Depuis mi-février, la province canadienne connaît la plus forte grogne estudiantine de son histoire. Les jeunes protestent contre la décision du premier ministre Jean Charest d’augmenter de 82% en cinq ans les frais d’inscription dans les universités. Ils étaient plus de 200 000 manifestants dans les rues de Montréal au mois de mars. Ces derniers jours la révolte s’est durcie et s’est étendue à l’ensemble de la société québécoise.
Dépassé par l’ampleur des évènements, le pouvoir en place fait preuve d’impuissance et d’indifférence. Borné, il refuse de revenir sur sa décision. Aucune négociation significative n’est entamée avec les syndicats étudiants. Le seul compromis consenti par le premier ministre est de fixer une hausse plus forte de ces droits de scolarité sur une période plus longue. Une proposition naturellement rejetée en bloc par les grévistes. Enlisé dans ce mouvement qualifié de « printemps d’érable » par les médias, Jean Charest fait voter à la hâte une « loi d’exception », le 19 mai. Un véritable bond en arrière sur les droits et la liberté d’expression des jeunes québécois.
Ce dispositif répressif prévoit notamment de punir les étudiants récalcitrants par une amende de 1000 à 125000 dollars, par jour de « rébellion ». Sur place, la résistance s’organise et continue de faire front face aux arrestations policières et autres dérives qu’engendre les mesures prises par le pouvoir en place. Pour cette date symbolique du 22 mai, des dizaines de milliers de manifestants arpentent le bitume des principales villes de la province canadienne. Face à cette levée de bouclier, le gouvernement est à nouveau au pied du mur. La colère est telle que certains Français vibrent désormais en chœur avec les révoltés québécois.
Soutenir et célébrer la mobilisation de ce printemps d’érable
Les maquillages et carrés de tissus rouges, signes de ralliement des manifestants du printemps d’érable, dominent la foule rassemblée dans le centre-ville de Paris. Les pancartes et autres étendards arrivent au compte-goutte et se dressent sur une place Saint-Michel peu à peu prise d’assaut. L’heure des discours au mégaphone et des ferveurs collectives a sonné. Philippe, un thésard québécois vivant en Ile de France, prend la parole et dresse le portrait de ses camarades grévistes. Il encourage les manifestants à exporter la lutte en France (lien vidéo).
Rassemblement parisien du 22 mai en soutien aux… par masterjournalisme08
Parmi les participants à ce rassemblement de soutien aux étudiants, Louise Beaudoin. Cette figure politique du Parti Québécois, opposée à la politique libérale exercée par le gouvernement actuel se sent tiraillée entre «« espoir »» et « indignation ». « Cette jeunesse qui se révolte incarne un signe fort pour notre province. Au moment où je vais me retirer de la vie politique, je suis heureuse de constater que cette nouvelle génération se soulève. Mais je suis scandalisée par l’adoption d’une loi qui va à l’encontre des droits fondamentaux, à commencer par la liberté de s’exprimer. » La députée de la circonscription de Rosemont n’hésite pas à tirer à boulet rouge contre le pouvoir en place. « La résolution de ce conflit ne peut se faire que par la médiation, il faut établir un dialogue et non passer en force une loi-matraque. Il faut trouver une solution politique et non juridique. C’est sur ce point que se trompe le gouvernement Charest. Jusqu’à présent, les dirigeants n’ont pas trouvé de solution car ils n’en ont pas cherché ».
Même son de cloche pour Samuel, ancien étudiant en cinéma à Montréal. « Il est frustrant de voir que le gouvernement n’a jamais vraiment voulu s’asseoir avec les étudiants. Cette indifférence de Jean Charest et ces lois qui donnent un fort pouvoir à des policiers qui en usent et, j’ai l’impression, en abusent, donnent raison aux gens de descendre dans la rue. ».
« Chaque génération a son évènement politisant »
Si les manifestants parisiens se sont réunis pour dénoncer la crise politique et sociale que traverse le Québec, ils sont également là pour célébrer l’union de tout un peuple face à l’adversité. Le champ lexical de la dimension fédératrice du printemps d’érable se décline dans chaque discours et se lit sur toutes les lèvres. C’est ce que clame Joseph. Le jeune homme a étudié la littérature à Montréal l’an passé. « Cette révolte est inouïe. C’est un mouvement d’une ampleur inédite là-bas. Si elle continue à s’unir comme c’est aujourd’hui le cas, cette génération est capable de grandes choses. Je voudrais adresser ce message: Il faut rêver Québec, il faut rêver ! ».
Sur la place Saint-Michel, l’enthousiasme fuse. Beaucoup estiment qu’une page est en train de se tourner. La lutte a désormais atteint un point de non-retour. L’ensemble de la société en sera changée, bouleversée. Beaucoup sont convaincus que l’implication citoyenne des jeunes en sortira renforcée. A en croire Christophe, de passage à Paris et étudiant en science politique dans la ville de Québec, « Chaque génération a son évènement politisant. Aujourd’hui nous assistons à l’éveil ou plutôt au réveil d’une jeune génération, qui pour la première fois essaie de comprendre la vie politique et a l’envie d’exprimer ses idées».