Mario Balotelli: footballeur, noir et Italien

«Un Italien noir, ça n’existe pas!», «Noir de merde, tu n’es qu’un noir de merde!», «A mort Balotelli!». Ces cris et chants racistes, entendus le 18 avril dernier à l’occasion du match entre la Juventus de Turin et l’Inter de Milan, s’invitent régulièrement dans les stades italiens. Mais cette fois, ils ont suscité une indignation particulière. D’abord parce qu’ ils n’étaient pas le fait d’un petit groupe de supporteurs fascistes à la réputation sulfureuse – argument souvent bien pratique pour détramatiser ce genre d’incidents – mais de presque tout le Stadio Olimpico de Turin. Ensuite parce ce qu’ils s’adressaient à un grand espoir du football italien.

Privilège. Mario Balotelli a 18 ans, mesure 1,88 mètre, est international chez les moins de 21 ans et attaquant de l’Inter de Milan. Ses parents ont quitté le Ghana pour la Sicile en 1988, peu de temps avant la naissance de Mario, qui présente très vite d’importants problèmes de santé. Opéré à trois reprises pour une malformation de l’intestin, il passe la première année de sa vie à l’hôpital. Sa famille émigre ensuite dans un village de la région de Brescia, en Lombardie, où elle vit dans une extrême précarité. Les services sociaux italiens confient alors Mario, âgé de 2 ans, à une famille adoptive: les Balotelli. Adolescent, il intègre le club de troisième division de l’ AC Lumezzane avec lequel il débutera chez les pros à l’âge de 15 ans à peine, au bénéfice d’une dérogation fédérale. En 2006, l’Inter le repère et décide de le recruter moyennant une indemnité de 350 000 euros. Profitant notamment de la blessure d’Ibrahimovic et de la petite forme de Hernan Crespo, les attaquants vedettes du club, « Turbo Mario » se fait remarquer l’année suivante en claquant 6 buts lors de ses 9 premiers matches. A sa majorité, le 12 Août 2008, le maire du village de ses parents adoptifs lui donne la nationalité italienne. Un privilège rare au regard du droit italien, basé sur le droit du sang. C’est que le gosse pourrait bientôt être utile à la squadra azzura, l’équipe nationale italienne.

Vice. D’où les réactions en cascade qui ont suivi les incidents du 18 avril dernier. Le président de la Juventus Giovanni Gigli a présenté ses excuses au nom du club alors que son homologue de l’Inter Milan, Massimo Morati, est monté au créneau dans la Gazzeta Dello Sport: « Si j’avais été au stade, j’aurais quitté la tribune et demandé à ce que l’équipe arrête de jouer. Certains commentaires faits à la télévision ont également été odieux. J’ai peur que l’Italie se soit habituée au racisme« . L’arbitre de la rencontre a été par ailleurs vivement critiqué pour ne pas avoir réagi. Il a pourtant respecté le règlement: en Italie, seules les banderoles à caractère raciste obligent à arrêter un match. Pas les cris. Depuis, le président de l’UEFA Michel Platini a annoncé que « quand ce genre de situation se produira, la rencontre sera suspendue pendant dix minutes et des annonces seront faites à l’intérieur du stade« , ajoutant que le match serait définitivement arrêté si la situation perdurait. Giancarlo Abete, président de la fédération italienne de football, a appuyé la proposition de Platini. La ligue, de son côté, a condamné la Juventus à jouer un match a huis clos, le 3 Mai prochain face à Lecce. La sanction peut paraître dérisoire. L’entraîneur de la Juve Claudio Ranieri, lui, l’a jugé « injuste« ; avant de promettre qu’il ordonnerait à ses joueurs de quitter le terrain si l’évènement venait à se reproduire. Le technicien a son explication sur les injures dont a été victime le joueur de l’Inter: le racisme est « un vice typiquement italien« . Bof. José Mourinho, l’entraîneur de Balotelli, propose une autre interprétation des faits, entre mauvaise foi et foutage de gueule. Pour lui, les cris des supporteurs de la Juventus n’étaient « pas du racisme, mais seulement une façon ignorante de montrer sa désapprobation à un adversaire antipathique parce qu’il a marqué un but« . Ouf, nous voilà rassuré…

L’élégance de la boucherie incarnée

Une moissonneuse, un sécateur, une cisaille… bref, un boucher du football. Digne des plus grands, (Materazzi, Heinze, Rool), Francis Llacer aura touché des crampons bien plus de chevilles que de ballons dans sa carrière. Un accro de la biscotte, du « ptit jaune » : un Mozart du tacle.

Un sourire narquois et moqueur. Le natif de Lagny-sur-Marne vient de prendre un carton. C’est sa spécialité. 90 minutes sur le terrain, connaît pas. Quand Llacer est titulaire, il voit rouge avant le coup de sifflet final. Quand il rentre dans les arrêts de jeu, il finit en jaune. Exemplaire, intemporel, nonchalant et sans style, c’est un pied carré de haut vol. Pourtant ce terroriste des terrains laisse un palmarès envié, achevé par un Ballon de Plomb, antithèse du Ballon d’Or, « trophée le moins prestigieux du football européen » pour lequel les internautes votent sur « les choix de carrière ridicules, la nullité intrinsèque et l’attitude personnelle déplorable ».

