prévu un « après », mis de l’argent de côté pour sa retraite et ne peut pas compter sur la revente de ses biens ou de ses terres. Il est parfois difficile pour un paysan de partir de l’endroit où il a vécu et travaillé toute sa vie, mais cela fait partie du contrat. Nous essayons de faire de la pédagogie, mais notre façon de travailler remet tout de même en cause des siècles de fonctionnement basé sur la propriété privée.

H.C : L’association est propriétaire de nombreuses terres. Comment gérez-vous cela? Comment assurez-vous qu’il n’y ait pas appropriation par vous ou un agriculteur donné?

M-L M : La gestion quotidienne des terres est effectuée par les fermiers, nous n’avons pas notre mot à dire sur leur gestion et leurs choix économiques. Les seules contraintes sont d’ordre environnementales, car TDL ne signe que des Baux ruraux environnementaux (BRE) –un type de bail particulier avec clauses environnementales, notamment la certification en bio, biodynamie ou Nature et Progrès.
Bien qu’au fil du temps un paysan se sente de plus en plus « chez lui », il est locataire. TDL est avant tout un mouvement citoyen, qui regroupe plus de 10 000 personnes aujourd’hui, et beaucoup plus demain, nous l’espérons, donc nos terres sont une propriété collective ! Cela se traduit par des contacts entre les fermiers et les actionnaires et donateurs qui ont permis l’acquisition de leur ferme. Ainsi ils n’oublient pas que c’est bien grâce à la mobilisation citoyenne qu’ils ont pu s’installer.

H.C : Comment tout un chacun peut-il participer à votre action et plus généralement au sauvetage de l’agriculture?

M-L M : Il y a plusieurs moyens de passer à l’action :

tdl_pain_c_boudes-gemonet_-2.jpg – Par l’épargne solidaire : il est possible de souscrire des actions de notre société, la Foncière Terre de Liens – notre outil d’acquisition du foncier – pour 103 euros par action. Cet argent, qui pourra être récupéré par l’actionnaire selon des modalités définies à l’avance, sera mobilisé pour l’achat de domaines agricoles (terres, bâti) considérés comme viables, sur lesquels un porteur de projet a émis le souhait de s’installer et de devenir fermier de Terre de Liens. L’instruction des dossiers, qui est un processus long, est suivie par chaque association Terre de Liens dans les régions.

 Par le don, le legs, la donation : grâce au nouvel outil qu’est la fondation, il est possible de faire un don, un legs ou une donation et de bénéficier d’avantages fiscaux. Les dons d’argent servent au fonctionnement de la fondation et du mouvement, voire parfois à acheter des fermes. Les donations et legs de domaines agricoles sont évidemment les bienvenus !

 en participant à la vie de son association locale – Terre de Liens est présent dans toutes les régions – par l’adhésion, l’implication bénévole ou la participation au « groupe local Terre de Liens ».

Il y a des moyens d’implication pour chacun!

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à propos de l'auteur

Auteur : Grégoire Nartz

Parce que je considère que pour qu'une société fonctionne bien, il est important que les secrets d'une minorité soit connus de la majorité, le journalisme s'est imposé à moi comme une évidence. Vocation issue de réflexions et de prises de consciences, elle s'enracine dans ma volonté de lutter contre les inégalités, dans ma croyance en la capacité qu'ont les Hommes à changer leur destin, dans ma conviction que le Savoir est une arme, surtout lorsqu'elle est manipulée à plusieurs. Bac ES décroché en Isère en 2008, j'enchaine avec une première année en Histoire et Socio, puis sur une Licence en Science Politique à Lyon 2. En Septembre 2012, je pars pour un an à Chypre y accomplir mon Master 1, dans le cadre du programme Erasmus. Enquêtes de terrain, entretiens, animation d'une émission de radio m'ont permis de me roder à certaines techniques nécessaires à un journaliste. Ces années de formations et d'expériences ont développées chez moi le goût de l'écriture et celui de la recherche du fait. J'y ai entretenu ma curiosité, notamment pour les gens, leur parcours et leurs opinions. Etape clef dans mon parcours, le Master 2 Option du Journalisme de Montpellier est pour moi à la fois un aboutissement et une nouvelle étape. Blog perso: http://gregoirenartz.wordpress.com/