VIDEO CINEMED #8 Haut Courant à la rencontre de Guillaume Giovanetti et Çagla Zencirci

Entretien avec Guillaume Giovanetti et Çagla Zencirci, les réalisateurs du long métrage Sibel. Au cours du Festival du cinéma méditerranéen, le site HautCourant vous propose une série de vidéos sur l’évolution du phénomène #metoo. Qu’en est-il un an après ?

SEANCE TENANTE #4 – Jean Lassalle, un héros atypique

On connait de lui son béret. Pierre Carles et Philippe Lespinasse ont suivi Jean Lassalle lors de sa campagne électorale de 2017. Un berger et deux perchés à l’Elysée ? raconte leur chemin au jour le jour, sans langue de bois.

4 avril 2017, au soir. Les onze candidats à l’Elysée sont présents au débat télévisé qui les oppose avant le premier tour de la présidentielle. Focus sur Jean Lassalle. Le Béarnais s’organise à sa manière dans les toilettes du studio. « Je n’ai rien préparé. Vous savez ma mère a mis huit jours à me mettre au monde. […] Je n’ai jamais pu rattraper le retard. » L’homme politique fait sourire. Voire carrément rire quand il compare la moralisation de la vie publique au toilettage d’un patient en maison de retraite. Le personnage est « un loser magnifique » s’amuse Pierre Carles, l’un des réalisateurs.

Alors pourquoi en faire le héros du documentaire ? Déprimés par le paysage politique français et assoiffés de révolution, Philippe Lespinasse et Pierre Carles se tournent vers les chefs d’Etat progressistes latino-américains. Dans le lot, Rafael Correa, Hugo Chávez… et Jean Lassalle, maire à 22 ans, qui n’a rien de sud-américain. Ni de Président. Mais les deux journalistes sont séduits. Ils voient en le berger de Lourdios-Ichère, un humaniste anti-libéral capable de gravir les échelons du pouvoir. Un pacifiste « le moins à droite des députés de droite », capable de remporter le « Château ». Il est difficile de les prendre au sérieux. Pourtant, les deux réalisateurs, « perchés » comme ils disent, en sont convaincus : le gardien de troupeaux sera à l’Elysée.

Pendant une année, ils décident de le suivre dans sa campagne électorale. Chargés aussi de l’aider à trouver les 500 parrainages nécessaires pour participer à la course folle vers la présidence. Une difficile chasse aux signatures où s’enchaînent les témoignages de soutien de ses proches et moins proches. Il faut dire que le petit candidat « libre, indépendant et populaire » rassemble tous les bords, du communiste au monarchiste qu’il charme par sa gouaille et son naturel. Quand il s’agit de chanter ou de monter sur les tables, Jean Lassalle est le premier volontaire. Le premier aussi à se cogner contre les meubles, renverser du vin et à ne pas reconnaître Philippe Poutou après deux minutes de conversation. Mais le berger n’en oublie pas une certaine part d’auto-dérision. « Vous savez, je suis une caricature ambulante », résume-t-il. Et cette caricature, quoique maladroite, croit en son pif.

Mais c’est sans compter sur ses faux pas. Comme le malheureux jour où le Béarnais rencontre Bachar el-Assad, jugé responsable de crimes de guerre. Le regard des réalisateurs change. Premières inquiétudes, les préludes à d’autres tracas. Ses brebis verront-elles l’herbe verte de l’Elysée ? Les résultats tombent. Malgré plus de 700 parrainages soit plus que Marine Le Pen, le candidat arrive en septième position avec 1.21% des voix. La réalité a refait surface.

En clôture de l’avant-première ce lundi à Cinemed, les deux journalistes, tantôt enthousiastes, tantôt désillusionnés, expriment leur joie d’avoir pu suivre le quotidien du berger le plus connu de France. Et comptent bien la partager avec leur reportage, dans les salles de cinéma en janvier 2019.

VIDÉO CINEMED #4 – Haut Courant à la rencontre d’Ariane Ascaride

Entretien avec Ariane Ascaride, actrice, réalisatrice et scénariste française. Au cours du Festival du cinéma méditerranéen, le site HautCourant vous propose une série de vidéos sur l’évolution du phénomène #metoo. Qu’en est-il un an après ?