Il les accumule. Aujourd’hui renommé officieusement « Trophée Francis Llacer », le Ballon de plomb des Cahiers du Foot synthétise dans ses critères aussi bien l’homme que le joueur.

Des choix de carrière énigmatiques

Llacer.jpgLe petit blond de la banlieue parisienne naît avec un handicap majeur pour qui rêve de devenir joueur de football professionnel : il veut jouer au Paris-Saint-Germain. A force d’abnégation, de sacrifices et d’heures à peaufiner ses tacles haut dans son jardin, « Cisco » entre brillamment au centre de formation du club de la capitale. Résultat, il est promu capitaine de la réserve et sélectionné en équipe de France espoir. 1991, un aboutissement. Le boucher de Lagny devient pro. Un miracle surgit de nulle part en 1993 : aussi improbable qu’un nouveau trophée pour l’OM, Francis marque un but de génie. Non pas un tacle en pleine lucarne mais bel et bien une reprise de volée zidanesque de trente mètres en plein dans la lucarne opposée d’un Richard Dutruel déconcerté.

La suite de sa carrière sera grotesque. Quand son mentor Luis Fernandez, adepte des kamikazes du rectangle vert, quitte le PSG. Llacer est orphelin d’un homme qui l’a toujours compris. Désœuvré, il part se blesser à Strasbourg puis revient à Paris où les plus bourrins des ultras sont aux anges de revoir les chef-d’œuvres de Maître Llacer. Deux ans sous les couleurs parisiennes, puis l’envie de faire découvrir son art à d’autres contrées l’envoie, inexplicablement, à Saint-Étienne. Sa réputation le précède, il connaît l’euphorie d’être pris en grippe par les hommes en noir. Il s’exile en D2, direction Montpellier. Luis attaque et rapplique. Un ptit tour en TGV et retour au Parc des Princes. Nouvelle énigme. Pourquoi rapatrier le blondinet quand on a Heinze et Pochetinno ? La concurrence au niveau de la « rigueur » défensive atteint un niveau rarement égalé. Mais son histoire d’amour à Paris s’achève brutalement. Une finale de coupe perdue contre Auxerre, en grande partie à cause de lui. Un Fernandez plus en odeur de sainteté et des magouilles financières l’entraînent. Licencié pour faute grave, c’est ça la légende Llacer. Une retraite en queue de poisson pour ce mangeur invétéré de biscottes.

La nullité intrinsèque

Luis_fernandez.jpgC’est bien simple, de la technique, Francis Llacer n’en a pas. Un pur produit de la formation « made in Camps des Loges ». Pour lui, un contrôle s’effectue avec le tibia, une passe, avec une péripatéticienne. Hormis son but « d’anthologie » contre Dutruel, le football « franciscain » se jouait parallèle au sol, la gueule dans l’herbe et les crampons dans l’adversaire. Sa palette technique défensive large (intox’, coups de coude, tacles par derrière, tacles décollés, hauts, à la gorge, jeu dangereux …), très tôt détectée, a été vite récompensée par ses entraîneurs parisiens (tous élevés au culte de Schumacher – et du tacle « hauteur du visage » sur Batiston- que le petit Francis tente de copier). Il a pu étaler sa classe sur pas moins de treize « clasicos » contre l’OM, à l’époque où foot et pugilat se mélangeaient dans les travées du Vélodrome ou du Parc des Princes. Tout en poésie. Aussi surprenant soit-il : Cisco ne s’est jamais fait exclure d’une seule de ces rencontres.

Statistiquement, sa plus belle saison restera sa saison montpelliéraine (2000/2001) : 19 matches joués, 10 cartons jaunes, 2 cartons rouges. On n’est pas loin de chiffres à la Cyril Rool, dieu du ramassage de cartons. Comment parler de la nullité intrinsèque de ce latéral droit sans mentionner sa spécialité balle au pied : le but contre son camp. Elevé au rang d’art tout autant que le carton rouge ou la blessure du joueur adverse. Poétique on vous dit.

Viré du PSG pour usage de faux

Au cours de sa dernière saison pro, Llacer fait de rares apparitions, toujours dans les cinq dernières minutes. Le temps de taillader un tibia, prendre son carton et faire plaisir aux ultras. Parallèlement, son club de toujours connait quelques soucis financiers et judiciaires. Ni une ni deux. Paris a son bouc-émissaire : licenciement pour faute grave, accusé de faux et d’usage de faux. L’homme, si prompt à assumer ses attentats sur le terrain, réagit en seigneur. Pour seule et unique réponse à des questions plutôt embarrassantes, Cisco montre son postérieur à la sortie du Camps des Loges ! Quelle répartie.

C’est bien cela, la légende, violente, saugrenue et caricaturale de Francis Llacer.

Llacer parmi ses compères de l’Ordre des Bouchers