Mercredi soir, 19h00, affluence à l’opéra Berlioz. Les spectateurs sont venus assister à la projection du nouveau long métrage de Bahman Ghobadi, Les Chats persans. Dans le public, on distingue notamment les silhouettes noires et vertes du collectif Iran Azad. Car si le film sort bientôt en France, il ne sera jamais projeté en Iran.
Tourné à l’arraché, en dix sept jours seulement, le film met en scène Negar et Askhan, deux jeunes musiciens iraniens qui, malgré le bureau de la censure, montent un groupe de rock-indie à Téhéran.
Dans cette ville «où le son ne dépasse pas le sol», les jeunes musiciens répètent sous le bitume, dans des caves la plupart du temps, tels les « cats » d’un certain Chuck Berry.
Dans ce pays où il faut des autorisations gouvernementales pour enregistrer un disque, la jeunesse bouillonne et vit clandestinement. Puisque visionner des films ou écouter de la musique non conformes à la charia est puni de 70 coups de fouet. Puisqu’avoir vingt ans à Téhéran s’apparente à une épreuve de force, Negar et Askhan décident de quitter le pays avec de faux visas. Dans leur entreprise, ils vont rencontrer d’autres musiciens, cachés comme eux, brimés par un régime qui enserre la jeunesse en ses pinces.
Réaliser un film traitant du dynamisme et du foisonnement musical souterrain de la capitale iranienne a valu à Bahman Ghobadi d’être arrêté et emprisonné. Finalement libéré, il a déclaré dans Le Monde:
«En quittant l’Iran, je dis adieu aux dingues. Ils m’ont littéralement rendu malade. Le mépris dans lequel ils tiennent les artistes, la violence psychologique avec laquelle nous sommes traités est intolérable. Je ne pouvais pas mourir là-bas». D’ailleurs, tous les acteurs du film jouent leur propre rôle et, conséquence logique, ne retourneront pas dans leur pays. Ils iront faire de la musique là où elle n’est pas blasphème. Muselés, les jeunes étouffent en Iran, là «où tout te provoque». Et, parce qu’oser c’est automatiquement risquer sa vie, certains préfèrent se donner la mort.
Il y a dix ans, avec Un temps pour l’ivresse des chevaux, Ghobadi remportait la Caméra d’Or au Festival de Cannes. Cette année, Les Chats persans a été récompensé par le prix spécial du Jury Un Certain Regard. Tourné avec une caméra « SI2K » (l’État iranien détient le matériel 35mm), le film pourrait être assimilé à un documentaire tant les prises ont été rapides, «pour ne pas être repéré par la police».
On ne sait rien ou presque de ces chats persans tant ils sont bâillonnés. Ce long métrage servi par une bande-son pointue, oscillant entre indie-rock et soul persane, descend dans l’underground de Téhéran et offre une vision de ce qu’elle est réellement. A l’heure où Internet est cadenassé et l’information passée au crible fin, Bahman Ghobadi zoome sur la jeunesse iranienne, avenir d’un pays en état d’urgence.
Les chats persans (Kasi az gorbehaye irani khabar nadareh)
Sortie en salles : 23 Décembre 2009 Catégorie(s) :
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