SÉANCE TENANTE #2 – En liberté ! : un ballet de sentiments déjantés

Le dernier film de Pierre Salvadori projeté en avant-première de Cinemed dimanche 21 octobre, sortira en salles le 31 octobre prochain. Retour sur le « mélange de genres » que nous offre la séance tenante.

Deux ans après une intervention qui a mal tourné, le capitaine de police Santi, laisse derrière lui une veuve éplorée et Théo, un enfant attristé mais totalement admiratif de son papa. Décrit comme immense et valeureux, une statue à son égérie, arme au poing, est dressée face à la mer. Pourtant, au cours d’une arrestation et par hasard, sa veuve, Yvonne, lieutenant de police, découvre qu’il était en réalité un ripou et un « salaud ». Antoine, innocent derrière les barreaux depuis 8 ans en est sa plus grosse victime. Décidée à rétablir la justice, elle le retrouve à sa sortie de prison en lui cachant tout de son identité. S’en suivent des aventures toutes plus loufoques les unes que les autres, mêlées à leur vie sentimentale respective et leurs démons des huit dernières années.

Une histoire du soir pour rompre avec le deuil

L’histoire du soir pour endormir le petit Théo est le fil conducteur du film, sous forme de flashbacks dignes de James Bond. La première scène s’ouvre sur le capitaine Santi (Vincent Elbaz), glorieux policier en train d’arrêter des criminels avec une facilité sans nom. « Il était fort papa » se console Théo, admiratif. « Comme un lion », confirme sa maman, conteuse des récits volontairement enjolivés. Mais à mesure qu’Yvonne (Adèle Haenez) apprend la réalité sur son mari, l’histoire du soir se transforme : non, son père n’était pas le parfait justicier fantasmé. Théo ne comprend pas pourquoi sa mère lui conte soudainement un père magouilleur et malhonnête. Celle-ci entreprend alors une mission : rétablir la justice pour que le véritable coupable se retrouve derrière les barreaux, dans l’imaginaire de Théo. S’affranchira-t-il de l’image héroïque du père ?

« La réalité se transmet par la fiction », Pierre Salvadori.

Si Théo doit avancer avec ses yeux d’enfant, le chemin est plus long pour Yvonne. À son deuil s’ajoute l’acceptation. Huit années passées avec lui sans jamais rien savoir de ses agissements et de sa malhonnêteté… Perdue, elle se rend coupable des agissements d’un autre : son défunt mari. Une quête de rédemption dans laquelle elle retrouve l’amour avec Louis (Damien Bonnard), mais a-t-elle le droit d’aimer un autre que l’inconnu avec lequel elle vivait ? La réalité la pousse et l’aide à quitter son deuil marital, en quête de justice.

De la mort au rire : quand la vie rembourse

L’histoire s’annonce triste, dramatique et bouleversante mais à l’écran, rien de cela. Loin du polar et sous couvert d’humour, Pierre Salvadori campe des situations rocambolesques avec des personnages toujours plus fous : un psychopathe qui se promène avec sa tante découpée dans un sac ou encore un meurtrier accueilli très joyeusement au commissariat. Antoine (Pio Marmaï) et Yvonne s’entrechoquent dans une folie partagée croisée de mensonges. Antoine ignore jusqu’au prénom d’Yvonne, qui se fait appeler Louise et qu’il croit être prostituée. Leur planque au cœur d’un ancien bordel sadomasochiste, un braquage en tenue de latex et masques de bondage alimentent ce délire loufoque. Tout semble improbable et pourtant tout s’accorde à merveille.

