Challenge Millésime Bio : « Ici on ne boit pas, on goûte »

Ça renifle, ça observe, ça déguste et ça recrache. Mais où donc ? Au concours des vins Millésime bio, qui s’est tenu dix jours avant l’ouverture du salon. Reportage.

9h30 à l’Altrad Stadium. Les rugbymens montpelliérains Louis Picamoles, Nemani Nadolo et consorts, résidants habituels des lieux sont aujourd’hui remplaçants. Remplacés plûtot, par une équipe autrement plus disparate : les dégustateurs du Challenge Millésime Bio. L’horaire est bien matinal pour déboucher les bouteilles mais plusieurs dizaines de personnes s’amassent déjà dans la salle de réception du stade. Une organisation bien ficelée pour les 400 membres du jury qui vont délivrer les précieuses médailles d’or, d’argent ou de bronze. À l’heure des croissants, c’est tout le petit monde de la viticulture qui se retrouve pour le plus grand salon du vin bio hexagonal. « Ici, on ne boit pas, on goûte !  », lance Didier, œnologue amateur, présent pour la deuxième fois au concours. Une nuance importante que les crachoirs à vin disposés sur chaque table vient rappeler.

La voix de Thierry Duchenne, le directeur de Sudvinbio et organisateur du Challenge, retentit. Le gong vient de sonner. Les dégustateurs rejoignent les dizaines de tables rondes où ils ont été soigneusement placés. « Un minium de trois personnes par table, comprenant au moins un professionnel du vin », explique une organisatrice. Il s’agit de ne pas délivrer les précieuses médailles à la légère ! Un macaron doré ouvre bien souvent la voie à de nouveaux marchés et une augmentation des ventes.

Notre table est choisie, celle du jury DU avec ses 16 bouteilles présentent sur la table, dont la provenance est cachée par des poches en plastique noir. -554-r90.jpg « Il est vrai que le nombre de vins à déguster peut conduire à une saturation de la bouche et des papilles, relate Norbert, agent commercial. Sur les dernières bouteilles, c’est plus difficile de distinguer les saveurs mais cela se gomme avec de l’entraînement».

La dégustation commence, les vins du Languedoc s’écoulent dans les verres du jury DU. « Le premier que nous allons juger sera le 1735, un vin de 2014 » annonce Bruno, sexagénaire, lunettes fixées sur l’étiquette. Au cours du concours, la centaine de jurys va goûter des vins du monde entier selon leurs types – rouge, blanc, rosé, doux ou mousseux – sans savoir le domaine dont ils proviennent. « Certains œnologues arrivent quand même à reconnaître le domaine dont le vin provient juste en le goûtant  », déclare admirative Élodie, jeune œnologue tout juste diplômée en rejoignant sa table.

La dégustation du vin : tout un art

L’étrange rituel des jurés commence alors dans un calme absolu. Tous les sens sont mis à contribution. D’abord l’œil, il s’agit d’observer la robe. De définir son intensité, sa limpidité, sa brillance mais également ses défauts, s’il y en a. Les nez plongent ensuite dans les verres pour dégager les arômes.-555.jpg « Boisé », « floral », « fruité » ou même « curry », les senteurs peuvent être très variées !

Changement de table et donc de jury pour observer la conclusion finale : l’examen gustatif. Le non-initié est souvent surpris par le rite de dégustation des amateurs de vin : « Il faut aspirer pour augmenter l’intensité des arômes sans avaler », témoigne Charlie.-556.jpg Une fois les papilles gustatives chargées, le juré n’avale pas le vin. Il recrache la boisson dans les sceaux prédestinés. Cette pratique gutturale est habituelle lors des dégustations. Toutefois, le format XXL de ce challenge rend la vision des choses pour le moins pittoresque. Observer 400 personnes cracher de concert est une expérience assez peu ragoûtante. Enfin, après quelques secondes de réflexion, le juré va mettre une appréciation d’ensemble ainsi qu’une note sur 20 à la bouteille qu’il vient de goûter avant de passer à la suivante.

Le choix cornélien des médaillés

Les vins défilent à une vitesse constante, parfois ponctuée par une bouteille bouchonnée. « Si cela arrive, on va en commander une autre », explique un juré. Une fois la dégustation terminée, le jury met en commun ses notes et sélectionne les domaines qui méritent d’être médaillés. À notre table, le choix est cornélien pour Isabelle, jeune œnologue, Patrick, viticulteur et Charlie, président d’un club de dégustation. « Nous avons fait le choix de présélectionner sept à huit vins qui ont retenu notre attention afin de les goûter de nouveau et de dégager ceux qui peuvent être médaillés  ». Si nos jurés peuvent parfois être secs dans leur jugement, « celui-là il est nul  », ils essayent de ne pas être dans l’excès : « J’ai vu des gens qui mettaient des 4,6,18… J’essaye d’être nuancée. Je mets généralement entre 10 et 16 car je n’aime pas saquer les vignerons » détaille Isabelle.
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Alors que le brouhaha monte en raison des débats animés autour des tables, nos trois jurés peinent à faire leur choix : « On doit en sélectionner cinq au maximum du fait du règlement mais on hésite encore entre huit vins » soupire Charlie.

