La presse et les « capitaines d’industries » : « Une presse de gouvernement »
« Par la logique de capitalisme oligarchique, débute Edwy Plenel, l’ensemble du poumon médiatique en France est dirigé par des personnes qui ont d’autres intérêts que les médias et des liens personnels avec l’homme le plus puissant de France. Aux journalistes de se battre, même si les contenus finissent toujours par être atteints ». Et d’expliquer à ses auditeurs qu’il considère que les journalistes sont dépositaires d’une responsabilité « qui vous concerne ». Même si la personnalisation de la politique entraîne le nivellement par le bas du débat démocratique. « La France est, du point de vue de la liberté démocratique et de la libre communication des idées, une démocratie de basse intensité ».
L’information est ainsi biaisée par la proximité affichée des patrons de presse avec le pouvoir : Arnaud Lagardère, Serge Dassault, Bernard Arnault, Vincent Bolloré, etc. Selon le fondateur de Mediapart, Bolloré notamment, qui réoriente son groupe vers les medias (Direct 8, Direct soir, Matinplus) utiliserait ses journaux pour tenter de servir ses intérêts. Le co-propriétaire, avec le groupe Le Monde, du quotidien gratuit « Matin Plus » aurait, selon Edwy Plenel, dans un objectif commercial (fabrique du caoutchouc), influencé ses quotidiens pour promouvoir une visite anecdotique du président Camerounais Paul Biya en France. L’ancien directeur du Monde parle ainsi « de presse vénale, de gouvernement » : « ces mêmes intérêts profitent de la presse pour avoir un retour sur investissement. » Le principal problème est donc pour lui l’absence de pluralisme au sein d’une presse devenue dépendante d’une seule majorité politique.
Yves Thréard, même s’il ne nie pas le risque de collusion d’intérêts, défend quant à lui l’idée qu’à l’origine du problème, il y a le fait que la presse française soit sous-capitalisée et justifie les récents investissements des « capitaines d’industrie » sans lesquels la presse papier serait déjà morte. Parmi ces « tycoons », « Il existe trois types de patrons de presse : le type Robert Hersant (feu le patron du Figaro et France-Soir), « papivore » ; les médias maîtres comme Arnaud Lagardère ou François Pinault (propriétaire du Point) pour qui le lecteur est un consommateur et le patron de type politique, à l’ancienne comme Serge Dassault. »
De ce fait, le directeur adjoint de la rédaction du Figaro conteste l’idée de l’utilisation à des fins commerciales du quotidien par son propriétaire Serge Dassault, par ailleurs sénateur UMP de l’Essonne. Selon lui, , « il a un journal pour faire oeuvre de militantisme.» Mais le journaliste, qui rappelle la tradition bien française de presse d’opinion plutôt que d’information, dit se sentir libre à son poste, considérant que le problème de censure, qu’il ne connaît pas, tourne plutôt autour d’ « une affaire de sentiment d’absence de liberté ».
Il n’empêche, Yves Thréard reconnaît sans peine que dans le contexte de l’effritement actuel du lectorat, les recettes de son journal, comme de beaucoup d’autres, restent garanties par la publicité. Et que la demande du lecteur elle, tend à être celle d’un consommateur d’infos people. Les rédactions, fragilisées, deviennent de plus en plus « pieds et poings liés » face aux annonceurs. Sans pub, pas d’argent. Et sans argent, pas de reportages au long cours, pas d’enquêtes fleuve.
Le responsable du Figaro se veut néanmoins optimiste: la situation ne serait pas si mauvaise pour la presse établie. Et il ne faudrait pas succomber aux sirènes du défaitisme, quelles que soient la crise et la défiance qui agitent aujourd’hui la presse. Et puis si la presse quotidienne nationale souffre, « la presse quotidienne régionale résiste mieux, tandis que la presse magazine, les « news », se portent bien ».
Thréard : « Sarkozy déteste les journalistes »
Dès la première question venant du public, un nom surgit. Un nom en sept lettres, toujours les mêmes: Sarkozy. Quelle influence? Quelles connivences? Quels liens avec les grands titres de la presse parisienne? Son rôle dans le big bang audiovisuel annoncé?
Edwy Plenel dénonce alors l’autocensure dont ont fait preuve les journalistes lors de la conférence de presse « spectacle » du Président de la République le 8 janvier dernier : « Il a parlé pendant une heure. La conférence a duré deux heures et sur 600 journalistes présents, seulement 13 questions ont été posées dont la moitié ne concernait pas la vie quotidienne des français mais la vie privée du président. »
Le directeur adjoint du Figaro semble tempérer : « Je ne pense pas que Nicolas Sarkozy soit plus censeur que ses prédécesseurs, qui l’étaient tout autant que lui », dit-il, pour mieux attaquer : « Je crois simplement que Nicolas Sarkozy, peut-être un peu plus que les autres, n’aime pas les journalistes. Et qu’on a du mal à l’accepter. » Silence dans l’amphithéâtre, Yves Thréard reprend: « Il déteste les journalistes », », lâche-t-il, avant d’ajouter: «Nous sommes des empêcheurs de tourner en rond, enfin j’espère».
Le vecteur Internet, « ce qui sauve »
Le débat ouvert, les journalistes se font interpeller : des étudiants contestent. La virulence des propos vis à vis de la liberté de la presse, inexistante selon eux, bouscule les polémistes et Yves Thréard, révolté, s’emporte, récusant l’idée que les journalistes soient « tous des pourris ». « C’est grave pour nous parce que ça veut dire qu’on fait très mal notre métier ». Il enjoint par ailleurs le lecteur à faire la part des choses et ne pas se laisser dominer par l’information.
Pour sa part, Edwy Plenel, évoque Edgar Morin, sociologue et philosophe français : « là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ».
Presse gratuite, information périssable, puissance de la télévision, auto-critique journalistique inexistante ou insuffisante, tout y passe. Et on en vient inévitablement à Internet, où les projets éditoriaux (backchichinfo, Rue89, Mediapart) se multiplient. «Souffle nouveau de la presse», pour Yves Thréard, «outil qui devrait permettre la complexité de l’information» pour Edwy Plenel. Qui conclut: «Sur Internet, il n’y a pas de contrainte de place. Mais un enjeu: celui de la hiérarchie.» Et une quête : retrouver l’indépendance.