L’injustice entre le mensonge et l’innocence

Pierre Salvadori se confie : certaines scènes ne sont pas « vraisemblables mais ça n’empêche pas les personnages d’arriver à une vérité ». Et la vérité finit par éclore : « Mieux vaut être un salaud qu’une victime. » Ainsi, le mensonge reste une fois de plus au cœur de l’œuvre du réalisateur. Yvonne ment parce qu’elle refuse la vérité. Elle en a « marre d’être coupable » quand Antoine, frappé par l’injustice en a « marre d’être innocent ». Parce qu’on lui « a volé 8 ans de sa vie, pour rien » il s’adonne à toutes les transgressions pour devenir coupable tandis qu’Yvonne tente de le réparer pour se sentir à nouveau innocente. Mais huit ans d’absence ont laissé une cassure dans le quotidien d’Antoine et sa compagne, Agnès (Audrey Tautou), même si leur amour semble intact. Elle ne le comprend pas, trouve qu’il est revenu avec la « cruauté des victimes » mais le poursuit pendant qu’il s’adonne, perdu, à des folies avec Yvonne sans vouloir perdre sa promise. Tout prête alors à croire qu’Antoine et Yvonne seront prêts à transgresser jusqu’aux règles de la fidélité.

En liberté ! est dédié au directeur de casting, Philippe Elkouby, décédé le 17 mars dernier.

 

 

La Réunion à Cinemed

17 élèves de Terminale L venus de la ville du Tampon sont arrivés vendredi dernier. Au programme, trois jours de stage pédagogique autour du film d’animation, La tortue rouge de Michael Dudok de Wit. Un bon moyen d’entretenir leurs vocations.

L’Océan Indien s’invite en Méditérranée. Comme tous les ans, Cinemed accueille son lot de lycéens passionnés par le cinéma afin de leur faire découvrir les différentes facettes du métier. Parmin eux, ceux du lycée Boisjoly au Tampon à la Réunion ont fait le déplacement. « C’est la quatrième fois consécutive que j’accompagne des élèves à ce festival, chaque année nous essayons d’en amener le plus possible », affirme Philippe Grondin, un des enseignants de l’option cinéma.

Les ambitions cinématographiques sont variées du côté des jeunes réunionnais. Peu sont attirés par la lumière des projecteurs. Arnaud, jeune amateur de documentaires est davantage interressé par les aspects techniques de leur production. « Intégrer l’option cinéma cette année m’a donné envie de me consacrer à ce genre et à continuer mes études en métropole par la suite », explique celui qui ambitionne de devenir cinéaste.

Une classe à majorité féminine

Marie-Ange quant à elle, souhaite exercer le métier de chef opérateur, encore peu féminisé . »Compte-tenu du poids de la caméra, on attribue souvent cette profession à des hommes alors qu’une femme serait tout à fait capable d’en faire autant », dénonce t-elle.

Si les femmes sont encore peu représentées dans le cinéma réunionnais, elles sont majoritaires dans la promotion emmenée par Philippe Grondin et Ludovic Lheureux. « Aujourd’hui on a une parité sur le nombre d’élèves qui s’intéressent au cinéma et notre groupe est majoritairement composé de filles. Ce qui laisse espérer que de futures cinéastes réunionnaises se fassent découvrir », entrevoit ce dernier.

Le cinéma réunionnais a de l’avenir

Même si l’industrie cinématographique tend encore à se développer sur l’île, l’intérêt des plus jeunes pour le septième art est grandissant. La Réunion accueille chaque année un festival du court-métrage et un autre pour le film fantastique. Le département d’outre-mer est aussi connu pour être une « terre de tournage ». « La politique de notre conseil régional vise davantage à ramener des équipes cinématographiques de métropole pour des productions à la Réunion » explique-t-il.

Autre regret pour les encadrants, le manque de formations sur le plan local qui obligent les lycéens à terminer leur apprentissage en métropole. Toutefois, ils restent fiers du parcours qu’ont pu réaliser les plus ambitieux.

« Parmi mes anciens élèves, ceux qui ont voulu continuer dans le cinéma ont intégré des grands établissements parisiens comme le Conservatoire libre du cinéma français ou l’Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) », se réjouit Philippe Grondin. Et si le futur Robert Guédiguian parlait créole ?

Mimi, une battante pas comme les autres

Pour le documentaire, Mimi, au corps tordu par une maladie génétique, se prête au jeu et se met à nue devant les caméras de Laure Pradal. À la clef, seize années d’obstacles et de rêves filmées par la réalisatrice montpelliéraine. Portrait d’une « costaud » sans faux-semblants.