Finalement, après de longues tractations et alors que toutes les tables ont déjà désigné leurs médaillés, nos trois jurés d’un jour rendent leur verdict : « Médaille d’or pour le 1505 et le 1308, médaille d’argent pour le 1196, le 1200 et le 795  ». « On n’a pas voulu donner de médailles de bronze car c’est une médaille qui intéresse peu le consommateur. Il aura plus tendance à aller vers l’argent ou l’or » reprend Isabelle. Près de deux heures de dégustations ont été nécessaires aux 400 jurés pour décerner leurs récompenses. Le total des breloques n’excédera pas 33% des vins comme cela est imposé par le règlement.

L’heure est venue pour tout le monde de se détendre près du buffet après une concentration de tous les instants. « J’avoue avoir un peu mal à la tête » sourit un des participants. Il lui faudra vite se remettre car le Millésime Bio va ouvrir ses milliers de bouteilles dès le 29 janvier au Parc des Expositions de Montpellier.

Grenache Night, l’after sans tâche

À la nuit tombée, l’Association Grenache paye sa tournée en organisant l’after officieux du salon Millésime Bio. Le temps d’une soirée, les vignerons offrent une dégustation de ce cépage, où personne ne recrache vraiment son vin. Ambiance.

« On n’est pas du tout dans une dégustation académique, ici, les gens sont là pour s’amuser, découvrir et déguster avec les vignerons. » Il est 20h30 lundi 26 janvier et du haut des escaliers qui mènent aux sous-sols de la brasserie le Grand bazar, situé proche de la Comédie à Montpellier, Marlène Angelloz, chargée de communication de l’association Grenache, accueille les premiers exposants aux bras chargés de cartons de bouteilles. Ces vignerons viennent de la Vallée du Rhône, de Provence, du Languedoc-Roussillon mais aussi d’Espagne. Tous partagent une même particularité: celle de cultiver du grenache, un cépage typique du bassin méditerranéen introduit en France au Moyen-âge. Une légende vigneronne raconte que Thomas Jefferson himself l’aurait importé aux Etats-Unis durant ses années d’ambassadeur U.S en France.
La Grenache night, « c’est une dégustation, les vignerons viennent présenter leurs cuvées majoritairement ou 100% grenache, dans une ambiance plutôt conviviale, avec de la musique », assure d’emblée Marlène Angelloz dont le site communique essentiellement en anglais.

« On est là pour parler des vins, du grenache »

Lumière tamisée, tables hautes, la salle se remplit peu à peu. Richie Craig, venu spécialement de Londres pour Millésime Bio admet dans sa langue maternelle aimer les vins français: «Ils sont faits proprement et sont très élégants. Peut-être que j’achèterai quelques bouteilles ce soir. » Sur fond de musique lounge, Charles Perez, du domaine du Mas Becha, apprécie: « Ces événements permettent de déguster des grenaches de différents origines, toujours de même cépage mais toujours vinifier de façon différente. On est là pour parler des vins, du grenache.» Ce dont ne se prive pas Laurence Henry, au domaine éponyme situé à Saint-Georges d’Orcques: « Le grenache, c’est un cépage qui est merveilleusement bien adapté au climat méditerranéen. Dans ces vins, on retrouve une certaine souplesse, beaucoup de tendresse, de suavité. Et en même temps, cette buvabilité. On a la chance d’avoir aussi la fraîcheur et le caractère de notre terroir, qui génère des vins à la fois nerveux, avec beaucoup de vivacité, d’acidité aussi ».

« Il y a toujours beaucoup d’alcool dans le grenache »

Verre à la main, toujours tenu par le pied, les hôtes goûtent un à un les vins présentés. Le brouhaha est joyeux, et les crachoirs se font ici plus discrets. Les minutes défilent aussi vite que les bouteilles se vident. Les langues toujours plus déliées couvrent maintenant la musique. Le degré d’alcool des vins, qui avoisine parfois les 16°, n’y est forcément pas étranger. « Il y a toujours beaucoup d’alcool dans le grenache. C’est un cépage sucré, qui donne des vins riches, ronds, fruités. Ils ont une sorte de souplesse, de caractère, ce sont des vins enjôleurs», explique Arnaud Guichard du domaine de la Guicharde d’Uchaux (Vaucluse), présent plus tôt au salon Millésime Bio et habitué des Grenache Night. Plateaux à la main, les serveurs se relaient pour assurer l’approvisionnement en fromage et charcuterie auprès de la soixantaine de convives en train de savourer du grenache. « Le blanc en grenache, c’est vraiment adapté au fromage. Il a ce côté un peu rance des vins secs légèrement oxydés. On retrouve des affinités avec le gruyère suisse, avec le comté. Alors qu’avec le grenache rouge, on est plus sur quelque chose qui va avec le fromage de brebis ou les fromages persillés, les bleus par exemple ». De quoi alimenter les conversations et les bouches quelques heures encore.