Le titre du documentaire qui lui est consacré lui va si bien. Mimi, à fond la vie. De son vrai nom Murielle Manuel, Laure Pradal n’en raconte que son courage. Une énergie débordante qui ne manque pas d’humour. « Vous n’imaginez pas, elle est costaud. C’est un sacré personnage ! », confie la cinéaste. Mimi sourit. « J’ai des coups de blues comme tout le monde mais pas face caméra. »

Et la maladie ? « On s’habitue, je suis née avec. Alors quand j’ai une bronchite, j’ai l’impression que je vais mourir mais en fait non ! », rigole la jeune femme. Atteinte d’arthrogryphose de type 2, ses articulations sont touchées et sa mobilité réduite. À la naissance, les médecins ne lui donnaient que quelques jours à vivre mais aujourd’hui, Mimi a 30 ans. Des projets plein la tête. « Trouver un travail surtout, explique cette dernière. Dans un domaine que j’aime, près de chez moi, à Ajaccio. » Puis, continuer la le dessin, l’écriture, et la chanson « même si [sa] voix est horrible sans celle du chanteur ». « C’est un super DJ aussi », ajoute la réalisatrice, enthousiaste. Mimi est toujours en action malgré la maladie et ses obstacles.

Étoile depuis 16 ans

C’est à l’âge de 12 ans que Mimi a croisé l’heureuse route de la cinéaste. « Laure devait filmer un autre jeune handicapé (pour le documentaire L’hôtel de la plage) et je me suis imposée », se souvient la star de sa propre histoire. Avec la gouaille que ses amis lui connaissent. Puis tout s’est enchaîné. Deux documentaires pour la fameuse émission « Strip-Tease », trois autres pour France 3 et ce nouveau film. « Je devrais plutôt la remercier de m’avoir fait confiance et de m’avoir suivie. » Une aventure qui a duré 16 ans !

Il faut dire que jusqu’à ses 29 ans, la jeune femme attendait impatiemment le retour de ceux qu’elle aime appeler ses « paparazzis ». « Ils ont vu mon évolution, du centre d’hébergement à mon appartement », explique Mimi. C’est une nouvelle famille qui s’est construite. Entourée, médiatisée, Murielle s’amuse. Celle qui rêvait d’être actrice rejoue les scènes « comme pour le vrai cinéma », rigole avec l’équipe de tournage et ne se plaint presque jamais. Elle espère seulement. « J’aimerais que les choses avancent sur le handicap. Dans la recherche de travail, il n’y a pas de financement et les postes ne sont pas forcément adaptés », pointe du doigt l’héroïne. Un constat que dénonce aussi la réalisatrice. « La France est en retard sur ces questions là. À croire qu’il faudrait attendre qu’un de nos présidents soit infirme pour que ça évolue », déplore Laure Pradal. 

Mimi finit son café. Prête à enchaîner les festivals. Avec cette joie de vivre communicative.

40e Cinemed : le coup d’envoi est donné !

Mercredi soir à la Gazette Café de Montpellier, l’organisation du Cinemed a officiellement présenté la 40e édition de l’événement.

C’est un petit événement. Quarante ans, ce n’est pas rien. Depuis quatre décennies et sa première édition en 1979, le Cinemed fait voyager le public à travers les films de demain. Pour sa quarantième bougie, le festival a choisi de mettre à l’honneur le Liban. Un pari osé, mais justifié par le directeur de l’organisation Christophe Leparc : « C’est un pays avec un gros potentiel mais que l’Etat aide très peu, notamment à cause de la censure ».

Pour cette présentation officielle à la Gazette Café, restaurant situé à quelques dizaines de mètres de la Gare Saint-Roch, Christophe Leparc en a profité pour annoncer le programme du festival et laisser la parole à son équipe. A tour de rôle, les différents responsables de chaque section en ont profité pour faire saliver le public sur ce qui les attend. Michèle Driguez (responsable court-métrage), Géraldine Laporte (long-métrage), Henry Talvat (président d’honneur et co-fondateur du Cinemed) et Aliénor Pinta (programmation des documentaires) ont successivement pris la parole.

Géraldine Laporte au micro en compagnie de (de g. à d.) Michèle Driguez, Christophe Leparc, Henry Talvat et Aliénor Pinta.

Quelques célébrités et grand nom du cinéma seront présents pour cette 40e édition à l’instar de Kheiron ou de Robert Guédiguian accompagné de sa famille cinématographique. Mais aussi quelques habitué.e.s du festival seront de retour pour présenter leur film comme Laura Pradal et Sameh Zoabi, ou encore des scénaristes locaux et le Biterrois Romain Laguna.

Dans la catégorie des long-métrages, 10 seront en compétition, tandis que 21 brigueront le prix du meilleur court métrage.

Retrouvez toutes les informations sur le site officiel du Cinemed et rendez-vous dès le vendredi 19 octobre dans les salles pour une semaine passionnante.

GRAND ENTRETIEN – Dominique Cabrera : l’humain dans l’objectif

Durant la semaine du Cinemed, la cinéaste Dominique Cabrera a été mise à l’honneur à travers la rétrospective de son œuvre. L’occasion de (re)découvrir une filmographie aussi vaste qu’hétéroclite. Dernier film en date : Corniche Kennedy, réalisé sur les bords de la Méditerranée qu’elle affectionne particulièrement. Et un nouveau projet qui se dessine…

  • Le Cinemed vous a mis à l’honneur à travers une rétrospective de votre oeuvre. D’où est née cette collaboration?

L’idée est venue du Cinemed. Les organisateurs du festival, qui voulaient projeter tous mes films, ont appelé Julie Savelli, qui enseigne le cinéma à l’université Paul Valéry. J’ai fait la connaissance de Julie il y a trois ans, au cours d’une rencontre organisée par le Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP). Elle étudie mes films et projette d’écrire un livre sur mon travail. Pour le Cinemed, nous avons décidé de présenter mes films de manière thématique plutôt que chronologique. Elle a fait un magnifique travail de préparation pour la rétrospective. D’ailleurs, c’est elle qui a animé ma masterclass durant le festival.

  • Quel est le fil conducteur dans votre œuvre cinématographique ?

Lorsqu’on fait des films, on ne cherche pas à créer un fil rouge. C’est bien la même personne derrière la caméra. Mais cette personne a changé à travers les années. Comme tout le monde, j’ai vieilli, j’ai été affecté par mon époque, par les mouvements de ma propre vie. Ça s’est ressenti dans mes films. La vie à un effet sur moi et il y en a un écho dans mes films. Quand je réalise mes films, je ne suis pas animée par l’idée de faire une œuvre cohérente. En observant ma filmographie, les spectateurs peuvent y voir un sens. C’est à eux de déterminer s’il y a un fil conducteur ou non. Finalement, j’imagine qu’on a ce sentiment en regardant mes films.

  • Vous avez réalisé six films sur la banlieue. Pourquoi s’intéresser à ce sujet?

Ça ne s’est pas présenté à mon esprit de cette manière-là. D’abord, je ne me suis pas dit « je vais faire une série de films sur la banlieue ». C’est à l’occasion d’une promenade dans une tour murée au Val-Fourrée (Yvelines) que j’ai eu la vision de Chronique d’une banlieue ordinaire (1992). J’ai imaginé faire un portrait des anciens habitants qui témoigneraient de la vie dans ces tours. Comme j’avais passé moi-même mon enfance dans une cité HLM, c’était une occasion de réhabiliter la mémoire, la beauté de ces lieux pour les personnes qui y avaient vécu. Je me disais : « jamais on ne filme ces lieux comme des lieux chargés de poésie ». Pourtant, les enfants, les adolescents et les adultes qui y ont vécu ont pu les voir comme un endroit où on éprouve des sentiments de beauté (la lumière par la fenêtre, le ciel, un souvenir, un son…). Je voulais réhabiliter une culture populaire dans ces quartiers.

  • Comment avez-vous réussi à contacter toutes ces personnes ?

De fil en aiguille, par un travail qui a duré 3-4 ans. Certains habitaient autour du quartier, certains habitaient plus loin. Des liens avaient été gardés avec certains… ça a duré très longtemps. Et puis, retrouver les habitants, ce n’était pas tout. On a retrouvé beaucoup plus de personnes qu’il n’y en avait dans le film. Le but était surtout de trouver des habitants qui étaient intéressés par un tel travail avec moi. C’était de trouver des individus d’une sensibilité voisine de la mienne, qui pouvait s’intégrer facilement dans cette histoire. Il y a aussi une part de chance, de hasard, de rencontres, de temps passé.

  • Dans ce documentaire Chronique d’une banlieue ordinaire, la musique est traitée de façon originale. Est-ce le cas pour tous vos films ?

Chronique d'une banlieue ordinaireLa plupart du temps, la musique de mes films est composée. Je travaille avec une très bonne compositrice, Béatrice Thiriet, qui a fait la musique de la quasi-totalité de mes films.Pour Chronique d’une banlieue ordinaire, j’ai collaboré avec un très bon compositeur qui s’appelle Jean-Jacques Birgé. Les collaborateurs artistiques ont beaucoup d’importances dans le travail d’un film. Le type de relations qu’on peut avoir avec eux, le type d’ouverture, le fait qu’ils vont entendre votre musique intérieure. Ces deux-là ont bien entendu ma musique intérieure. Ils en ont restitué quelque chose d’une manière dont j’aurais été moi-même incapable.

  • Dans votre œuvre, vous passez en revue une grande palette de formats (documentaire, fiction, autobiographie…). Est-ce facile de passer d’un format à un autre?

Le système de chaque film est différent et demande un travail plastique différent. C’est-à-dire que la matière cinématographique est définie par le type de projet qu’on a. Il y a une différence entre un film autobiographique qu’on va filmer tout seul, avec deux acteurs en 30 jours de tournage, et un film à « grand budget » avec 25 acteurs et 80 jours de tournage. Ce n’est pas le même film. La matière n’est pas la même, les collaborateurs ne sont pas les mêmes. Au cinéma, il y a un lien très fort entre les moyens et le projet. La réflexion évolue aussi au fur et à mesure du projet.

  • Quand vous réalisez un film, arrivez-vous à anticiper la réaction du public ?

On n’en sait rien à l’avance. Moi je vais faire un film à partir d’une émotion, à partir d’une vision, à partir de la volonté de dire quelque chose. Savoir si les spectateurs vont aimer, c’est la grande question, on n’en sait rien. On lance le film dans l’inconnu. Je ne crois pas qu’on fait les films à partir de leur réception. On doit les faire à partir de leur création, à partir de votre inspiration intérieure, et pas à partir du regard de l’autre.

  • Dans Demain et encore demain (1995), vous vous filmez pendant un an. Se filmer agit-il comme une thérapie ?

Non, je ne crois pas qu’il s’agisse d’une thérapie. Mon but, c’était de faire un film. Le travail effectué était un travail sur le cinéma, pas sur le fait d’aller mieux. L’objectif était de faire une forme, de raconter quelque chose. Certes, faire cette autobiographie m’a fait progresser dans ma vie, tout simplement parce que j’étais heureuse de finir une forme cinématographique. C’était un pas, par rapport à une sorte de chaos. Ça m’a fait du bien et ça m’a procuré du bonheur.

  • Vous travaillez actuellement sur un nouveau film : Nejma, fille de harkis, où en est le projet ?

C’est un film que j’ai essayé de faire entre 2006 et 2010 sans y parvenir. J’ai écrit plusieurs versions du scénario, et j’en suis arrivée à une version finale qui me satisfait aujourd’hui. J’ai eu des difficultés à le monter en termes de production en raison du manque d’argent à ce moment-là. J’avais donc tourné la page, j’ai fait d’autres films entre temps. Dans le cadre de ma rétrospective, le Cinemed m’a proposé de faire lire le scénario par les superbes jeunes acteurs de l’Ecole Nationale Supérieure d’Art Dramatique (ENSAD). Cette lecture m’a donné un nouvel élan. Dans ce film, j’ai essayé de faire comme pour tous mes films, c’est-à-dire de faire un aller-retour entre des questions très intimes et personnelles, et un mouvement général de l’Histoire, entre la France et l’Algérie.